Dans les années 1860, le Second Empire est à son apogée en France. C'est alors que Napoléon III fonce tête baissée dans le guêpier mexicain. Il fomente le projet ambitieux de transformer ce pays, où règne une guerre civile des plus sanglantes, en empire orbite de la France. Il s'agit ainsi de conserver une mainmise économique et politique sur le pays et de contrecarrer la puissance des États-Unis sur le continent américain. Vaste dessein...
Un trône empoisonné
Son prétexte officiel pour justifier cette ingérence ? Ramener l'ordre au Mexique et forcer son président, le libéral et anticlérical Benito Juarez, à payer les dettes colossales de son pays. L'empereur des Français réussit ainsi à convaincre l'Angleterre et l'Espagne d'intervenir militairement. Son pantin ? L'archiduc Maximilien, frère de l'empereur d'Autriche François-Joseph Ier. C'est à ce prince désœuvré, qui cherche à donner un but à son existence, que l'on offre la couronne du Mexique. Ce jeune homme de 30 ans, qui se sent bridé dans ses convictions libérales par son frère, finit par accepter la proposition. Il entraîne dans cette aventure hasardeuse son épouse Charlotte de Belgique, qui partage ses ambitions.
C'est avec angoisse que sa mère l'impératrice douairière Sophie le voit prendre le large... Elle est tellement convaincue qu'il s'agit d'une erreur qu'elle ne peut plus contrôler son stress et est prise de crampes et de vomissements pendant les nombreuses semaines de silence, temps nécessaire à la traversée. Hélas ! Ses craintes vont s'avérer fondées...
L'entreprise tourne très vite au fiasco. Incontestablement, Maximilien et Charlotte ont été trompés sur les désirs de la population, qui n'attendait pas du tout la venue salvatrice d'un prince étranger. En mai 1866, Napoléon III décide de rapatrier progressivement ses troupes. Le contexte international tendu qui nécessite de rassembler ses forces armées justifie son choix. Abandonné par les troupes britanniques, espagnoles puis enfin françaises, Maximilien refuse d'être reconduit en Europe par le maréchal Bazaine.
Tandis que Charlotte tente le tout pour le tout en suppliant Napoléon III de venir en aide à son mari (tentative inutile qui sera un véritable point de rupture pour son équilibre mental), Maximilien subit déboires sur déboires. Trahi par les siens, il est capturé par les forces républicaines le 15 mai 1867, au terme d'un siège de deux mois de la ville de Querétaro, dans laquelle il s'était retranché. Il est conduit au Couvent des Capucins et enfermé dans une cellule lugubre, sans fenêtre et meublée sommairement.
Juarez a toujours clamé qu'il se montrerait inflexible. Les puissances européennes qui sollicitent sa clémence ne l'émeuvent pas le moins du monde. Après une parodie de jugement, le prince est emmené sur la colline qui domine la ville de Querétaro. C'est là qu'il est fusillé par Juarez le 19 juin 1867 devant un mur de brique édifié à la hâte, avec deux de ses généraux. Maximilien a demandé à ce que l'on épargne son visage pour que sa mère puisse le reconnaître... Il a aussi refusé qu'on lui bande les yeux.
L'Europe sous le choc
La pauvre Sophie est anéantie. Elle ne se remettra jamais de la mort de Maximilien et son énergie légendaire n'est plus qu'un lointain souvenir après cet épisode dramatique. Elle vieillit d'un coup, n'attendant plus que la mort vienne elle-aussi la cueillir : ce sera chose faite 5 ans plus tard.
La nouvelle de la mort horrible de Maximilien se répand dans Paris et dans toute l'Europe dès le 1er juillet. La presse indignée n'a de cesse d'élever " le malheureux prince autrichien " (Le Temps) en héros et martyr, qualifiant cet assassinat de " crime de lèse-majesté ". (Gazette nationale). Le 4 juillet, Charles Gaches, rédacteur en chef du Mémorial de la Haute Loire, laisse éclater sa colère et sa consternation :
Maximilien est mort ! Maximilien a été fusillé ! Terrible nouvelle qui depuis vingt-quatre heures roule de bouche en bouche et glace l'Europe d'épouvante et d'horreur ! Encore s'ils l'avaient frappé dans le combat ou bien dans ce premier moment de furie qui succède parfois à la victoire ; mais non ! Ils l'achètent à prix d'or, lâchement, le font comparaître devant un simulacre de tribunal, le gardent trente-quatre jours en prison, comme pour lui rendre un peu d'espoir, puis ils le tuent. Et Juarez se drapant dans son forfait, déclare qu'il ne rendra pas le cadavre ! Qu'il le garde ; ce cadavre est bien à lui, et il le gardera éternellement.
Avec une rhétorique plus sobre, Henri Rochefort, journaliste du Figaro, invite au recueillement :
Le lecteur comprendra, j'en suis sûr, que sous l'émotion provoquée par le drame qui vient de se passer, je m'abstienne de lui jouer mon vaudeville ordinaire à la première page du Figaro. Nous n'avons pas l'intention de prendre le deuil pendant vingt et un jours, nous demandons seulement à cesser de rire pendant quelques heures.
