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Pages nocturnes (24) – Obsession, dans les coulisses du récit complotiste

Publié le 27 juillet 2020 par Zegatt

Il y a longtemps qu’un essai ne m’avait pas autant énervé, me voyant rager dès les premières pages et m’enfonçant au fur et à mesure de ma (courte) lecture dans un peu plus de rejet pour toute une série de travers.
Ce supposé essai – je qualifierais plutôt le texte de « réflexion » -, c’est donc Obsession – dans les coulisses du récit complotiste, signé par Marie Peltier. Ironiquement publié aux éditions Inculte.

Pages nocturnes (24) – Obsession, dans les coulisses du récit complotiste

Je dois d’abord plaider coupable, parce que la première chose qui m’a posée problème, c’est le contenu du livre qui ne correspondait en rien à mes attentes. Parce que je ne me suis pas attardé sur le quatrième de couverture qui m’aurait déjà indiqué le propos du livre, parce que j’ai dû noter la référence au détour d’une conversation ou d’une réflexion critique sur internet ou à la radio et laisser traîner la référence dans mon interminable listing de livre à consulter sans approfondir. Mais surtout et enfin, parce que le titre du livre n’est pas du tout en raccord avec son contenu et la démarche qui y est présentée.

Marie Peltier se présente comme historienne. Or, le propre d’un historien devant un travail de recherche, un essai, c’est de définir un cadre et un contexte, ce que Marie Peltier semble brasser d’un mouvement dédaigneux pour entrer dans une démonstration obscure, nourrie de poncifs ou de raccourcis, et servie par une chronologie ou un choix d’évènements sur lesquels braquer les lumières choisis de façon aléatoire et discontinue.

Le problème que pose Peltier est soi-disant d’ordre narratif (le « récit » du titre) : « Comme si un récit préfabriqué s’était imposé progressivement à nos esprits et avait façonné une configuration du débat public binarisée, se cristallisant ad libitum autour des mêmes obsessions » (quatrième de couverture).
Comment résumer autrement le livre ? Je n’en ai pas la moindre idée, parce qu’il manque cruellement de définition. Quel est le « récit complotiste » dont il est question ? A quel moment est-il à l’oeuvre ? Rien de tout cela n’est précisé clairement.

Très vite, il m’a semblé voir se dessiner une position assez centriste de Marie Peltier passé le premier tiers du texte. Mais là encore, impossible de cerner clairement sa démarche politique ou citoyenne ; au-delà d’une apologie de la démocratie, rien n’est explicite, et souvent des réflexions inachevés semblent se poursuivre dans des points de suspension dont l’aboutissement devient gênant, dérangeant, glaçant.
La démocratie ? Bon. Mais, là encore, on ne comprend pas franchement ce qu’elle entend par démocratie. Il suffit de lire les dernières phrases pour sentir le malentendu : « Pour dépasser ces obsessions, il ne s’agit pas de rejeter le récit démocratique que ces dernières viennent questionner, mais de lui redonner un visage humain, inclusif et apaisé ». Cela en ultime conclusion aux deux dernières parties titrées « Le Je comme alternative au Nous et Eux » (éloge de l’individualisme ?) et « Réaffirmer le narratif des liberté » (Euh ?).

Ce que Marie Peltier met en cause, ce sont les constantes polémiques, l’accusation de « fake news », l’appel récurrent à prendre parti pour un autre sujet comme argument dans un débat, et les querelles constantes en particulier autour de la religion ou des positions politiques qui en découlent.
Mais elle brasse tout cela dans un gloubi-boulga où dans le même paragraphe, on passe du 11 septembre 2001 aux victimes juives d’attentats en Europe ou à l’affaire autour de la chanteuse Mennel (p 40-41 & 57). Car, s’il y a un élément à peu près posé, c’est que le 11 septembre 2001 et les années qui suivent sont un basculement. Vers quoi, comment, cela n’est jamais explicité. Mais depuis, « nous semblons tous être pris dans une grande scénarisation qui nous dépasse » (p 23) !
Le mieux est donc de faire un florilège des éléments et réflexions présentés pour comprendre pourquoi cela ne tient pas, et comment Peltier en vient à parfois se contredire elle-même, ou à arrêter son raisonnement avant qu’il ne s’écrase.

