La violence banalisée n'est pas celle que l'on croit.

Publié le 09 août 2020 par Juan

Tandis que Macron peine à cacher sa calvitie sur son jet ski à moteur polluant dans l'océan en face du Fort de Brégançon et qu'il donne des leçons au Liban endeuillé, l'équipe au pouvoir continue son offensive sécuritaire, cette fois-ci avec le concours du Figaro. Le thème est porteur - la banalisation de la violence.

Problème: les statistiques révèlent que la vraie nouveauté est dans les violences policières.

Merci Macron.

Dans son édition du 7 août 2020, le quotidien de la droite furibarde consacre sa une à l'insécurité, sous prétexte qu'il s'est procuré un " édifiant état des lieux dressé par les services de police et de gendarmerie". Ce rapport relate 72 heures de faits divers. 72 heures seulement, mais cela suffit à l'auteur de l'article, rédacteur en chef adjoint au journal, à considérer ces 72 heures de faits divers comme représentatifs d'une France de la "violence ordinaire". Et de dresser quelques lauriers, sans surprise, au ministre de l'intérieur.

"Témoins ou victimes de scènes insupportables empoisonnant leur quotidien et allant parfois jusqu'à la barbarie, nos concitoyens, livrés à eux-mêmes, sont au bord de l'asphyxie. Loin de vouloir euphémiser une situation qui vire au tragique, comme l'ont jadis fait certains de ses prédécesseurs à la Place Beauvau, Gérald Darmanin dégaine un discours cash et sans fard."

Fichtre !

Que les faits relatés soient insupportables, c'est indéniable. Mais alors quoi faire ? Depuis 2002, la France s'est doté de l'arsenal répressif le plus important que la République ait connu depuis Vichy: police et gendarmerie peuvent, légalement et sans le contrôle d'un juge, arrêter, séquestrer, fouiller, contrôler n'importe qui. Avant les exigences du port du masque pour cause de COVID, même un foulard sur un visage était interdit. La video-surveillance, qui faisait polémique à l'aube des années 2000, s'est généralisée. Les forces de l'ordre sont surarmées. Les bavures policières sont rarement sanctionnées, même quand elles sont filmées, dénoncées, démontrées. On a eu des lois anti-cagoule, l'extension des pouvoir de police judiciaire à tout agent de l'Etat, la légalisation dans la loi ordinaire de l'état d'urgence, le plan Vigipirate en permanence.

Que faut-il de plus ?
Le Figaro est coutumier de ces alertes anxiogènes. Mais quelle est la réalité ?

  • De septembre 2017 à février 2020 (avant le confinement, qui fausse les comparaisons), le nombre de crimes et délits est globalement stable, avec environ 225 à 230 000 actes répertoriés chaque mois, puis a progressé chaque mois depuis septembre 2019 (237 000 actes) à février 2020 (250 000 actes).
  • La hausse provient de toutes les catégories des vols sans violences (+4000), des escroqueries (+3000) des destructions et dégradations (+ 2000), des coups et blessures (+2000).
  • Pendant le confinement, les crimes et délits répertoriés se sont effondrés, et pour cause, les victimes ne pouvaient porter plainte. D'après plusieurs indicateurs, les violences domestiques se sont accrues, mais la mesure est imparfaite et, surtout, ce n'est pas le propos de cette "enquête" du Figaro.
  • Les "coups et blessures volontaires (sur personnes de plus de 15 ans ou plus)" étaient 21 000 fin février, soit leur plus bas niveau depuis août 2019 après des mois frôlant les 25000 cas. Mais depuis 2015, la hausse est réelle: +6000 cas entre 2016 et début 2020.

