Je parle, évidemment, de l'émission qui a été diffusée et qui, dans les restrictions sanitaires que nous subissons, ne pouvait guère être meilleure. Par contre j'ai un avis plus sévère sur le fond.
Le palmarès démontre, une fois de plus, que le jury tourne en rond et ne voit pas qu'il y a beaucoup de nouveaux talents à récompenser. Sur les 19 statuettes attribuées ce soir, seulement 5 l'ont été à des artistes qui étaient pour la première fois nominés et qui reçoivent leur première statuette, voire deux d'un coup pour Elodie Menant.
Que Pauline Bureau n'ait toujours pas de récompense pour une pièce grand public relève pour moi du scandale même si elle a eu le Molière du Jeune Public pour Dormir cent ans. Entendons-nous bien : je ne dis pas que les artistes récompensés ne le méritent pas mais je dis qu'il est temps de mettre en lumière d'autres comédiens et d'autres metteurs en scène que les "grands" toujours nominés, toujours talentueux et donc systématiquement honorés.
Imaginez qu’un écrivain reçoive le prix Goncourt tous les cinq ans ! Le théâtre souffre suffisamment d’un manque de reconnaissance pour que les institutions qui président à sa destinée aient la clairvoyance d’honorer de nouveaux talents, à charge pour les "anciens" de maintenir le leur. Et l’audience serait sans doute plus forte.
On adore Alexis Michalik mais il devrait être "hors course". Christian Hecq également. Sans doute l'académie des Molières gagnerait à imaginer un autre podium pour donner un coup de chapeau à ceux qui enchainent succès sur succès. Ajoutez le fait que les votants vont très peu au théâtre (j'insiste, et je persiste) et vous aurez l'explication à ce phénomène. Ils votent pour leurs copains même s'ils ne sont pas allés les voir ... puisqu'ils sont eux-mêmes sur un plateau au même moment, ... la belle excuse.
J'ai envie de l'applaudir depuis mon fauteuil en imaginant qu'il partage mon point de vue. Sa petite phrase semble insignifiante et pourtant comme il a raison car même si on se réjouit pour lui, comme on se réjouira plus tard pour Christine Murillo et pour Dominique Blanc.
Marie-Sophie Lacarrau, laquelle fait office de présentatrice et de présidente, le pousse par l’épaule pour le passage en "loge rapide". On comprendra que ce dispositif, avec le surgissement de la statuette depuis le dessous de scène, a été imaginé pour pallier les craintes provoquées par la crise sanitaire du Coronavirus. En tout cas cette mini-interview, en voix off, fait penser à celles de "la boîte" de Canal+. C’est un moment d’intimité que le téléspectateur est invité à partager avec le lauréat. Niels rappelle que la fiction imaginée entre Mark Rothko et son assistant porte le titre de rouge qui était la couleur préférée du peintre, une couleur obsessionnelle qui lui ramenait un peu d’énergie, (mais qui -je le précise- ne le sauva pas pour autant puisqu'il se donna la mort).
Le palmarès va continuer sans remettant cette année. Avec, on peut le craindre, moins de spontanéité, une émotion plus contenue, moins palpable. La tension est effacée dans la salle. On sait d’avance que personne ne la quittera poing levé en signe de protestation.
Fallait-il y voir un lien avec l'habitude, désormais entrée dans les moeurs des communicants de tout traduire en langue des signes ? La choré n'a pas bougé mais elle est cette fois exécutée loin du champ d'herbes folles, en intérieur et sans accordéon. Ils introduisent à merveille la remise du Molière du spectacle musical qui est attribué à Est-ce que j'ai une gueule d'Arlette ? grand succès du festival d'Avignon il y a deux ans.
Comment un bébé monstre sacré devient comédien monstre sacré ? Le Molière de la révélation masculine est remis à
Brice Hillairet qui remarque : Mon premier contrat fut une doublure Molière pour la cérémonie 2003. Je n’imaginais pas la suite.Il est de nouveau question de la différence entre comédiens de cinéma et comédiens de théâtre avant un hommage aux textes (beaux) dits par Guy Bedos et Muriel Robin et un nouvel extrait d’une ancienne cérémonie. Le temps commence à peser. C'est alors qu'arrive un de ces beaux moments d'émotion qui justifie que l’on soit resté devant notre poste de télévision car les rediffusions des séquences passées, même si elles sont cultes, on les connaît par coeur.La remise du Molière de la Comédie pour La Vie trépidante de Brigitte Tornade, de Camille Kohler, mise en scène Eléonore Joncquez, au Théâtre Tristan Bernard provoqua une explosion de joie entre les deux femmes.
Camille Kohler a fait alors une déclaration tonitruante, réjouie de le recevoir, marquant à jamais sa première soirée des Molières, sa première télé, sa première pièce de théâtre qui n’était à l'origine qu’une pièce de théâtre radiophonique sur France Culture.Place à Audrey Fleurot et Charles Berling, lequel établit un parallèle entre l’autorisation de voyager dans les avions et les trains, qui sont bondés de monde, alors que les théâtres sont vides. Laissez-nous remplir les salles ! s'écrit-il.
