[Critique] ANACONDA, LE PRÉDATEUR

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Critique] ANACONDA, LE PRÉDATEUR

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Titre original : Anaconda

Note:

Origine : États-Unis

Réalisateur : Luis Llosa

Distribution: Jon Voight, Jennifer Lopez, Ice Cube, Eric Stoltz, Owen Wilson, Kari Whurer, Jonathan Hyde, Danny Trejo…

Genre : Aventures

Durée : 1h29

Date de sortie : 25 Juin 1997

Le Pitch :

Des documentaristes engagent l’explorateur aguerri Paul Sarrone (Jon Voight), afin de retrouver une tribu légendaire vivant aux confins de l’Amazonie. Leur guide leur cache cependant son objectif personnel : retrouver le tout aussi légendaire anaconda géant qui sévit sur le fleuve, mettant ainsi en péril toute l’équipe …

La Critique de Anaconda, le prédateur :

1993 : un petit film avec des dinosaures rencontre un certain succès et fait école, les exécutifs hollywoodiens cherchant moins à prendre des risques en innovant que d’appliquer des formules gagnantes. Ainsi, les studios pensent que 1/ tout est désormais possible grâce aux images de synthèse et 2/ les concepts de série B remis au gout du jour avec des gros moyens ont les faveurs du public. Congo aurait pourtant du leur mettre la puce à l’oreille…

1997 : Columbia Pictures sort Anaconda sur les écrans du monde entier, un blockbuster estival doté d’un budget de 80 millions de dollars, filmé pour la majeure partie en décors naturels en Amazonie, et dont l’ambition secrète est peut-être de susciter chez le spectateur une psychose similaire à celle provoquée par Les Dents de la Mer? Sachant que le quidam se baigne plus rarement dans le fleuve Amazone qu’en bord de mer, Anaconda part déjà perdant et permet au spectateur d’appréhender le film avec tout le recul et le sang froid nécessaires…

Pour autant, Anaconda mérite-t-il les 7 Razzie Awards qui lui ont été décernés dont pire film, pire réalisateur ou encore pire acteur (Jon Voight) ?

Nid de vipères

Quand Sony/Columbia met le projet en chantier, les producteurs voient grand. Et si le casting final du film est rétrospectivement déjà étrangement solide (même si JLo ou Owen Wilson n’étaient pas encore des stars confirmées et Danny Trejo ne vantait pas encore les délices de préparations tex mex via nos petites lucarnes), la liste des noms considérés est encore plus fascinante: à la place de Jon Voight furent ainsi envisagés Tommy Lee Jones, Liam Neeson, Jean Reno, John Malkovich, Kirk Douglas, Harrison Ford, Jack Nicholson et même Sir Sean Connery!

Jennifer Aniston, Juliette Binoche, Nicole Kidman, Kim Basinger et Sandra Bullock doivent encore se mordre les doigts d’avoir décliné le rôle tenu par Jennifer Lopez.

Quant à Eric Stoltz, ses concurrents de casting avaient pour noms Ben Stiller, Billy Crystal, Dennis Quaid et… Michael J Fox ! Tout le monde connait bien sur l’anecdote de Retour vers le Futur, où Eric Stoltz fut remercié après 2 semaines dans le rôle de Marty Mc Fly car Robert Zemeckis trouvait qu’il ne collait pas à sa vision du personnage. Avec Anaconda, Eric Stoltz égalise à la marque en coiffant Michael J. Fox au poteau… Mais y a-t-il vraiment égalité ? D’autant plus que le personnage incarné par Stoltz se retrouve sur le banc de touche après une petite vingtaine de minutes à l’écran…

Anaconda Now

Les moyens logistiques déployés pour le tournage sont conséquents: l’équipe aura passé plusieurs mois au Brésil, dans la jungle hostile et des conditions de tournage pour le moins humides et aventureuses.

Le réalisateur Luis Losa, dont les précédents films (Sniper avec Tom Berenger et L’Expert avec Sylvester Stallone et Sharon Stone) affichaient déjà un gout prononcé pour les ambiances moites et tropicales, souhaite que son film exulte un authentique parfum d’aventures, pas qu’il ressemble à une excursion organisée – et si le résultat avait été à la hauteur des ambitions (toutes relatives pourtant), Anaconda aurait pu être l’ Apocalypse Now du film de grosse bêbête!