– Une analyse douteuse et des éléments faussés ou incohérents

Régulièrement, le refus de mise en perspective ou la limitation d’un évènement dans le temps fausse le raisonnement de Marie Peltier. Parfois anecdotique, parfois frappant, ses choix sont trop souvent incohérents ou douteux.
Benoît Hamon est présenté comme un candidat principal de l’élection de 2017 (p 15). Avec seulement le quart de voix de celui qui le suit (Mélenchon) et à peine 1,6% de plus que le précédent (Dupont-Aignan)… surprenant.
La logique du buzz (et les polémiques qui suivent) proviendrait d’abord du « format image » (p 25).
La supposée analyse du récit complotiste se fait elle-même complotiste : « Cette dynamique [la viralité des réseaux sociaux] est évidemment le fait des organismes publicitaires mais aussi de divers groupes de pression aux obédiences politiques variées » (p 26).
Lorsque le CRIF soutient la décision de Trump de transférer l’ambassade à Jérusalem, il est présenté comme légitime de critiquer Trump, mais pas le CRIF. Aucune explication n’est donnée à ce raisonnement.
Parmi les médias évoqués, Russia Today subit une attaque continuelle comme un « relais de la propagande du Kremlin », mais Al Jazeera est mentionnée sans la moindre remise en cause (p 47-48 notamment). Choix subjectif… Ainsi, RT a pris pour cible Macron dans « une entreprise que certains jugent, à juste titre, dangereuse ». Là encore, notez l’orientation clairement indiquée, mais nulle part expliquée. De même, la critique ouverte de certains médias (RT, Mediapart et Charlie Hebdo) n’est jamais contrebalancée par l’omniprésence du candidat Macron dans la presse mainstream, ou une quelconque discussion sur l’indépendance de la presse en France.
Symptomatique, Peltier livre en deux paragraphes (p 58) une analyse réductrice au possible des vues de l’Occident aux XV-XVI-XVII-XVIIIe siècles qui auraient de quoi faire hurler les historiens spécialistes de ces questions (pensées pour Serge Gruzinski et Sanjay Subrahmanyam en particulier), résumant la posture européenne et occidentale à une « domination » par une volonté de « mission civilisatrice ».
Peltier inverse subitement des problèmes, considérant par exemple que le non-respect récurrent du génocide juif est la preuve que la Shoah n’est pas sacralisée (p 60-61). Or ces deux assertions ne sont pas équivalentes.
« L’impérialisme occidental » serait « vieux de plusieurs siècles ». Une analyse douteuse quand on sait que le concept est élaboré au début du XXe siècle (p 66).
Présenté comme un « biais », l’idée de « faire de la guerre une affaire essentiellement occidentale » (p 77). Or, qui est en première ligne des interventions à travers le monde, si ce n’est l’Occident ? Suivi par la Russie bien sûr, et dans une mesure moindre (du moins sur des distances plus réduites), la Turquie par exemple. Et Peltier ne prend même pas le temps de confronter les perspectives de déploiement militaire par les pays occidentaux à une quelconque guerre économique chinoise par exemple. Non, c’est présenté comme un fait, sans la moindre démonstration : on accuse l’Occident d’être le seul moteur de la guerre. C’est faux. Pourquoi, comment, éléments pour relativiser la question…? Niet, pas la moindre démonstration.
L’intervention en Irak est présentée « dans la tête de l’administration Bush » comme un moyen « de réaffirmer la puissance américaine et le droit à l’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays étranger ». Les considérations financières notamment ne sont, à aucun moment, évoquées. Ni véritablement la perspective distincte ou la continuité Afghanistan / Irak…
