Commençons par la bonne nouvelle. Après des années de déni, et probablement sous l'effet accélérateur – sinon déclencheur – de la crise du coronavirus et de son impact sur le trafic en agence, les institutions financières se décident enfin à déployer de manière industrielle la distribution en ligne de leurs produits et services. Il devient désormais possible de souscrire une assurance ou d'ouvrir un compte d'épargne, où et quand on le souhaite, sans se déplacer et sans devoir échanger des documents physiques.
Certes, la démarche est loin d'atteindre sa cible ultime, la couverture de 100% du catalogue (pour le Crédit Agricole, seules quelques solutions d'assurance et d'épargne sont disponibles), elle emprunte des détours incongrus (que viennent faire des offres d'abonnement à des magazines dans cet espace ?), et elle concerne exclusivement les clients existants, mais on peut légitimement espérer que, le mouvement étant désormais sérieusement engagé, il se prolongera progressivement jusqu'à son terme naturel.
En revanche, cette première étape de dématérialisation des processus fait maintenant ressentir avec d'autant plus d'acuité l'immense étendue du chemin qui reste à parcourir vers la « digitalisation » de la banque. Car la sorte de place de marché qu'elle présente sur son site web n'est finalement qu'une vitrine de son savoir-faire et de ses exploits, sans aucune utilité pour son client, ce dernier restant confronté à une liste brute (et incomplète, à ce jour) de produits parmi lesquels il est censé savoir s'orienter et faire ses choix.
Ces approches totalement auto-centrées sont particulièrement choquantes de la part d'établissements mutualistes, qui vantent sans cesse leurs valeurs de proximité et d'accompagnement, jusqu'à les inscrire dans leurs (simulacres de) raisons d'être (toujours pour le Crédit Agricole : « il conseille ses clients avec transparence, loyauté et pédagogie »), qui se trouvent de la sorte vidées de leur sens à peine énoncées.
Leurs dirigeants sont invariablement prompts à souligner que la qualité la plus importante dans leurs métiers, notamment en comparaison des nouveaux entrants, réside dans le conseil. Alors pourquoi est-il absent de leurs plates-formes web et mobiles ? Et à quoi sert de pouvoir souscrire en toute autonomie un contrat en ligne s'il faut au préalable interroger un spécialiste pour vérifier qu'il correspond bien à un besoin ?
Prenons l'exemple de l'épargne (dont l'assurance-vie fait évidemment partie, quand on prend le point de vue du consommateur). Il ne serait pas si complexe, pour démarrer, de déterminer la situation actuelle du visiteur (l'avantage du client existant !) afin de le guider vers les « bonnes » pratiques à adopter (créer une réserve de secours, préparer un projet de voyage, anticiper l'achat d'une maison…) et lui indiquer les produits adaptés, ainsi que leurs usages (un compte d'épargne n'est utile que s'il est alimenté !).
Si j'étais (vraiment) cynique, j'insinuerais que, en dehors du marketing, cette logique de conseil est fondamentalement étrangère à la banque (aussi bien dans son modèle de relation humaine que sur internet), celle-ci n'étant fondamentalement intéressée qu'à distribuer un maximum de produits. Quoi qu'il en soit, les attentes de leurs clients évoluent rapidement et leurs avancées sur la dématérialisation constituent une opportunité en or pour développer une véritable expérience « digitale ». Qui saura la saisir ?
Nouveauté repérée grâce à Semaphore Conseil (merci !)