Il avait attiré mon attention lors de la présentation de la rentrée littéraire, décalée plusieurs fois par son éditeur.
Elle a 13 ans le 13 juillet 1789, et elle cherche dans la bibliothèque bien garnie de son père un livre qui, surtout, ne soit pas "léger" mais "un ouvrage coriace qui lui donnerait du fil à retordre, un texte qui réclamerait toute son attention" (p. 8) et on devine que la jeune Sophie veut distraire son cerveau des horreurs qui se déroulent dans la rue.
Ce sera l'Histoire des mathématiques que Jean-Etienne Montucla a racontée en deux épais volumes de six cent pages chacun, attisant une curiosité sans limites pour ce champ scientifique qu'elle va creuser toute sa vie.
Mais pour le moment ses parents voient son engouement d'un très mauvais oeil. On considère alors que les femmes ont un esprit limité et elles n'ont le droit que d'apprendre à lire, écrire et compter. On peut lire (p. 65) pour justifier un projet d loi portant défense d'apprendre aux femmes de lire cet argument édifiant prônant que les cuisinières qui ne savent pas lire sont celles qui font la meilleure soupe.
Ils privent la jeune fille du moyen d'étudier le soir et surtout la nuit. Mais rien n'y fait, elle ne lâche pas ses calculs, qu'elle poursuit sans chauffage et sans vêtements chauds, au risque d'y perdre la santé. Alors sa mère compatissante va céder et son père l'accompagnera chez le libraire pour s'approvisionner en traités de mathématiques. Le soutien de ses parents lui est désormais acquis.
L'auteure fait de discrètes allusions aux conditions de vie pendant la période révolutionnaire, comme le port obligatoire de la cocarde que l'Ecole des loisirs a choisi de faire figurer en employant la couleur (p. 36-37). Le rasoir national (la guillotine) tombe régulièrement mais Sophie ne renoncera jamais à ses incursions dans sa librairie préférée du 21 Quai des Augustins.
Elle apprend le latin, rencontre en 1795 (elle a 19 ans) Antoine Augustin Le Blanc qui vient d'intégrer la toute nouvelle école Polytechnique qui lui est fermée puisqu'elle est une femme. Sylvie Dodelier s'amuse d'ailleurs à expliquer aux lecteurs qu'il fallut aux femmes attendre 1972 pour passer le concours d'entrée. Elle a retranscrit (p. 44) une incroyable interview entre Anne Chopinet et un journaliste étonné qu'une jeune femme puisse "accidentellement" dépasser les garçons puisque non seulement elle intègre Polytechnique mais en plus elle se classe major. Ce monument de misogynie méritait bien d'être pointé, tout comme les articles si scandaleux du Code civil de Napoléon publié en 1804 et qui fait perdre à la femme le peu de liberté que la révolution française lui avait octroyée (p. 117).
Sophie se lie d'amitié avec Antoine Augustin et le convainc de partager ses cours avec elle. Elle ruse en signe des billets en son nom pour dialoguer avec un des professeurs, Joseph Louis Lagrange, un des plus grands mathématiciens de l'époque qui, en la rencontrant découvre la supercherie mais admiratif du talent de Sophie, lui ouvrira d'autres portes. Elle utilisera malgré tout le nom d’emprunt de 1794 à 1807.
La jeune femme est décrite comme fougueuse, et son intelligence est finalement reconnue, bien davantage que celle des "femmes savantes" pointées au siècle précédent par Molière, et qui sont davantage dans le paraître. Elle va s'atteler pendant des années sur les nombres premiers, finira par mettre au point un théorème qui portera son nom, entretiendra une correspondance avec le mathématicien allemand Carl Friedrich Gauss et sera connue (un peu, ... hélas et uniquement des mathématiciens) pour ses travaux sur l’élasticité des corps. Elle deviendra en 1816 la première femme récompensée par l’Académie des sciences mais, écoeurée de n'avoir pas reçu l'invitation en avance elle ne se présentera pas à la remise de son grand Prix.
Son nom ne sera pas gravé sur la Tour Eiffel parmi les 72 savants les plus marquants depuis la Révolution Française, comme aucune autre femme d'ailleurs, pas même Marie Curie. On désigne cette amnésie dans l'importance de la contribution féminine au développement scientifique sous le terme d'effet Matilda (p. 133).
Il était donc temps de rendre hommage à la grande mathématicienne, physicienne et philosophe française Sophie Germain (1776-1831) surtout dans un livre qui se lit avec beaucoup de plaisir. Puisse ce brillant esprit, peu connu du grand public, devenir par sa force de caractère un modèle à suivre pour décider les jeunes filles à s'engager dans les filières scientifiques !
Allez avec vos enfants au Palais de la découverte. On y voit en ce moment l'exposition De l'amour ... et on peut y faire l'expérience de l'acousticien allemand Chladni, décrite p. 95 et qui est à l'origine des illustrations qui émaillent chaque nouveau chapitre du livre.
Sylvie Dodeller est elle aussi curieuse de choses nouvelles. Il parait qu'elle est une insatiable arpenteuse des rues du vieux Paris, dévoreuse de romans historiques et de biographies. Elle écrit dans un style accessible et précis, pour redonner vie au quotidien d'autrefois. Toujours à l'Ecole des loisirs elle a aussi publié :
- La Fontaine, en vers et contre tout ! Médium 2017
- Léonard de Vinci - Artiste ? Vous rigolez. Médium poche 2009
- Molière - Que diable allait-il faire dans cette galère ?