En 1996 personne ne donne très cher du devenir des Manic Street Preachers. Leur figure de proue Richey Edwards, principal pourvoyeur de slogans situationnistes et de poses destroy est porté disparu depuis un an (sa voiture retrouvée près d'un pont notoirement célèbre pour ses suicidés) et n'est pas réapparu. Le décès du Teddy Vrignault du rock ne sera officiellement prononcé qu'en 2004. La carrière de ce groupe atypique chouchou de la perfide Albion qui à la manière d'un Jam y aura bâti une carrière en autarcie paraît alors au point mort.
Les Manics, purs gallois jusqu'à leurs patronymes (Edwards, James, le vrai nom du bassiste Nicky Wire) et comme leurs "compatriotes" musiciens célèbres (John Cale / Julian Cope) sont des indomptables qui sont cependant fautes de frasques scandaleusement ignorés ou dépréciés malgré leurs légions de fans fidèles et énamourés,
Qu'à cela ne tienne l'aventure doit continuer : à ce sujet, l'intitulé quelque peu convenu qui donne son titre à l'album n'est pas seulement un avatar de The Show Must Go On mais aussi le titre d'une pièce écrite (un clin d'oeil donc) par Patrick Jones, le frère de Nicky Wire. Les Manic Street Preachers même amputés d'un membre ont en effet suffisamment de ressources pour continuer leur oeuvre contre vents et marées.
Ne bénéficient-ils pas après tout en leur chanteur guitariste James Dean Bradfield d'un compositeur de premier ordre, en vérité seul véritable dépositaire de la manne mélodique en compagnie du batteur Sean Moore, les James Hetield et Lars Ulrich du rock anglais ! D'ailleurs Richey n'est pas totalement absent de ce premier album "d'après" : un bon tiers des (excellents) textes sont de sa plume et de celle de son dégingandé double de trait(s) et d'écriture Nicky Wire;
Exit les treillis, les discours arrogants des débuts ("Nous voulons vendre plus de disques que Guns N'Roses"), les postures punk ou autres scarifications "4 real" de Richey qui s'était entaillé son bras de ce motto sans concession au cutter face à l'incrédulité d'un journaliste qui questionnait l'authenticité du groupe.
Place aux plus consensuels bras de chemise et pantalons de toile. Le défaut majeur des Manic Street Preachers était de ne briller que par intermittence sur disques et des singles majeurs ("Slash 'N'burn", "Motorcycle emptiness", "Love's sweet exile", "She is suffering") ?
Et par intermittence sur album (cette face B étouffante évoquant la déchéance de Richey sur The Holy Bible qui plombait l'ensemble) ? Le désormais trio allait remettre les pendules à l'heure sur ce 4ème long format, transformant même l'essai deux ans plus tard avec son petit frère jumeau This Is My Truth Tell Me Yours.
Sur ces deux disques et plus particulièrement tout au long de Everything Must Go vendu à plus de 2 millions d'exemplaires et qui reste à juste titre le favori du groupe, James Dean Bradfield se surpasse tout au long d'une pop particulièrement chiadée et arrangée. En vrai leader musical du groupe - toutes les parties de guitares sont siennes sur les albums, Richey faisant alors de la figuration - Bradfield noue d'impeccables séries d'arpèges, manie comme personne l'art des cordes à vide : la magnifique " A design for life" qui obtiendra un grand succès (à l'image de l'album) en tant que single, la doucereuse "Small black flowers that grow in the sky" qui traite de la maltraitance animale.
Ose et use d'imparables tuning en sol, comme sur le classique "Kevin Carter", qui en mode le poids des mots, le choc des photos évoque le destin sacrifié du photographe rendu célèbre par son prix Pulitzer et sa photo polémique.
Débarrassés du nihilisme de leur principal parolier, les Manic Street Preachers font la part belle à l'art pictural ("A design for life" encore, "Interiors" à la gloire de l'expressionniste Willem de Kooning), abordent l'américanisation des esprits ("Elvis impersonator : Blackpool pier" et sa belle harpe en intro), le tout sous forme de refrains et couplets entêtants.
James Dean s'époumone et montre quel grand vocaliste il est sur ces désormais incontournables du répertoire Manics : "Enola/Alone", "Kevin Carter" sur laquelle Sean Moore en bon acolyte se fend lui-même d'un solo de trompette réjouissant., "Everything must go" et ses cordes empreintes de majesté...
Bien-sûr, pour ne pas heurter leur public ou par manque d'inspiration, les Manic Street Preachers passé l'épisode pop reviendront à de nouvelles postures punk surfaites, ne retrouvant qu'ici ou là la grâce mélodique de leurs premiers exploits.
Mais l'intelligence de leurs textes, l'esprit gang "un pour tous" du trio, sa persévérance en feront pour toujours le groupe le plus marquant et le plus important du renouveau brit-pop. Auquel les Manic Street Preachers eurent l'élégance et la pertinence de ne jamais s'associer. Au grand dam de journalistes avides de sensationnel qui depuis toujours n'avaient cru bon de retenir de la trajectoire du valeureux groupe qu'un fait divers sordide.
En bref : jamais pleinement compris de leur vivant mais adulés par une cohorte de fidèles, ceux que l'on surnomme les Manics signaient là leur disque le plus classiquement et outrancièrement pop de leur carrière. Sobriété et musicalité étant alors devenus les maîtres mots.