J’ai voyagé pendant cinq ans auprès des Inuits du Grand Nord québécois. J’ai eu le mandat des Centres de santé du Kuujjuaq et de Puvingnituq pour intervenir auprès des communautés Inuites en vue de résorber les épidémies de suicide qui régnaient dans certaines communautés de la baie d’Ungava et de la baie d’Hudson.
Raymond Viger Dossier Autochtones
Cinq années où j’ai aussi enseigné avec l’Université McGill l’intervention de crise auprès de personnes suicidaires dans le cadre du bac en Travail social pour les Inuits. Un enseignement qui a permis aux Inuits de devenir autonomes et de pouvoir former leurs propres intervenants.
Rupture générationnelle
Pendant ces années à côtoyer les différentes générations inuites, on remarquait facilement que les Elders (les sages de la communauté et les grands-parents) ne parlaient qu’inuktitut. Les parents quant à eux avaient passé par les pensionnats fédéraux, ces écoles où les Blancs ont tenté de couper les racines des enfants inuits en n’y apprenant que l’anglais. Et les Inuits plus jeunes, qui eux, étaient allés dans les nouvelles écoles francophones que le gouvernement du Québec avait instaurées afin d’éviter leur assimilation aux anglophones.
En plus d’avoir tenté de faire disparaître l’inuktitut, cette langue se laisse influencer par les autres langues que nous parlons. Un Inuit qui parle anglais ne parle plus le même inuktitut que l’Inuit qui parle français.
En tant que Blanc qui parlait anglais et français, j’ai eu à faire la traduction entre deux Inuits qui ne réussissaient plus à communiquer ensemble! Inacceptable.
L’intérêt du Grand Nord
Avant l’arrivée des Blancs, les Inuits étaient en pleine possession de leurs moyens, fiers et heureux de leur mode de vie.Il y a une cinquantaine d’années, peu de gens se préoccupaient des Inuits. L’intérêt s’est réveillé avec les grands projets hydro-électriques de Robert Bourassa et la volonté de René Lévesque d’avoir un drapeau québécois à travers tout le territoire.
Les années 1970 marquent l’arrivée d’un certain nombre de Blancs dans le Grand Nord. Pour certains, des repris de justice en cavale, des gens endettés qui ont voulu fuir leurs créanciers, des alcooliques, des toxicomanes… Le Grand Nord commençait à importer du Sud alcool et drogue.
Les nouveaux arrivants du Sud amenaient avec eux de nouveaux comportements: violence familiale et conjugale. Ces hommes ont épousé des Inuites et élevé des enfants dans un climat de violence inconnu des habitants du Grand Nord.
Les gouvernements amenèrent ensuite dans le Grand Nord de nouvelles technologies et forçaient un peuple nomade à vivre des changements de mode de vie drastiques.
Migration forcée
En 1953, dans le contexte de la Guerre froide, le Canada subissait une grande pression de la part de la Russie quant au droit de propriété sur certains territoires du Grand Nord. Le gouvernement force alors 87 Inuit de Port Harrisson (aujourd’hui Inukjuak) à s’exiler à 1200 kilomètres plus au nord en les dispersant à Resolute Bay et Grise Fjord dans l’Extrême-Arctique. Les conditions de survie entre le Grand Nord québécois et les archipels du Grand Nord sont très différentes. L’Extrême-Arctique est situé aussi loin de Port Harrisson que celui-ci est situé de Montréal!
C’est 20% de la population d’Inukjuak qui a ainsi été forcé de migrer pour «sauver» les archipels canadiens du Grand Nord. Et ce n’est qu’en 1988 que le Canada leur a offert de retourner dans leur village natal! Pour certains Inuits, c’était un retour vers un village qu’ils n’avaient même pas connu!
Suicide inuit
Connaissant les causes de la crise vécue par le peuple Inuit, c’est avec une profonde honte de ce que nos gouvernements ont fait subir aux Inuits que j’ai passé ces cinq années auprès d’eux. Des gouvernements qui ont pris des décisions et les ont imposées, sans consulter la population, autant Inuite que Québécoise du Sud. Nous avons été le virus de ce grand peuple du Nord. J’en reviens avec une grande fierté de les avoir connus et d’avoir eu la chance de travailler auprès d’eux.
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