Folie furieuse (p 80), l’intervention libyenne « fut lue au prisme exclusif d’une ingérence occidentale – alors qu’elle se fit aussi avec le concours d’acteurs extra-occidentaux ». Si ce n’est pas une ingérence, qu’est-ce que c’est ? Et qui sont ces acteurs « extra-occidentaux » ? Rien n’est dit. L’intervention semble légitime, dans la lignée d’un BHL (dont une semi apologie est dressée p , comme par hasard). Ni les sous de la campagne de Sarkozy ne sont évoqués (s’agirait-il du fameux « récit complotiste » dénoncé ?), ni la présence de Kadhafi un 14 juillet quelques années plus tôt, ni les chaînes françaises qui diffusaient après des semaines de propagande belliciste des images de gamins fiers de libérer leurs pays armés de kalash en imposant une sorte de système mafieux.
Et page suivante (p 81), une tournure surprenante : « Le « non à la guerre », exprimé si massivement dans les rues pour l’Irak en 2003, s’est ainsi progressivement mué en « l’Occident est responsable de la guerre » ». N’est-ce pas le cas ? Peltier est-elle en train de dire que, sans l’Occident, il y aurait malgré tout eu une guerre en Irak ? ou bien…?
En prétendant lutter contre un récit complotiste, Peltier évoque les figures de Snowden et Assange (p 103-105), distribuant à l’un le titre de « véritable lanceur d’alerte » et sous-entend que l’autre travaille pour une puissance étrangère (Russie ?). Mais son appel à la figure du lanceur d’alerte se retourne contre elle : s’ils sont le symbole d’une lecture complotiste, ils démontrent justement l’existence bien réelle d’éléments volontairement cachés. Il ne s’agit pas d’un roman de Tom Clancy !
Ce jeu de figures se poursuit plus loin, enfonçant l’incohérence quand son évoqués coude à coude Pierre Rabhi et Noam Chomsky ! Ce dernier pour sa préface au livre de Robert Faurisson, préface qui a été ajoutée par Faurisson sans l’accord initial de Chomsky, ce que Peltier ne signale nulle part. Et elle appelle à la rescousse Pierre Vidal-Naquet (présenté uniquement sous sa facette de « spécialiste du négationnisme » ! p 119) et sa critique de l’affaire, ironie quand on sait qu’une autre polémique a opposé BHL à Vidal-Naquet et que, lorsque Peltier évoque Bernard-Henri Lévy, il n’est nullement remis en question et présenté comme avant tout comme un défenseur des droits de l’homme… Voilà en réalité le mantra sous-jacent : Si vis pacem, para bellum !
« Rapidement nous nous sommes attachés, aidés en ce sens par la propagande des régimes en place, à y voir [dans le Printemps arabe] à la fois une « menace islamiste » (…) et un « projet impérialiste » » (p 124-125). Alors là, je ne sais pas de quel chapeau Marie Peltier a sorti cette analyse ? D’où est-ce que le Printemps arabe serait un projet impérialiste ? A quel moment nous sommes-nous « rapidement » laissés convaincre, sachant que l’Egypte, la Tunisie ont effectué leurs révolutions en quelques semaines et que nous étions alors enthousiastes pour le mouvement et, en prime du côté de l’Etat, prêt à soutenir les politiques en place (coucou Alliot-Marie et les CRS en Tunisie !) ? Faut-il oublier que les manifestations des Frères Musulmans en Egypte par exemple ont été oubliées ou minimisées dans les médias occidentaux, qu’un film comme « The Square » (2012) s’apparente par moments à de la propagande (pour l’avoir vu avec un ami égyptien, il bondissait toutes les dix minutes sur son siège) ? Faut-il ignorer le tournant pro-islam suivi par un bon nombre des pays (dont la Tunisie !) dans le choix de leurs nouveaux dirigeants ?