Nous eûmes ensuite un nouveau moment d'émotion avec la chanson
Black the colour (Of My True Love's Hair) de Nina Simone interprétée par Jina Djemba dans un petit moment suspendu ... devant une salle qu’on découvre vide à la faveur d’un contre-champ. Je salue d’autant plus la performance de l’artiste qui chantait sans être portée par l’émotion du public. N’oublions pas que traditionnellement la cérémonie est enregistrée en direct, et n'est diffusée qu'avec juste un léger différé. Toutes les "surprises" de ce soir ont été ajoutées au montage.Il est dommage qu'on n'ait pas dit quelques mots de la pièce
Miss Nina Simone qui se joue au Théâtre de l’Œuvre, d'après le roman de Gilles Leroy qui permet de suivre les derniers moments de la vie de la légende du Jazz que fût Nina Simone.Pauline Bureau, nominée encore cette année pour le Molière du metteur en scène de théâtre public, repartira encore bredouille. Qui sait si les choses changeront avec sa nouvelle pièce, Féminines ? Cette fois encore c'est un homme qui le reçoit, Simon Abkarian, pour "Electre des bas-fonds". Il aura aussi celui de l’Auteur francophone vivant, et celui tout à l'heure du spectacle de Théâtre public, donc trois statuettes ce soir (qui s'ajoute à celle qu'il a déjà eue pour Une bête sur la lune en 2001). On la fait sans argent. Les acteurs et les actrices sont des cascadeur des émotions, nous dira-t-il. On a recyclés des costumes. Ariane Mnouchkine a ouvert son théâtre. On a fait tout cela avec beaucoup de joie et de solidarité.
Ce Molière de l'auteur francophone vivant avait été annoncé par une
Noémie Delattre en pleine forme pour pointer le ridicule de la formule et suggérer de l'appeler "Molière de l’auteur ou autrice francophone". Elle insiste à juste titre sur les corrections orthographiques qui transforment autrice en autruche et metteuse en scène par menteuse en scène. Quant au mot "vainqueur" il exclut acclament le féminin, ce qui lui fait conclure que l’autre moitié de l’humanité n’a pas de nom ni de modèle. Alors nommons les femmes, s'exclame-t-elle !Son spectacle le Banquet avait été couronné l'an dernier de deux statuettes, le
Molière de la Révélation féminine pour Ariane Mourier et celui du Metteur en scène dans un spectacle de Théâtre public pour Mathilda May.Arrive le moment des hommages. Je note quelques noms dont je ne me souvenais pas qu’ils avaient disparu. Je les garde dans mon coeur sans les reprendre ici. Isabelle Carré revient avec une deuxième robe, intitulée Save the Ocean, et plaisante qu'il en aurait fallu une troisième Save the Theater ... alors qu'on en vient à regretter l’incursion des intermittents. Non ce ne sont pas des profiteurs. Sans eux pas de festival et ils apportent des touristes en région et en France.
Et comme aurait pu le dire Marie-Sophie Lacarrau en conclusion : Allons tous au théâtre ... ou regardons la télévision, la programmation est d’exception pour France 2 tout l’été.
La statuette des Molières inspirée d'un buste en marbre représentant Jean- Baptiste Poquelin dit Molière, sculpté par Jean-Antoine Houdon en 1773 et fondu par la société Susse, Pauline Bureau, Niels Aretrup et André Dussolier, Géraldine Martineau, François Morel, Alexis Michalik, Pascale Houbin et de Philippe Decouflé, le spectacle Est-ce que j'ai une gueule d'Arletty, Clémentine Célarié, Christian Hecq, Elodie Menant, Dominique Frot, Jean-Pierre Daroussin, Alex Lutz dans le film Guy, Béatrice Agenin et Arnaud Denis dans Marie des Poules, le spectacle Plus haut que le ciel, Isabelle Carré Christine Murillo, Mathilda May avec Victor Haim et Pascal Légitimus, l'incursion d'intermittents en 2019, un éventail et le hall des Folies Bergère lors de la cérémonie 2018.
Molière de la Comédie : "La Vie trépidante de Brigitte Tornade", de Camille Kohler, mise en scène Eléonore Joncquez, Théâtre Tristan BernardMolière de la Création visuelle : "La Mouche", d’après George Langelaan, mise en scène Valérie Lesort et Christian HecqMolière du Spectacle musical : "Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?", de Eric Bu et Elodie Menant, mise en scène Johanna Boyé, Théâtre du Petit MontparnasseMolière de l’Humour : "Alex Lutz", de Alex Lutz et Tom Dingler, mise en scène Tom DinglerMolière du Jeune public : "La Petite sirène", d’après Hans Christian Andersen, mise en scène Géraldine Martineau, Studio-Théâtre de la Comédie-FrançaiseMolière du Seul/e en scène : "Monsieur X" avec Pierre Richard, de Mathilda May, mise en scène Mathilda May, Théâtre de l’AtelierMolière du Comédien dans un spectacle de Théâtre public : Christian Hecq dans "La Mouche"Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre public : Christine Murillo dans "La Mouche"Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre privé : Niels Arestrup dans "Rouge"Molière de la Comédienne dans un spectacle de Théâtre privé : Béatrice Agenin dans "Marie des poules"Molière de la mise en scène d’un spectacle de Théâtre public : Simon Abkarian pour "Electre des bas-fonds"Molière de la mise en scène d’un spectacle de Théâtre privé : Alexis Michalik pour "Une histoire d’amour"Molière de la Révélation féminine : Elodie Menant dans "Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?"Molière de la Révélation masculine : Brice Hillairet dans "La Souricière"Molière du Comédien dans un second rôle : Jean Franco dans "Plus haut que le ciel"Molière de la Comédienne dans un second rôle : Dominique Blanc dans "Angels in America"Molière de l’Auteur francophone vivant : Simon Abkarian pour "Electre des bas-fonds"Molière du spectacle de Théâtre public : "Electre des bas-fonds"Molière du spectacle de Théâtre privé : "Marie des poules"