À l'instar de tant d'autres établissements, vers la même époque, sous la pression émergente des premiers trublions de la FinTech, le groupe néerlandais désirait riposter en développant une solution 100% « digitale » aux côtés de son catalogue traditionnel, distribué par son réseau d'agences. Afin de marquer son avantage historique, il choisissait d'y intégrer une gamme élargie, composée, entre autres, d'un compte courant, de divers produits d'épargne (voire d'investissement), de prêts personnels et immobiliers…
Arrive 2020 et la pandémie, qui incite toutes les entreprises à s'interroger sur leurs stratégies et à réévaluer toutes leurs branches d'activité. Surgissent alors les questions cruciales, trop vite évacuées au démarrage du projet et totalement oubliées plus tard, tant que la croissance constante du nombre de clients faisait illusion : quels sont les facteurs de différenciation de Moneyou et sont-ils suffisants pour espérer atteindre la rentabilité un jour ? Une fois posées, l'évidence s'impose et conduit à arrêter les frais.
Les réponses que fournit ABN AMRO dans son annonce officielle sont, en soi, édifiantes. Ainsi, elle justifie sa décision par, d'une part, son incapacité à rester concurrentielle dans un contexte de taux d'intérêt durablement bas et, d'autre part, ses excédents de liquidité, qui éliminent le besoin d'une entité focalisée sur l'épargne. En résumé, la proposition de valeur de Moneyou se résumait donc à des rendements attractifs pour les clients et un accès à des fonds pour la banque ? On est bien loin d'une vision « digitale » !
Face à une telle absence de clairvoyance, faut-il vraiment s'étonner que, même après avoir séduit plus de 500 000 adeptes, l'aventure se conclue par un naufrage ? Sauf dans quelques très rares cas, quand un acteur détient la clé d'une efficacité opérationnelle exceptionnelle, les pratiques de dumping économique – qu'il s'agisse de prix bradés ou de rémunérations alléchantes – ne peuvent constituer qu'un instrument de conquête, temporaire, et ne suffisent jamais à bâtir une solution viable à long terme.
En réalité, l'exemple de Moneyou est caractéristique d'une génération entière d'initiatives concoctées dans les banques aux alentours de 2010… et peut-être aussi celles de certaines startups suscitant aujourd'hui des inquiétudes. Imaginées et conçues comme des alternatives en ligne aux offres classiques, elles ont cherché à attirer les consommateurs par leurs politiques tarifaires. Dix ans plus tard, la « digitalisation » s'étant généralisée et aucun véritable nouveau modèle n'ayant été élaboré, ces dernières constituent leur seule spécificité, et elle menace structurellement leur pérennité.