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Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 353

Publié le 19 juillet 2020 par Antropologia

Mascarades

J’enfile mes gants jaune canari, mets masque et lunettes et, ainsi parée, me présente devant la porte barrée par une baguette en plastique. Elle s’approche et, soulagée, ravie même, me dit :

  • Ah ! Vous avez des gants !
  • Oui, je viens de les acheter pour pouvoir entrer…

Je remue mes mains jaunes simulant des marionnettes et glisse :

  • Je ne risque pas de voler !
  • Mais je n’en doutais pas.

Je suis un peu dépitée ainsi arnachée. L’odeur forte du latex, la macération des mains dans un mélange de sueur et de talc, m’incommodent déjà.

  • Le gel hydroalcoolique c’est bien aussi !

Elle rejette ma suggestion, un peu butée :

  • Je préfère les gants…

Il n’y a personne dans la boutique. La pancarte : « Masque et gants obligatoires. 3 personnes à la fois. Merci pour nous » n’est il est vrai guère engageante. Et quels vacanciers ont des gants à portée ?

Chaque été la vieille dame quitte sa boutique parisienne pour prendre ses quartiers sur la côte basque. Elle n’est pas très agréable mais j’essaie, par jeu sans doute, de l’amadouer au fil des ans. Elle entreprend de m’expliquer le classement des livres. Je l’interromps comme elle dérange mon désir de fureter :

  • Vous avez changé ?
  • Non !
  • Parce que cela fait des années que je viens !
  • Que cherchez-vous ?
  • Rien de particulier, c’est le meilleur moyen de trouver…

Ainsi éconduite elle s’éloigne un peu. Sans que je sache si c’est par curiosité ou pour rompre son ennui, elle me questionne à nouveau, veut savoir d’où je viens, quel est mon métier, sur quoi ont porté mes recherches…

Tandis que je suffoque dans mes accessoires anti-covid, je me rends soudain compte qu’elle-même ne porte pas de masque. Je le lui fais remarquer.

  • Mais nous sommes suffisamment éloignées ! Rétorque-t-elle sans que cela ne soit, son ton me le signifie, une invitation à baisser le mien. Et elle m’affirme, pleine d’assurance :
  • Mais moi je sais que je ne l’ai pas !

Puis ajoute :

  • Vous voulez que j’en mette un ?
  • Non, moi-même je n’en mets un que quand j’y suis obligée…

Nos fictions se rencontrent, rencontre arbitrée par son pouvoir de me contraindre…

Colette Milhé


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