Les impacts de la Crise COVID 19 sur le Droit de la Concurrence

Publié le 08 juillet 2020 par Infoguerre

L’Intelligence Juridique a pour objectif de montrer les avantages compétitifs du droit pour l’intégrer dans la construction des stratégies. Apprendre à décoder le contexte, clarifier le droit et les besoins en fabrique du droit, être interopérable pour dialoguer avec les autres métiers et co-construire des solutions avec les dirigeants sont les clés pour y parvenir. C’est ce que propose le MBA Exe d’Intelligence Juridique : https://www.ege.fr/index.php/les-formations-executives/formation-mba-intelligence-juridique.html.

L’Autorité de la concurrence a montré une grande réactivité face à la crise sanitaire COVID 19[1]

Elle a mis en place très rapidement, avec beaucoup d’efficacité, de nombreuses mesures dont un système d’autorisation sous conditions pour permettre à des entreprises de se regrouper ou de se coordonner pour produire plus pour la crise sanitaire. La question phare était simple : l’entente est-elle indispensable pour permettre l’approvisionnement de médicaments et dispositifs médicaux vitaux ? Mais ces mesures ne sont pas un blanc-seing et la mise en œuvre de l’entente est réalisée sous le contrôle de la Commission Européenne. La Commission (et les autorités nationales de concurrence) est restée et reste attentive pour lutter contre les ententes secrètes et les profiteurs de guerre qui seraient tentés d’abuser de position dominante au travers notamment de prix excessifs.

Les aides octroyés par l’État Français durant la crise sont inédits et considérables 

C’est un dispositif complémentaire au système d’autorisation temporaire d’ententes pour soutenir l’effort de guerre sanitaire. Mais leur total, qui est passé de 729 milliards d’euros le 21 avril à 1900 milliards d’euros le 9 mai, est d’une ampleur inédite dont on ne peut pas encore apprécier les conséquences. Les règles européennes en matière de contrôle des aides d’Etat devront donc s’adapter dans la durée pour permettre l’injection dans les entreprises européennes de fonds publics voire de nationalisations. Elles devront dans le même temps permettre de contrôler que ces politiques de soutien public ne créent pas de distorsions de concurrence entre les Etats-Membres. A la mi-Mai, la Commission (sur la base de deux communications adoptées en urgence le 19 mars et le 8 Mai) avait déjà approuvé 160 mesures nationales de soutien pour un total de l’ordre de 2000 Milliards d’Euros).

Le « gratuit » de certains services a des effets déstabilisateurs directs et indirects sur la concurrence

Le gratuit a permis à certains acteurs de capter une clientèle importante. Zoom par exemple, est passé de 10 millions d’utilisateurs à 300 millions pendant le confinement. Idem pour Amazon Prime Vidéo qui a fourni des accès gratuits. Les contreparties juridiques à la gratuité n’ont pas été étudiées. Des démarches prédatrices sont à prévoir sur des entreprises innovantes, affaiblies ou en faillite du type Killing acquisition ou Failing Firm Defence[2].

Les entreprises doivent renforcer leur veille pour anticiper leurs faiblesses et les mouvements de concurrents.

Les outils du droit de la concurrence existent depuis longtemps : ils ont déjà servi en 2008 pour faire face à la crise boursière. Des entreprises de secteurs très affectés par la crise vont devoir s’allier pour ne pas mourir. C’est un changement de paradigme majeur pour le droit de la concurrence. Il y a encore 10 ans, évoquer des cartels de crise était tabou. Pourtant, cette notion n’a pas toujours été considérée comme tel (ainsi, les cartels de crise étaient spécialement traités en Allemagne jusqu‘en 2005, et le maintien de l’emploi a été considéré dans le passé par la CJCE comme « un élément de stabilisation contribuant au progrès économique »[3]. Le pragmatisme doit donc dominer. Les autorités de la concurrence regarderont avec attention les situations qui nécessitent une collaboration entre entreprises, sous leur contrôle. Elles veilleront à ce qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence tout en tenant compte du plan de soutien massif des entreprises nationales qui est en lui-même une mesure de distorsion. Certaines licornes sont plus que jamais en danger. Une politique nationale peut renforcer les règles de concurrence pour empêcher leur rachat (par Google par exemple), en les combinant par exemple à un contrôle des investissements non-communautaires dans des entreprises européennes (cf le récent mécanisme de « filtrage » mis en place par la Commission et les récentes mesures nationales d’abaissement des seuils de contrôlabilité de tels investissements dans plusieurs États, dont la France). Par ailleurs, des nationalisations et des recapitalisations sont à prévoir car les prêts garantis par l’État français ne seront pas suffisants L’impact sur la concurrence peut être important du fait de la réduction du nombre de concurrents.  Cela conduirait à redéfinir les marchés de référence au sein de l’Union Européenne.