– Un choix de vocabulaire problématique

Visiblement, Marie Peltier souhaite utiliser des concepts (voire en créer ?). Mais elle ne les explicite jamais. Et elle fait régulièrement un choix de vocabulaire ou un appel à des notions qui posent question. Le choix est-il volontaire ou naïf ? les implications derrière certains mots est-il voulu et, si oui, pourquoi ne pas l’expliciter ?
Mélenchon ainsi, s’adresserait à ses « adeptes » sur YouTube (p 19). Connotation quelque peu sectaire.
Déjà évoquée, « la scénarisation qui nous dépasse » et les « schèmes de pensée » dont nous sommes victimes (p 23).
Une « guerre des symboles » consiste à désigner un coupable universel, en l’occurrence une minorité culturelle, juifs ou musulmans. Les « islamistes » et les « sionistes » (guillemets de Marie Peltier) sont « deux sphères symboliques » (p 35). Là, je sèche complètement pour parvenir à comprendre ce que Peltier entend par « symbole » vu l’usage qu’elle en fait.
Le CRIF et le CCIF sont présentés comme des « institutions démocratiques » (p 37). En quoi sont-elles démocratiques, ou plus démocratiques qu’une autre institution ou association ?
P 52, une tirade très obscure s’ouvre sur la volonté d' »identifier les mantras de l’imaginaire collectif », le terme « mantra » étant utilisé jusqu’à saturation, et l' »imaginaire collectif » se muant ici en « imaginaire partagé », en « inconscient collectif » (p 101). On arrive sur le pas de la porte de Carl Gustav Jung (« Métamorphoses de l’âme et ses symboles » notamment, pour ce qui est de l’inconscient collectif), mais il est peu probable que Marie Peltier fasse appel aux concepts du psychanalyste suisse, son propos restant obscur, faute de la moindre définition ou exemple.
Ailleurs, il est question de « clivage civilisationnel », et c’est Samuel P Huntington qui se rapproche, sans qu’on aille au-delà dans l’exploration (p 55).
Tariq Ramadan est évoqué comme une « figure symbolique » (p 63). Qualificatif que Peltier pourrait probablement employer pour d’autres figures évoquées, mais qui sont en réalité des figures « médiatiques », et on revient du même coup au problème de l’usage du mot « symbole ».
«  »L’Occident, par l’intermédiaire de son allié saoudien, (…) serait responsable » des crimes commis au Yémen (p 64). Problème de responsabilité en effet, l’accusation est présentée comme illégitime. Mais, si Peltier avait remplacé « responsable » par « complice », une telle déclaration ne serait-elle pas à revoir ?
Très brièvement évoqué, le meurtre de Marie Trintignant et l’opposition à Bertrand Cantat devient une « opposition politique » (p 74), ce qui semble extrêmement réducteur comme analyse, prétendant y voir une confrontation entre « liberté d’expression » individuelle et défense « d’un intérêt commun – [le] droit des femmes »…
Le narratif semble être au coeur du problème : ainsi, avant d’avoir des postures politiques, les chefs d’Etat, Macron par exemple, ont une « position narrative » (p 86). A trop vouloir poser un concept, le raisonnement s’embourbe terriblement. A croire que le moindre acte, la moindre décision, le moindre avis dépendent avant tout de choix narratifs ? L’histoire immédiate n’est pas un récit romancé ! Et plus loin encore, à propos des choix de communication du régime Assad qui profite « de cette configuration narrative ambiante pour imposer, à large échelle, [sa] propre propagande (p 100). Allant même jusqu’à cette phrase douteuse : « La « Syrie imaginaire », c’est en quelque sorte notre propre difficulté à proposer un récit qui fait sens. »
Ailleurs, au sujet de la figure du lanceur d’alerte, elle écrit « Leurs démêlés avec la justice et avec les organismes de sécurité nationaux et internationaux les ont transformés, sémantiquement parlant, en « victimes de l’Occident » en même temps qu’ils étaient perçus comme de très courageux « résistants au système » » (p 103). Là encore, on sombre dans du pseudo-concept qui semble emprunter à l’anthropologue René Girard et au « bouc-émissaire » (Cf « La violence et le sacré » en particulier) mais n’est nulle part précisé.
Les « prétendues » révélations de Wikileaks de documents « présentés comme « secrets » » concernant l’invasion de l’Irak, ici qualifiée d' »objet sémantique très chargé symboliquement » (p 105)… Allez y comprendre quelque chose ! Quant à savoir pourquoi des documents inaccessibles du grand public ne sont pas en réalité « secrets »…? Et au passage pose le problème des éléments de Wikileaks « déjà assez largement médiatisés » (p 106) alors que le problème est justement, là, de les sourcer (reproche qu’elle adressait peu avant au site Le Media) !