D’ailleurs, pour quiconque apprécier a cinégénie de la jungle, il est permis de passer un bon moment grâce au travail de Bill Butler à la photo. L’homme n’a pas été choisi par hasard, lui qui a shooté Les Dents de la Mer pour M. Spielberg 20 ans auparavant. Mettez-nous deux minutes dans la tête d’un exécutif: « tournage dans l’eau? check. Créature assoiffée de sang qui rôde ? check. ». Le C.V. de Butler inclut également Rocky (du premier au quatrième inclus), Conversation Secrète, Grease, Capricorn One ou encore Jeu d’Enfant. Ici, il adopte une au format scope de toute indiquée pour renforcer le caractère infini de la jungle via une maitrise consommée de la composition du cadre, lequel exploite pleinement la luxuriante végétation brésilienne. Il n’est pas interdit de trouver magnifique la scène ou l’équipage rencontre Paul Sarone (Jon Voight) sous une pluie diluvienne. Et on appréciera aussi de trouver un écho (auto-citation ?) de la façon dont Butler utilisa jadis la caméra subjective pour suggérer la présence du requin dans le générique des Dents de la Mer, technique que l’on retrouve dès la scène d’ouverture d’Anaconda également.

Pour l’anecdote, Butler avait déjà 75 ans en 1997, un fait notable car le tournage en Amazonie ne dut pas être des plus confortables pour le senior, ne serait-ce qu’à cause de l’humidité, des températures, la boue et les insectes. Tout aussi notable est le fait que non seulement il a survécu au tournage d’Anaconda, mais notre homme est toujours parmi nous! Il a soufflé ses 99 bougies cette année et dire que son dernier film remonte à 2009… Respect!

« L’horreur ! L’horreur ! » Colonel Kurtz

La filiation d’ Anaconda avec Apocalypse Now ne se limite pas au concept de l’équipage en voguant sur un long fleuve tout sauf tranquille : Jon Voight, dans le rôle de Paul Sarone, en fait des tonnes, comme pour livrer sa propre version du colonel Kurtz. Hélas pour lui (mais pour notre plus grand plaisir masochiste), si sa performance doit être comparée à Marlon Brando, c’est plutôt du côté de L’Ile du Dr Moreau qu’il faudrait chercher ! Comment oublier cette scène dingue durant laquelle Jon Voight se fait gober par l’anaconda puis régurgiter vivant mais tout englué, en adressant un clin d’oeil malicieux à une Jennifer Lopez horrifiée ?

Mais les bons « mauvais films » ont cette distinction d’avoir été réalisé avec cœur et application, comme si le réalisateur était convaincu d’accoucher d’un grand film. Loin du cynisme des productions Asylum (Sharknado et mille autres films aux titres tout aussi inspirés), Luis Llosa y croit clairement et se fend même d’une petite idée ou deux de mise en scène quand il fait de Paul Sarone l’alter ego humain du serpent: il faut voir Jon Voight jouer de son regard tout reptilien ou encore se castagner sans frapper son adversaire mais tentant plutôt de l’immobiliser et l’étouffer entre ses cuisses, « anaconda style »! Pour souligner encore la synergie entre le méchant humain et le reptile, Llosa s’amuse tout au long du film à resserrer ses cadres pour également « étouffer » les protagonistes encore vivants. Pas sur que Renny Harlin ait autant réfléchi sur Peur Bleue, mais gageons qu’ Anaconda a du pas mal inspiré et décomplexé le norvégien quand il a mis en scène sa version à lui des Dents de la Mer. (NDR : attention, il n’est pas question ici de dire que le Llosa est meilleur ou pire que le Harlin; nul besoin de dégainer un argument Godwin pour si peu quand on peut aimer les deux films !).

Kaa de divorce

Le serpent était déjà la cause de la CHUTE du Jardin d’Eden mais il est aussi le principal responsable de l’échec d’Anaconda. Votre serviteur aime à dire que si on coupait tous les passages mettant en scène le serpent à l’écran, on obtiendrait un bien sympathique film d’aventures à l’ancienne… A condition de changer le titre pour ne pas tromper le chaland sur la marchandise toutefois!

