Jérôme Meizoz est spécialisé en sociologie de la littérature et également écrivain. Dans son dernier ouvrage il synthétise de façon originale (le concept de « posture littéraire » est présenté par le moyen d’un dialogue) ses réflexions à propos de la posture particulière de romancier. Un des grands intérêts de son travail tient à la fécondité de son approche, à la croisée de la sociologie et de l’analyse littéraire. Son livre permettra aux lecteurs novices de se faire une bonne représentation de l’état des recherches dans ce domaine.
Le premier chapitre de l’ouvrage est donc consacré à la présentation sous forme d’un dialogue du concept de posture littéraire. Ce dernier s’inscrit dans une tradition d’analyse de la position d’auteur, à laquelle Pierre Bourdieu a contribué en développant le concept de « posture d’auteur ». La naissance d’une posture propre aux écrivains est concomitante de l’autonomisation du champ littéraire et de son régime de justification. Ainsi, du moment ou la littérature est devenue une fin en soi, un champ autonome, les écrivains ont perdu leur légitimité qui était extérieure à la littérature, « ils ne pouvaient s’autoriser que d’eux mêmes ». C’est ce changement que se propose d’analyser l’auteur en cherchant à en montrer les conséquences au niveau de l’analyse sociologique et littéraire de la littérature et de la posture moderne d’écrivain. L’ouvrage présente d’abord dans deux chapitres les analyses et réflexions concernant les notions de « posture » et « d’auteur ». Ensuite, Jérôme Meizoz applique ce programme à propos d’auteurs de la littérature francophone.
La notion de « posture » nous semble intéressante à saisir pour toute personne souhaitant aller au-delà des discours rébarbatifs sur le poids croissant de la logique commerciale dans la production littéraire contemporaine. Le sociologue précise que cette notion ne renvoie pas à un acte promotionnel, cependant il ne nie pas que la médiatisation n’enduit pas des postures plus réflexives de la part des auteurs. La « posture » n’est pas non plus une invention moderne, elle est sans doute liée à tout acte de création. Ce sont ces formes qui changent. Ainsi, sans généraliser à outrance il semble indéniable que les auteurs contemporains appartiennent à la culture de masse, à une société qui se « spectacularise » pour reprendre l’analyse de Debord. On sait par exemple que Beigbeder vient de la communication et met au premier plan cette image dans ses fictions. Cette nouvelle mise en scène des auteurs et de leur production est donc tout à fait centrale dans l’évolution du champ littéraire. De même qu’ont pu le montrer les études sur la réception des œuvres, les auteurs se positionnent par rapport à d’autres postures plus anciennes. Jean-Jacques Rousseau a pu reprendre la posture des philosophes antiques tels que Socrate ou Diogène mettant l’accent sur la volonté de renoncer aux honneurs pour énoncer librement des idées pénibles à entendre. Rousseau a adapté différentes traditions, différents imaginaires sociaux pour se composer sa propre posture. Il s’agit de se créer une identité publique qui se détache de la personne civile. Les pseudonymes illustres parfaitement cette logique. Il s’agit bien souvent de démultiplier la stricte identité civile de l’auteur. On peut citer l’évolution du pseudonyme de Serge Gainsbourg à celui de Gainsbarre à la fin de se carrière artistique.
La posture est une construction, une réinvention d’une histoire individuelle, d’une trajectoire sociale parfois. Elle tisse des liens entre différents aspects de la vie de l’auteur, en plus de ceux inventés ou mis en scène. Le chapitre sept de l’ouvrage consacré à la posture d’écrivain paria chez Céline permet de bien comprendre ce processus de construction d’une identité artistique à partir d’éléments choisis et modelés de sa vie professionnelle en particulier. Ainsi, sa profession en l’amenant à soigner les plus défavorisés lui donne une légitimité pour raconter la noirceur de la condition humaine. Cette autorité est complétée par celle d’une personnalité accablée, qui paie de son sang la mission qui lui est assignée, celle de dire aux humains des vérités insoutenables, mais en quelque sorte pour leur bien, pour les guérir...
Notre présentation souhaite inciter les lecteurs à parcourir cet ouvrage, qu’ils soient ou non connaisseurs des travaux en sociologie de la littérature. Ils y trouveront beaucoup de satisfaction dans la compréhension du « métier » d’écrivain, de ses enjeux, de ses logiques. Ceux qui voudront aller plus loin dans les travaux de Jérôme Meizoz pourront ensuite lire avec autant de profit les chapitres consacrés à des œuvres et des auteurs en particulier. Ils trouveront une analyse des postures littéraires de Céline, Cendrars ou encore Ramuz.
par Benoit