Mais le journaliste du Figaro reprend une ancienne méthode: il s'attarde sur les cas les plus extrêmes de la violence, la " barbarie", la violence " gratuite", la violence " incontrôlable" des " fous", des " barbares" et des " bandits", celle qui fait le plus peur et qui, pourtant et heureusement, reste la plus marginale ... et la plus stable depuis une décennie. Notez les exemples choisis:

  • À Lingolsheim (Bas-Rhin), une "demandeuse d'asile ukrainienne de 22 ans" qui "souffrirait de troubles psychiatriques", poignarde 4 personnes dans une association humanitaire (notons le qualificatif psychiatrique, rarement utilisée quand l'agresseur est d'origine arabe).
  • À Toulon, "un garçon de 18 ans, tué en pleine rue de quatre balles dans le dos et plusieurs dans la tête", septième règlement de comptes depuis le début de l'année 2020.
  • À Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), "berceau de violences urbaines endémiques, une quarantaine d'inconnus tendent une embuscade aux forces de l'ordre en leur jetant une pluie de bouteilles de verre et de pavés;"
  • "Le cimetière communal de Lézignan-Corbières (Aude) est profané";
  • Le maire de Miribel-les-Echelles (Isère) est roué de coups de poing pour avoir demandé "à un groupe de jeunes de cesser leurs tirs de mortiers sur la place du village" - notez l'expression "tirs de mortiers" qui évoque, à tort, l'usage d'armements militaires.
  • Un gendarme est "traîné par une voiture" dont le conducteur prend la fuite
  • À Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), "la brigade criminelle est saisie d'une énigme, après la macabre découverte d'un couple dénudé et tué par balles au domicile de la jeune femme."
  • À Bordeaux, "en pleine journée", "un dealer se fait couper une main à la machette" (quelle importance accordée au fait que le crime se déroule en journée ou la nuit ?)
  • Et le clou de cette énumération macabre, "à 22 heures, à Fomperron, village de 270 âmes dans les Deux-Sèvres, un quinquagénaire a vécu quant à lui une agression à domicile digne d'Orange mécanique : quatre malfrats armés et encagoulés ont surgi chez lui à 22 heures avant de tuer l'un de ses chiens et de le molester jusqu'à ce qu'il révèle sa cache de bijoux et de numéraires."

La conclusion de cet article sponsorisé par les services de l'intérieur va de soi: il y a de l' "ensauvagement" (Gérald Darmanin), "il y a une perte des repères, une perte des valeurs" (Éric Dupond-Moretti).

Il s'agit de faire peur, encore une fois, avec les mêmes explications simplistes qu'il y a 20 ans, à l'aube du sarkozysme sécuritaire.

La fuite de ce rapport rassemblant 72 heures d'anecdotes plus ou moins graves, sa recopie par un journaliste zélé sans aucun recul sur la réalité statistique de la délinquance en France, et les compliments complaisants glissés à Darmanin et Dupond-Moretti participent de cette opération de "reconquête" non pas républicaine mais politique et médiatique lancée par Macron pour la fin de son quinquennat.

Aussitôt publié, l'article est relayé par la fachosphère et les macronistes ( Dominique Reynié, Jean-Do Merchet) sur les réseaux sociaux. Sur CNEWS, plateau spécial avec un représentant de l'un des syndicats policiers les extrêmistes, Alliance: " Aujourd'hui, le problème c'est que l'uniforme ne fait plus peur, il n'a plus aucune valeur".

Mais qui peut ignorer ces images de pompiers frappés, d'infirmières tirées par les cheveux, de retraités gazés aux lacrymos, de lycéens agenouillés mains sur la tête ?

Le journaliste du Figaro occulte complètement le lien entre cette violence-là, désormais banalisée, et le contexte général: la délinquance a toujours existé, elle a même plutôt régressé sur certains indicateurs depuis 2012: les vols violents sans armes sont en baisse tendancielle depuis 2014, les vols avec armes également, tout comme les vols de véhicules; les cambriolages de logement sont stables.

En fait, la déliquance a progressé dans la même catégorie que les violences policières: les coups et blessures - 6000 cas supplémentaires par an. Autre progression grave mais marginale en nombre de cas: les homicides, qui ont progressé de 150 cas par an depuis 2017, pour atteindre 970 en 2019 (967 sur 12 mois glissants à fin juin 2020). Mais 970 meurtres sur 70 millions d'habitants (environ 16500 aux États-Unis).

Puisque Dupond-Moretti dénonce une "perte de valeurs", rappelons l'évidence: la vision quotidienne de policiers frappant des civils, en démocratie, n'est normale.

La violence qui s'est banalisée est aussi d'origine policière.