Si la décision de Columbia de mêler un animal animatronique à des images de synthèse était définitivement la meilleure approche à adopter en 1997, et c’est la toute jeune compagnie Sony Pictures Imageworks fondée en 1993 par le studio (détenu par Sony depuis 1989) qui se chargea des effets numériques qui, déjà à l’époque, paraissaient unilatéralement ratés, à cause d’incrustations voyantes en raison de trop grandes différences d’exposition et de colorimétrie. Or, la majorité des apparitions du serpent se passe en plein jour, sans possibilités de cacher la misère dans la pénombre. Ajoutons à cela des idées redoutablement tordues que la plus grande suspension d’incrédulité aurait peine à nous faire avaler, comme la silhouette de Owen Wilson déformant le corps du serpent après que celui-ci l’ait avalé tout cru… Ou quand le rire le dispute à la stupéfaction, la perplexité au respect face à l’aplomb de celui qui ose tout, comme cet autre moment d’anthologie ou le serpent rattrape au vol en un type qui vient de sauter d’une corniche, tel un simulacre de saut à l’élastique !

Sony Pictures Imageworks redressera heureusement vite la barre avec Starship Troopers et d’autres projets qui l’amèneront aujourd’hui à figurer parmi les meilleurs sociétés de SFX, en signant par exemple les effets des deux derniers Spider-Man.

L’objectivité critique nous force cependant à saluer la bonne tenue de l’anaconda animatronique du film, d’une taille imposante, et qui nous fait dire que le film aurait gagner à miser sur cette version, certes plus limitée dans ses déplacements, mais qui, bien utilisée et bien « caché » comme le fut le requin chez Spielberg, aurait permis d’accoucher d’un film bien plus probant. Car rien n’aura jamais vieilli aussi vite que les effets numériques trop ostentatoires du milieu des années 90 (osez revoir Le Cobaye, Harcèlement ou The Mask, juste pour rire) alors même que ceux-là de Jurassic Park, Terminator 2 ou Abyss, utilisée avec discernement et parcimonie, tiennent toujours la route. Il faut savoir tirer le meilleur parti de tous les types d’effet et les utiliser à bon escient- CQFD.

« Pousse l’ananaconda et moue le café »

L’échec critique et commercial d’Anaconda (encore que le film soit malgré tout rentré dans ses frais et les ventes vidéo n’ont pas démérité) a eu raison de la carrière américaine de Luis Llosa et c’est bien dommage, tant ses films respiraient une saine envie de divertir. Depuis 2000, il s’en est retourné dans son Pérou natal ou, loin des gros moyens dont il disposa à Hollywood, il a produit une bonne dizaine de séries télévisées, dont des télénovelas, ces soap-operas qui nous paraissent si ridicules parce qu’ils ne sont ni américains, ni francais, mais qui ne sont au fond pas pires que tous nos CSI et Joséphine Ange-Gardien (NDR: notez ma façon d’éclabousser tout le monde…)

En Bref…

Anaconda – un bon film ? Objectivement, non. Mais son réalisateur a vraiment essayé et ça fait toute la différence entre le simple mauvais film et le candidat au titre de « plaisir coupable » ! Car c’est cette impression de regarder se vautrer devant tout le monde un type se préparant à lire un éloge funèbre, qui force la sympathie envers cette pure série B mais friquée comme un projet de prestige. À l’image de cette scène édifiante où l’équipage jette l’ancre aux abords d’une chute d’eau et que, lorsqu’ils repartent, on voit l’eau de la cascade REMONTER, le monteur ayant en effet ré-utilisé le plan d’arrivée en le faisant défiler à l’envers. On imagine que la seconde équipe a simplement oublié de filmer le plan nécessaire… 80 millions de dollars de budget et plusieurs mois de tournage dans la jungle pour arriver à ça? Tout l’esprit d’Anaconda contenu dans une scène ! Alors certes, le film flirte avec la honte à plusieurs reprises… mais comme disait l’autre: « c’est bon la honte ! ».

@ Jérôme Muslewski