– Avoir une position (trop) critique revient à être complotiste ?

Les choix politiques autour de « la Syrie, Daech, Poutine et les USA » sont des « éléments narratifs centraux dans la posture d’insoumission au « système » ». En d’autres termes, si l’on est contre telle ou telle posture, Marie Peltier sous-entend que plutôt qu’une position ou une critique légitime d’un choix politique, c’est d’abord un rejet du « système » (notez au passage les guillemets employés, guillemets qu’elle emploie à foison pour tout un tas de mots, dont on ne parvient pas à comprendre s’ils sont supposés être des fantasmes, sous-entendre un double sens, ou autre). Et, un peu plus loin : « Celui qui projette sur « l’international » [guillemets, encore] ses propres frustrations politiques, son propre mal de vivre, ses propres déceptions politiques et désillusions idéologiques. » Une posture contraire au commun ou à la ligne politique du pays serait donc potentiellement à justifier d’abord dans un problème personnel, individuel, plutôt que dans une certaine lecture du monde (rendue, semble-t-il, illégitime) ? p 22.
« Pourquoi l’Occident chercherait-il à défendre ses intérêts ? Quid des intérêts des autres puissances internationales – la Russie, la Chine, etc.? » (p 81) Peltier croit-elle naïvement que le fait de contester la position occidentale rend aveugle au jeu des autres pays ? Refuse-t-elle de voir que le jeu guerrier mis en avant par l’Irak ou la Libye n’est pas égal au jeu économique de la Chine ? Que la Russie semble avoir retenu des leçons de l’échec cuisant de l’Afghanistan à l’époque de la Guerre froide par exemple ? Que critiquer la démarche libyenne revient à ignorer l’annexion en Ukraine ? En prétendant lutter contre un monde binaire, elle érige elle-même une lecture binaire du monde.
De façon similaire, elle semble trouver illégitime de penser (avec Mediapart pour le coup) que l’intervention libyenne a pu avoir pour moteur notamment le financement de la campagne de Sarkozy (p 82-83). En d’autres termes, la liberté d’un peuple (c’est-à-dire la guerre à la guerre dans ce cas) prime sur la corruption au sommet de l’Etat, et l’intervention n’a pas à être discutée au regard d’un financement extérieur ? Type d’ingérence qu’elle-même reproche à la Russie à de multiples reprises… Soyons donc complotiste envers les uns, mais moins envers les autres ?
Après avoir raillé la position du Media qui refuse de diffuser des images en exprimant un doute sur leur véracité/leur provenance, « il était inexact d’affirmer que ces images étaient « invérifiables », dans la mesure où le travail des journalistes consiste justement à vérifier et recouper leurs sources, et non à renoncer à informer », Peltier dénonce une « rhétorique de fact-checking qui entend aujourd’hui lutter contre les discours de désinformation » (p 97-98). Si je comprends bien, il faut croire l’information d’abord, la vérifier sans sombrer dans un fact-checking obsessionnel ? Espérons que l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès alias Guy Joao et la fausse information en première page des éditions nationales aura permis à Marie Peltier de réfléchir à ce positionnement… Sans parler du circuit de l’information à l’international, où une information qu’elle soit publiée dans Libération ou Le Figaro a toutes les chances de provenir d’une même source : l’AFP.

