par Ann Powers
Traduction française de Rémi Boiteux
Le Castor Astral, Paris, 2019, 416 p, 26€.
Bienvenue au 55e abonné de ce blog. Que les Dieux et les Muses le protègent!
Lectrices perspicaces, lecteurs efficaces, je m'en vais vous chanter les louanges d'une Dame du temps présent. La citoyenne américaine Ann Powers vit à Nashville, Tennesse, USA, la Mecque de la Country Music, genre auquel je suis allergique comme Buddy Rich, grand batteur de Jazz. Elle est critique musicale pour NPR Music (la radio et télévision publique américaine) et The Record. Elle a écrit pour le San Francisco Weekly, le New York Times, le Los Angeles Times et le Village Voice (ancien journal new yorkais, de Greenwich Village). Née en 1964, elle est aussi mariée et mère d'une fille. Enfin, elle est Blanche comme moi, précision importante au vu du sujet de son dernier livre " " très bien traduit en français par Rémi Boiteux avec des notes culturelles utiles pour le lecteur français.
Le sujet du livre, ce n'est pas seulement le " Bon Cul ", traduction littérale de " Good Booty " mais la façon dont la musique a brisé les barrières de sexe et de couleur aux Etats Unis d'Amérique. De 1803 à 2016 avec un plan chronologique clair.
Chapitre 1. Le taboo baby. La Nouvelle Orléans 1803-1900. Voir sur ce blog les Mémoires musicales de Jelly Roll Morton.
Chapitre 2. Le Da Da Strain: secousses et sexologie. New York. 1920-1929. Cf extrait audio au dessus de cet article avec le " Creole love call " de Duke Ellington (Adelaide Hall au chant et au scat. 1927).
Chapitre 3. Let It Breathe on Me: érotique spirituelle. Chicago, Birmingham, Memphis, 1929-1956. Voir sur ce blog la leçon de Jazz d'Antoine Hervé sur Count Basie.
Chapitre 4. Rêves d'ados, désirs d'adultes. Au coeur de l'Amérique. 1950-1960. Voir sur ce blog mon hommage à Chuck Berry.
Chapitre 5. La révolution sexuelle et ses déconvenues. New York, Detroit, San Francisco, Los Angeles. 1961-1970.
Chapitre 6. Du hard et du soft. Londres, Los Angeles, New York. 1971-1979
Chapitre 7. SIDA, Reagan et retour de flamme: une douleur insensée. New York, San Francisco, Seattle. 1977-1997. Voir sur ce blog mes hommages à de son vivant et post mortem. Cf vidéo sous cet article.
Chapitre 8. Britney, Beyoncé et la frontière virtuelle: des cyborgs affamés. Cyberespace, 1999-2016
Pour l'auteur, les deux péchés originels des Etats Unis d'Amérique sont l'oppression raciale et le puritanisme religieux. Il en manque un 3e: le sort réservé aux autochtones, ceux que les Européens ont nommé les Indiens d'Amérique. Les Amérindiens sont d'ailleurs totalement absents de ce livre. Nouvelle preuve de cet impensé dans la culture américaine. Chuck Berry, le Roi du Rock'n Roll , était pourtant un métis Noir et Amérindien. Tout comme Jimi Hendrix. A mon avis, l'auteur passe trop rapidement sur l'importance de Chuck Berry, James Brown & Georges Clinton comme défonceurs de barrière entre Noirs et Blancs, hommes et femmes, hétéros et homosexuels.
J'écris cela pour faire la fine bouche. En effet, ce livre est d'une prodigieuse richesse. Il est écrit par une femme passionnée, qui a travaillé son sujet à fond, explorant les archives écrites, sonores et visuelles de l'Amérique, parlant aussi bien de super stars que d'artistes méconnus qui ont tous ont contribué à faire tomber les barrières posées par les WASP (White Anglo Saxon Protestant). Le fil de fer barbelé est une invention américaine pour poser les limites des propriétés des éleveurs dans les plaines du Far West. L'industrie musicale a elle aussi voulu poser des barrières avec les Race Records réservés aux gens dits " de couleur " comme si le blanc (les peaux roses disent les Japonais) n'était pas une couleur de peau.
Les dissidents étaient rarement WASP. Ce n'est pas un hasard si le premier groupe mixte de Jazz, mêlant Blancs et Noirs est l'oeuvre d'un Juif, le clarinettiste Benny Goodman, au grand dam de sa mère qui préférait écouter son fils jouer Mozart à Carnegie Hall. Et puis il y eut Chuck Berry, ce métis de Noir et d'Amérindien, qui rendait folles les adolescentes blanches, guitariste à qui tous les autres rockers doivent quelque chose (Elvis Presley chantait les chansons de Chuck Berry, Angus Young, le guitariste d'ACDC, imitait son Duck Walk sur scène, les Beatles et les Rolling Stones firent leurs premiers hits avec des reprises de Chuck Berry).
J'ai beaucoup appris en lisant ce livre tant sur des musiques qui m'intéressent (Jazz, Blues, Gospel) que sur celles qui ne m'intéressent pas (le R&B actuel, le rap). Chaque chapitre est vivant, documenté (large appareil de notes) et écrit avec un enthousiasme typiquement américain.
Il paraît qu'il existe une liste de jeu ( Play list in english) sur deezer permettant d'écouter les multiples musiques référencées dans ce livre mais je ne l'ai pas trouvée. Si vous la découvrez, merci de me communiquer le lien, lectrices perspicaces, lecteurs efficaces.
Pour finir, je laisse la parole à Prince et à sa Controverse: Suis je Noir ou Blanc? Hétéro ou homo? Controverse. (...) Les gens me disent grossier. J 'aimerais que nous soyons tous nus. J'aimerais qu'il n'y ait ni Noirs ni Blancs. J'aimerais qu'il n'y ait pas de règles. Controverse.
Cf vidéo ci-dessous enregistrée en concert le 30 janvier 1982 au Capitol Theatre de Passaic, New Jersey, Etats Unis d'Amérique. Cette salle de concert a disparu, Prince aussi. La musique demeure. La controverse aussi. Controversy!