Au pays des grosses feignasses, tout roulait comme sur des gommettes, c’est-à-dire n’importe comment puisque Jean Michel Toutvabien avait évolué en Jean-Michel Jimprovise. Si l’intrigue de la saison 01 reposait sur un arc narratif du type “on ne confinera pas mais en fait si”, la saison 02 s’est studieusement penché sur la définition raisonnable de la distance diaphane qui correspondrait à un mètre.
Alors que l’année s’achevait, Jean-Michel Jimprovise a eu une poussée d’honneur. Il fallait que chaque élève soit pris par la main et retrouve le chemin de l’école. Pour cela, l’administration s’est donc fendue d’un Protocole Sanitaire n°1 condensé en soixante pages A4 palpitantes de sabir bureaucratique.
Ainsi, il fallait quatre mètres autour de chaque élève, organiser des sens de circulation, alterner les entrées et sorties des différentes classes, désinfecter entre chaque classe et mettre du gel hydroalcoolique partout alors que dans le Monde d’Avant, on n’avait même pas de savon dans les toilettes (ce qui constitue déjà, on le reconnaîtra, un remarquable progrès).
Avec de telles mesures, les élèves revenaient, pour deux jours chacun, sur la base du volontariat de parents qui n’étaient pas nécessairement trop chauds à prendre ce risque pour deux jours, éventuellement trois.
Ces réticences poussèrent l’administration à faire preuve de sa légendaire souplesse : puisque le Protocole n°1 semblait insuffisant à motiver la marmaille, elle a donc improvisé le protocole sanitaire n°2, puis, dans son habituelle foulée svelte et enlevée, le n°3 – toujours en soixante pages d’alinéas veloutés – et inventé le mètre latéral de distanciation à longueur variable suivant les circonstances, assortissant le tout de menaces envers les parents encore réticents malgré la subtile introduction d’un nouvel acronyme pondu pour fêter ça : le 2S2C, à savoir le dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme, véritable “dispositif éducatif et ludique” . Ici, le niveau de frétillement bureaucratique est facilement au-dessus de 9000. Question d’honneur.
Tout le monde s’est donc pris la tête pour lire ces broderies protocolaires de soixante pages, pour déménager des tables, pour organiser des sens de circulation et des emplois du temps pour apprendre par PravdaTV dans une gestion du personnel quasi-épiphanique que finalement non.
On aura au passage une pensée émue pour tout le personnel de ménage qui, pour un salaire misérable et une invisibilisation complète, permet que le corps enseignant continue chaque jour à travailler.
Et puis vint la cerise de ouate de phoque concentré sur le gros gâteau de n’importe quoi que fut cette année scolaire : le baccalauréat fut aménagé parce qu’il fallait bien que les Jean-Enzo qui n’ont rien fichu de l’année ne plombent pas trop les statistiques.
Rassurez-vous : la recette est simple et avec une pincée d’arsenic métaphorique.
- On prendra soin de faire faire aux professeurs le boulot des secrétariats de baccalauréat gratuitement. On leur demandera de rentrer les notes en arrondissant au point supérieur systématiquement. Certains passeront ainsi des heures consistant à mettre 11 à des élèves à 10,01 de moyenne, sur des trouzaines de disciplines.
- On convoquera ensuite des jurys de baccalauréat pour examiner si, lycée par lycée, il ne faudrait pas rajouter un point à tous les élèves d’une cohorte parce que les résultats sont en dessous des résultats de l’année dernière, fût-ce pour un élève, mais surtout on expliquera aux professeurs que ce dispositif est mis en place pour garantir “le niveau d’exigence du baccalauréat” bien qu’ils ne puissent que remonter les notes. If you laugh, you lose.
- On reconvoquera le jury pour examiner les cas individuels, histoire d’éplucher les cas qui sont “à la barre”, c’est-à-dire ceux qui, malgré les arrondis putassiers déjà pratiqués, sont encore un peu en dessous de quelques points pour l’avoir, passer à l’oral ou avoir une mention. À ceux-là, on pourra éventuellement donner des points si le bulletin montre que l’élève est sérieux. Ce point est classique et logique. C’est ce qu’on appelle un jury de délibération. On peut donner des points à un élève auquel il en manque deux pour avoir l’oral, le baccalauréat ou une mention, qui a été sérieux et volontaire toute l’année. On n’est pas des monstres. Evidemment, cette année, cette étape s’ajoute aux deux précédentes, déjà généreuses…
- Sous couvert de “simplification”, improvisons des sous-jurys et le jury ; et pour info, si les résultats ont été si tardifs, c’est précisément à cause de cette “simplification” : si, avant, le jury de délibération était souverain, cette année en revanche ses décisions sont méticuleusement examinées par un méta-jury qui peut encore décider de monter les points qui à ce train ne font plus de l’escalade mais sont véritablement hélitreuillés à de nouveaux sommets.
- Au fait, lors du point 2, on aura soin de bien rappeler aux professeurs qu’ils sont tenus au secret parce que si la pédophilie est masquée, étouffée et niée au sein de l’institution, la désobéissance civile, non. Il y a des limites à tout.
- En bout de course, on finit par avoir beaucoup trop d’élèves pour les facultés puisqu’on n’a évidemment pas anticipé l’explosion démographique, et ce quand bien même les professeurs bassinent l’institution sur ce sujet depuis dix ans, en alertant notamment que si on continue à distribuer ainsi le baccalauréat à tout le monde, l’université va finir par exploser.
Bien sûr, personne n’est dupe : tout le monde a maintenant compris que ce diplôme ne signifiait plus rien, qu’on a ainsi transformé, à leur corps défendant, les professeurs en simples tampons encreurs dans un processus à la fois inutilement complexe et parfaitement artificiel, et pire que tout, qu’on a complètement dissout toute notion de compétition et toute valeur du travail fourni au profit d’un mensonge honteux d’égalité et de justice sociale qui, ultimement, sera directement préjudiciable à tous les étudiants.
Merci Jean-Mimi. C’est aussi grâce à toi que ce pays est foutu.
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