Le droit de la concurrence est une arme de guerre économique

Le droit de la concurrence doit être vu comme une bonne nouvelle pour les entreprises, comme un outil de compétitivité plutôt que comme un blocage car c’est un aiguillon de la productivité[4], une incitation à l’innovation dans la mesure où il empêche les économies de rente et les comportements prédateurs. Il évite aux entreprises d’être des victimes de cartels étrangers, parfois soutenus financièrement par leur état (la Chine par exemple), de prises de contrôle par des entreprises étrangères[5], de rachats hostiles (ex : l’Etat français a ainsi pu mettre son veto[6] sur le rachat par le géant américain Teledyne de Photonis, société française spécialisée en vision nocturne) ou d’abus de position dominante comme l’a montré la condamnation de Google[7]. Toutefois, le droit de la concurrence peut devenir un obstacle en cas d’asymétrie avec d’autres droits.

Le droit de la concurrence peut-être un facteur d’attractivité des investissements en France 

Difficile de compter sur l’OMC qui est moribonde aujourd’hui comme en atteste, notamment, la démission de directeur général en mai 2020[8]. Les US sont en train de redécouvrir les avantages des règles anti-trust après les avoir mis en sommeil pendant 20 ans[9]. La Chine a quant à elle, des pratiques spécifiques de conquête de marché. L’économie française va donc devoir compter sur les outils des droits de la concurrence français et européen, existants ou à créer pour résister à la crise.

De nouveaux géants européens sont à développer grâce à une politique industrielle forte. Une politique de défense commerciale est à construire, de même qu’une politique anti-dumping luttant contre les prix cassés, facilités par la vente sur internet. L’accès au marché de l’UE pourrait être en contrepartie d’une garantie d’accès aux marchés publics chinois par exemple. La politique de la concurrence peut aider à faire émerger des solutions de marché à condition qu’elle ne soit pas restrictive et qu’elle permette la création de champions Européens.

Les autorités de la concurrence ont un rôle important à jouer en apportant un regard sur les efficiences positives de concentration d’entreprises pour la nation. Vu l’âpreté de la concurrence, les entreprises ont besoin de règles claires pour pouvoir avancer vite sur les marchés, tout en donnant des garanties aux autorités du respect des règles de concurrence.

Si le droit de la concurrence a été créé au bénéfice du consommateur, il doit rapidement évoluer au bénéfice de l’ordre public économique.

4 instruments de lutte doivent venir renforcer les outils du droit de la concurrence :

(Compte-rendu de la conférence du 11 juin 2020).

Emmanuel Combe, Vice-Président de l’Autorité de la Concurrence,

Gabriel Lluch, Directeur Concurrence et Réglementation Télécom Orange,

Jean-Yves Trochon, Administrateur d’Honneur AFJE

Véronique Chapuis, directrice du programme Intelligence Juridique EGE

Notes

[1] https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/page-riche/covid-19

[2] https://www.concurrences.com/en/glossary/Failing-firm-defence.

[3] Cf CJCE, 25/10/1977, aff. Metro.

[4] Philippe Aghion, ouvrages.

[5] Vincent Brenot Pierre Sellal Emmanuel Weicheldinger, VOLATILITÉ DES TITRES, ACTIFS STRATÉGIQUES ET INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS, August & Debouzy, 13 mars 2020 : file:///Users/chapuis/Downloads/volatilite-des-titres-actifs-strategiques-et-investissements-etrangers.pdf. Nicola Bonucci, Sébastien Crepy et Camille Paulhac, Cabinet Paul Hastings.

https://capitalfinance.lesechos.fr/analyses/points-de-vue/controle-des-investissements-etrangers-vers-un-veritable-protectionnisme-europeen-1199488.

[6] https://www.usinenouvelle.com/article/bercy-oppose-officiellement-son-veto-au-rachat-de-photonis-par-l-americain-teledyne.N950621.

[7] https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/lautorite-sanctionne-google-hauteur-de-150-meu-pour-abus-de-position.

[8] https://www.latribune.fr/economie/international/le-chef-de-l-omc-bete-noire-de-trump-va-demissionner-en-pleine-crise-economique-mondiale-847815.html.

[9] Cf notamment l’ouvrage de T. Philippon : « The Great Reversal : How America Gave Up on Free Markets”, 2019.

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