– Incohérences du texte

Sur plus d’une page (p 31-33 – un record compte-tenu du traitement express de la plupart des éléments mis en avant), Marie Peltier rapporte dans une confusion totale une anecdote autour de la prise de parole d’un jeune lors d’une conférence et de son soulagement après une prise de parole… dont on ne comprend ni le contenu ni le contexte.
Un tweet de Conspiracy Watch est mis en cause par rapport à l’affaire autour de la chanteuse Mennel, du fait qu’elle porte un voile et qu’elle ait tenu des propos conspirationnistes, mais impossible de savoir à quoi se rapporte ce tweet. On sait juste qu’il a été relayé (p 44).
Alors que l’islam est régulièrement évoqué, Peltier écrit « Il ne s’agit pas ici de réduire ce phénomène identitaire à la question de l’islam, des musulmans et de leur place dans la société » alors que c’est précisément ce sur quoi se focalise la majeure partie de son texte (p 55). Paradoxal.
A diverses reprises, Peltier compare des polémiques sur le voile islamique à d’autres sur le soutien à Israël, confondant continuellement deux problématiques dont l’une est d’abord religieuse et l’autre d’abord politique. Sans jamais prendre la peine de questionner le mot « sionisme » par exemple et son usage. Et regrettant une « folie collective où chacun s’identifie à un groupe et à une appartenance, unique et donc inévitablement restreinte et réductrice », elle ne semble pas considérer justement le choix d’un signe distinctif d’appartenance comme un problème alors qu’il est potentiellement un fort signe de cette appartenance « restreinte et réductrice » (p 129-130)…!
Dans le final, elle plaide pour « réhumaniser un récit par une prise de parole individuelle, [susceptible] de susciter un possible apaisement sur un plan plus collectif dans le même temps » (p 131) : parlons tous dans le brouhaha, nous serons alors plus légitime à être ce que nous sommes ?

– La Syrie, coeur du problème ?