" Aujourd'hui, la frontière entre Etat policier et Etat de droit est beaucoup plus floue que ce dont on a l'impression. "
Geoffroy de Lagasnerie

Il est urgent de réparer les liens entre les forces de l'ordre et la population. D'après quelques enquêtes sondagières, près des deux tiers des Français estiment que la police fait preuve de racisme et de discrimination. La présidence Macron a abimé l'image de la police comme jamais depuis 50 ans. Christophe Castaner fut un piètre ministre, il a été couvert par Macron, il a couvert sa hiérarchie: le lien s'est abimé quand semaine après semaine les gens ont pu constater, de leurs yeux, que les flics tapaient tous azimuts, dans tous les âges, dans toutes les catégories sociales, et partout dans le pays.

La banalisation de la violence policière a été double: primo, la convergence des coupsest un fait historique: tout le monde est concerné, et plus seulement ces catégories aisément désignées comme des ensembles homogènes sociologiquement - - " jeunes de quartiers", " gens du voyage" etc. - ou politiquement - " activistes", "ultra-gauche" - et extérieurs à la normalité officielle. Secundo, cette violence policière frappe n'importe quand, et non plus lors de manifestations ou " émeutes": une marche de parents d'élèves, une protestation dans un lycée ou devant un hôpital, un contrôle d'identité, le port d'un gilet jaune, l'affichage d'un panneau hostile à Macron, un défaut de masque pendant le COVID.

Des policie tuent pendant de simples contrôles d'identité.

Des policiers font des croche-pattes à des vieilles dames, noient lors d'une Fête de la Musique, gazent des écologistes protestant sagement assis sur le sol, insultent sans sanction des centaines de prévenus dans le dépôt du tribunal de Paris.

On a déjà répertorié combien cette banalisation est frappante et problématique. Elle ne fait pas la " une" du Figaro. L'ampleur des discriminations non plus, malgré les reportages au long cours, tels que ceux des Jours.

Quel est l'impact de ces incivilités et de ces agressions commises par des hommes en uniforme sur le reste de la population ?

Le quotidien de la droite emboite le pas présidentiel: silence radio, aveuglement volontaire, déni de réalité sur la façon dont opèrent les forces de l'ordre en France.

La nomination de Gérald Darmanin, fidèle lieutenant sarkozyste, suspecté de viol et de trafic d'influence, ne répond pas à l'urgence de réparer les liens entre la police et la population, bien au contraire. Elle sert à faire diversion, et répéter l'exacte séquence pré-2002 où droite et extrême droite, complaisamment aidées par quelques perroquets médiatiques, ont théâtralisé quelques faits divers pour justifier une répression qui a depuis prouvé son échec.

Le sarkozysme sécuritaire a été pourtant un échec: Sarkozy, ministre puis président, n'a pas réduit la délinquance et la criminalité en France. Lui-même, avec une brochette de ses sbires les plus fidèles, est sous le coup de plusieurs enquêtes pour délit de corruption, de trafic d'influence, de subordination de témoins. L'heure du procès tarde, son fidèle Claude Guéant, qui a pu vendre à un tarif hors de prix quelques tableaux sans grande valeur à un intermédiaire en ventes d'armes, est soutenu par l'Élysée: la présidence Macron lui paye ses frais de justice - dans le cadre de la plainte instruite contre lui pour détournements de fonds publics... N'est-elle pas belle, cette vie-là ?

Darmanin et Dupond-Moretti, les deux Dupond et Dupond du nouveau spectacle machiste et sécuritaire, ont peine à faire oublier combien la présidence Macron est jalonnée d'affaires de corruption de l'éthique, de corruption tout-cours, de trafic d'influence, de violences sur personnes, d'escroquerie, et autres conflits d'intérêts. C'est une belle différence d'avec la présidence Hollande qui fut moins abimée sur ce terrain (Cahuzac), mais un beau lignage sarkozyste.

Jugez plutôt:

Ces apprentis Al Capone donnent des leçons de lutte contre la délinquance.

Ami macroniste, ne pars pas.

La nouvelle ministre de l'environnement vient de ré-autoriser les insecticides " tueurs d'abeilles ".

Lol.