De nombreux journaux louent les qualités morales du disparu et encensent sa personne. Ainsi le Courrier de Saône-et-Loire:
Descendant de ce glorieux Empereur Charles-Quint sous le régime duquel Ferdinand Cortez et ses hardis compagnons fondèrent la monarchie mexicaine, l'Empereur Maximilien, archiduc d'Autriche, (...) ce prince élevé dans les idées modernes et dans la pratique du gouvernement, semblait désigné par la Providence pour créer dans le nouveau monde un établissement digne de sa maison et des souverains qui s'étaient empressés de la reconnaître dès son avènement au trône. Depuis cinquante ans le Mexique était en proie à la plus affreuse anarchie, au pillage et à la guerre civile. Celui qui voulait consacrer ses efforts à pacifier le pays, à combler l'abîme des révolutions, à rétablir l'ordre et à tâcher de rendre heureuses des contrées si favorisées du ciel, ce monarque, trahi par un de ses sujets qu'il avait comblé de ses bienfaits, vient de tomber sous les balles des assassins.
Le Courrier de Bourges en rajoute une couche : " L'Empereur Maximilien, n'écoutant que son courage et les instincts chevaleresques de sa race, avait refusé, malgré les plus pressants conseils, de quitter le sol du Mexique avec l'armée française. Il est allé ainsi avec une intrépidité rare, au devant de la trahison et de la mort. "
La vérité est que ce prince séducteur, rêveur et idéaliste n'avait pas l'intelligence politique nécessaire pour réussir dans la tâche immense qui lui avait été confiée... Toujours est-il que sa résignation courageuse face à la mort le transforme en martyr. L'imaginaire s'emballe et " de sinistres commentaires circulent " selon le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire : " On donne d'affreux détails sur le supplice de l'Empereur ; son cadavre aurait été pendu et aurait subi des outrages d'une dépravation et d'un cynisme inouïs. "
Élucubrations bien naturelles quand on sait que Juarez refuse longtemps de rendre le corps de sa victime... C'est seulement le 18 janvier 1868 que la dépouille de Maximilien rejoint la crypte des Capucins de Vienne. Avant la cérémonie, Sophie s'est recueillie devant la dépouille de son fils, ainsi qu'elle le relate, brisée, dans son Journal. Elle a tenu à être seule pour pouvoir s'agenouiller près du cercueil, " y appuyer ma tête et mon visage au-dessus de la place où je supposais qu'était sa poitrine percée de 4 balles. "
Le Journal de Montélimar souligne que toutes les Cours d'Europe, auxquelles le prince était lié par ses ancêtres ou par son mariage avec la princesse Charlotte de Belgique, sont pareillement touchées par cette funeste nouvelle : " La mort de ce prince, en effet, est pour bien des maisons régnantes, non un deuil d'étiquette, mais un véritable deuil de famille. "
Les États-Unis pointés du doigt
Le Courrier de Bourges relève de son côté les réactions des journaux new-yorkais :
Le New-York Times parle du " meurtre de Maximilien " et stigmatise ses auteurs comme étant des " monstres ". Il ajoute que cela convaincra le monde que l'empereur avait raison, et que " des hommes capables d'un pareil crime sont incapables du self-government, de se gouverner eux-mêmes ".
Certains journaux commencent pourtant à blâmer l'attitude des États-Unis qui, neutres au début de la guérilla car alors en pleine guerre de Sécession, ont fini par se ranger du côté de Juarez. La Gazette de France s'en indigne :
Un article sur le Mexique, par M. de Kératry, vient d'être publié par la Revue des Deux-Mondes. Cet article contient une lettre très importante, adressée par M. Lincoln à Juarez, dans laquelle le président des États-Unis promet de fournir " des armes, de l'argent et des hommes pour combattre l'intervention française ". Et cette promesse a été tenue par M. Lincoln, ainsi que par son successeur, M. Johnson. Voilà qui explique bien des choses.
Au contraire, le Journal des débats politiques et littéraires s'érige en défenseur des États-Unis. Tout en précisant que " les Etats-Unis ont fait ce qu'ils ont pu pour faire respecter en dernier lieu les droits de l'humanité ", donc pour éviter l'exécution de Maximilien, le journal remet les pendules à l'heure :
Quant à avoir fait aussi tout ce qu'ils pouvaient pour accélérer la chute du nouvel empire mexicain, il serait par trop étrange de vouloir leur en faire un crime, et de leur reprocher d'avoir souhaité l'insuccès d'une entreprise officiellement dirigée contre eux, et commencée au moment même de leur plus grave péril intérieur. Si, par hypothèse, un pays quelconque à nos portes, vivant sous notre influence, gravitant dans notre orbite et regardé par nous comme une future annexe, était envahi par une armée américaine arrivant avec le programme d'ériger une digue anglo-saxonne pour arrêter l'invasion de la race latine, nous voudrions bien savoir de quel œil la race latine regarderait cette expédition, et si elle se croirait obligée de la saluer de ses vœux. La république américaine a eu le droit de regarder l'entreprise du Mexique comme une attaque directe contre elle.
Cet assassinat qui provoque une onde de choc dans l'Europe entière inspire au peintre Édouard Manet l'un de ses tableaux les plus audacieux : L'Exécution de l'empereur Maximilie n. Très attaché à cette peinture, Manet ne peut évidemment pas l'exposer avant la chute du Second Empire...
Je termine cet article en me posant la même question que Le Courrier de Bourges au sujet du prince assassiné : " Qu'allait-il faire dans cette galère ? " ...
Sources
♦ L'abondante presse de l'époque sur l'évènement
♦ Charlotte, la passion et la fatalité de Mia Kerckvoorde
♦ Sophie de Habsbourg, l'impératrice de l'ombre de Jean-Paul Bled
♦ Le sang des princes (Collectif - Presses Universitaires de Rennes)