La Syrie semble un élément clé du livre, et de Marie Peltier. Elle ne le dit jamais explicitement, mais elle semble clairement en faveur d’une intervention sur le sol syrien (livre publié en août 2018). Ainsi, sans réelle discussion, mise en contexte, rappel des faits, Assad et ses alliés (Poutine en première ligne) sont identifier comme des problèmes voire des dangers. Sans discussion, Assad est un « dictateur » (même Kadhafi n’a, il me semble, pas droit à ce qualificatif !), « se représentant à la fois comme l’homme cravaté et « civilisé », rempart face à l’islamisme, et comme le « résistant » face à l’Occident et à Israël », porteur d’un imaginaire «  »laïc » et civilisationnel » en plus d' » »anti-impérialiste » et « anti-système » » (notez les guillemets. Partout), « masquant ses crimes de masse voire même leur donnant une certaine légitimité » (p 38). Cette assertion est faite alors que pratiquement aucun élément, ni du Printemps arabe, ni de l’intervention en Libye, ni un rappel des attaques chimiques dénoncées n’ont été faits. Et, face au contexte, encore heureux qu’Assad est anti-impérialiste, quand une partie du monde occidental (en tête Hollande et Obama) étaient alors prêt à intervenir sur le sol syrien (avant que les troupes russes n’interviennent en Ukraine, faisant capoter à la dernière minutes les vues militaires sur le Moyen-Orient – contexte qui n’est, bien sûr, pas rappelé). Quant au supposé imaginaire laïc autour d’Assad, une relecture d’Abdelwahab Meddeb (« La maladie de l’islam ») s’impose, qui replace les grandes lignées au pouvoir dans leur contexte de Guerre froide d’abord, puis avec les évolutions du tournant du XXe siècle (pour rappel, le livre de Meddeb est publié fin 2001, et c’est un essai magistral).
Peltier est une va-t-en-guerre : au-delà d’une intervention souhaitée en Syrie, l’intervention en Libye est rendue légitime par « les menaces réelles qu’avaient proférées Kadhafi et ses sbires à l’encontre de Benghazi ». Admirez le « menaces réelles ». Et de légitimer un peu plus l’intervention en faisant un parallèle avec l’Irak où « le pays n’était pas en proie à un soulèvement populaire ». Donc il faut intervenir en Syrie ? Allons plus loin : donc il aurait fallu intervenir en Tunisie, et avec Alliot-Marie, envoyer les forces de police française sur le sol tunisien ? Si l’on pousse le raisonnement de Peltier, voilà où l’on aboutit.
Problème de vocabulaire propre au cas syrien encore (p 91), le gouvernement Assad a fait face à un « mouvement de contestation citoyen ». Le choix du mot « citoyen » semble discutable, compte-tenu de ce qu’il sous-entend : non-violence, légitimité, etc.
Il est question (p 93) de la « frilosité de « l’Occident » à intervenir encore dans la région » (voir ce qui était dit plus haut par rapport à Hollande-Obama) et des « prétendues velléités occidentales de le [le gouvernement Assad] renverser ». Mais si ce n’était pas le cas, de quel interventionnisme parle-t-on ? Peltier n’explicite jamais ce qu’elle souhaite ou ce qu’elle aurait envisager pour la Syrie. Elle crache sur le régime Assad (libre à elle), mais ne parvient à aucun moment à indiquer quel parti pris est légitime (autre que l’intervention – concept bien vague et qu’elle ne remet jamais en doute malgré les ratés précédents). Au passage, la monstrueuse absence de la Libye des médias français, à peine évoquée par un rapide article dans Le Monde une fois tous les trimestres ne semble à aucun moment questionner Peltier. L’intervention était légitime là-bas, elle doit l’être également en Syrie, sans discussion ? Et ces vues sont, nous dit-elle, facilitées par « le complotisme ambiant en Occident ». Visiblement, je dois être complotiste selon la lecture que fait Peltier de l’histoire actuelle.

Voilà ce qui ressort du livre, une montagne confuse que j’ai tenté tant bien que mal d’ordonner, symbole de la confusion même du livre qui amalgame tout un tas de problématiques, et prétend parler d’un récit complotiste là où il évoque bien plus une méfiance à l’égard des médias et des politiques.
L’analyse volontairement axée sur des questions de narration rend encore plus confus le propos, comme s’il dénonçait une réalité d’abord construite par les mots plus que par les actes.
Et là où les véritables figures complotistes, au sens où elles réécrivent l’histoire ou en éjectent des parcelles pour offrir une véritable vision alternative du monde – Alain Soral et Dieudonné en tête -, sont évoquées, la majeure partie du livre ne réfléchit pas à ce qu’est ce type de lecture du monde.
Faute de définition, on sort du bouquin en croyant comprendre qu’il n’y a pas de véritable complot occidental, qu’il faut retrouver confiance dans nos gouvernements, mais que la Russie elle, oeuvre bel et bien dans l’ombre. Sentiment douteux donc, où il s’agit de distribuer des points à qui doit être remis en cause et qui doit recevoir notre confiance aveugle.
La majorité des groupes (de presse notamment) et personnes cités deviennent des objets de méfiance dès lors qu’ils contestent l’ordre des choses ; et c’est finalement une sorte de bien-pensance, une légitimité des actes politiques (français en particulier, et notamment l’intervention libyenne) qui semblent mis en avant.
Cela faisait longtemps qu’un livre ne m’avait pas inspiré un tel dégoût et tant énervé par son aspect agglutiné et incohérent tout à la fois. Imaginez quand même qu’on en vient à discuter Mennel ou Bertrand Cantat à cause d’un changement sémantique opéré depuis le 11 septembre ! Absurde.


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