Je ne sais plus si je vous en ai déjà parlé mais mon corps m’est souvent une chose étrangère.
Je me rappelle avoir été assez marqué par le personnage principal féminin du roman de Richard Brautigan L’avortement – l’un des premiers livres acheté et lu sur la foi d’une critique lue il me semble – qui prétend que sa sœur lui avait volé son corps et que, par voie de conséquence le sien, ne l’était pas vraiment, le sien. (Je ne sais pas si vous me suivez.)
Marqué parce que si je ne peux accuser personne du vol, je suis de ceux qui, comme écrit plus haut, ont un rapport de distance vis à vis de leur corps.
J’ai cru comprendre que c’était assez commun.
Déjà, il n’y pas grand monde appréciant ou se reconnaissant dans un élément corporel : la voix.
S’entendre est souvent une expérience douloureuse et dérangeante.
A cette banalité s’ajoute chez moi une incapacité à bien estimer l’espace qu’occupe ma carcasse. J’ai un peu toujours le sentiment de devoir diriger quelque chose de lourd, peu maniable pas très stable et dont les dimensions par rapport à ce qui l’entoure m’ont toujours échappé.
Et puis il y a l’épreuve du miroir et des photos où ce qui se montre n’a que peu de rapports avec la façon dont je me vois.
Et ça ne s’arrange pas en vieillissant.
Plus les années s’accumulent sur ma trogne moins je la reconnais.
(Par contre j’y trouve de plus en plus de trace de tel ou tel de mes ascendants. Je devrais être content de les revoir en principe mais les dénicher dans la glace du matin ne m’est pas très agréable.)
Pour autant mon corps et moi ne sommes pas en conflit.
J’essaie de prendre à peu près soin de lui. La plupart du temps.
Il est – en dépit d’une nature assez lourde, peu maniable pas très stable et dont les dimensions par rapport à ce qui l’entoure m’ont toujours échappé – relativement fonctionnel et fiable.
Nous sommes arrivés à l’usage à établir une cohabitation supportable apte à traverser sans trop de remous le temps qui presse (pendant que votre patience s’use).