Même cette prouesse de jeu est à mettre au crédit de la dramaturgie puisque le spectacle raconte la nuit de réveillon d'un homme dont le nom se restreint à une initiale, et qui va se résoudre à prendre une décision radicale pour sortir du cauchemar "ordre-ordonner-ranger-dépoussiérer-rendre évident et être rigoureux".
Il est désigné par son prénom, Etienne, suivi d'un A ... comme Amazon peut-être, la multinationale pour laquelle il travaille de nuit comme "piqueur" à l’entrepôt de Saran (Loiret). On a de cette firme une vision très noire dans le dernier film de Ken Loach, Sorry we missed you qui m'avait considérablement choquée.
La vie des employés français est différente, en raison de lois protectrices qui empêchent pour le moment leur ubérisation. Ils ne sont pas contraints à s'endetter pour avoir le "droit" de travailler. Il n'empêche que ce boulot qui s'organise sous le faisceau rouge de l'horloge numérique n'est pas très joyeux, c'est le moins qu'on puisse dire, surtout pour ce trentenaire, encore jeune, qui rentre chez lui au petit matin dans sa Citroën ZX Tonic et, qui, lorsqu'il s’endort, rêve de cartons à expédier.
Dans sa vie ordinaire, dont les journées sont des nuits rythmées par les pulsations des caristes dont le public perçoit le bruit mat de leurs engins, l'extra-ordinaire serait d'arriver à parler avec sa collègue Sandrine et de parvenir à ébaucher une déclaration. Difficile quand on est relégué depuis 5 ans en zone C, parmi les objets retournés non distribués commandés sur Amazon où, c'est bien connu on achète tout et n'importe quoi, sans même parfois réfléchir. Le nom de l'entreprise a été choisi pour être prononçable dans de nombreuses langues et suggérer le "tout est possible ... de A à Z", souligné d'un trait qui a l'allure d'un sourire afin d'inspirer la confiance.
Son père a un problème à la hanche. Son ex-femme travaille chez Patàpain. Son fils joue à cache-cache sous la plateforme de la voie d’essai de l’aérotrain. Et en cette nuit de Noël, alors que dans les maisons voisines on termine la bûche et on ouvre ses cadeaux, Étienne A. réalise qu'il est tout le monde et qu'il est personne, ce qui justifie qu'il se mette dans la peau de son père maitrisant difficilement la jalousie de son chien, de Lucie, son ex- femme, de son fils, de sa collègue, de son chef qui lui conseille avec insistance de retrouver l'envie du début ... jusqu'à être Mamie Nova, mais quand il redevient lui-même il prend cruellement conscience qu'il "n'a pas perdu le temps, il a perdu la rencontre" et s’offre, pour la première fois, l’occasion de rêver sa vie autrement : il entre dans un carton de l’entrepôt, s’y enferme et attend d’être expédié ailleurs.A un peu plus de trente ans Etienne A. avait pourtant encore la vie devant lui pour la vivre pleinement. Florian Pâque dresse le portrait poétique d’un de ces invisibles de nos sociétés, condamné à accepter ce qu’on lui impose, à se taire et à continuer malgré tout ... jusqu'à peut-être renoncer à chercher sa place, sans suivre le conseil de sa mère : Un rêve ne se rêve pas, un rêve ça se réalise.
On aimerait en débattre ensuite dans un axe cette fois politique. Demander par exemple à la décoratrice (Marlène Berkane) quelle intention elle avait en disposant des gilets jaunes qu'on aperçoit sur les cartons coté Cour. Au concepteur de la bande-son pourquoi il a choisi Ma p'tite chanson (1960) de Bourvil et surtout celle de Johnny Hallyday (1963) pour clôturer la représentation avec Pour moi la vie va commencer. Ou à l'auteur en rappelant le grand rêve technologique que fut l'Aérotrain dont la voie d'essai Cercottes-Chevilly-Artenay demeure une cicatrice encore visible dans les champs de blé. Jean Bertin, après avoir imaginé en 1961 le "coussin d'air" (utilisé encore aujourd'hui par les overcrafts) a voulu transposer dans le domaine ferroviaire avec un appareil qui aurait relié Orléans à Paris en quinze minutes alors qu'il fallait une heure avec le train Corail.
Et puis bien entendu aussi à propos du slogan d'Amazon, cité naturellement dans le spectacle : Work hard. Have fun. Make history. qui est placardé au-dessus des portiques de sécurité.
En tout cas, ne faites pas comme Etienne A. et ne perdez pas la rencontre. Seconde chance du 6 novembre au 2 janvier à 19 h30 dans la petite salle parisienne de La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris.
Etienne A., par la Cie Le Théâtre de l’Éclat et Compagnie Le Nez au Milieu du Village
Texte et mise en scène : Florian Pâque, Scénographie : Marlène Berkane, Avec : Nicolas Schmitt
Au Gymnase Lundi 13 juillet à 17h30 / Mercredi 15 à 17h30 / Vendredi 17 à 17h30
Le ParisOFFestival :Du 13 au 18 juillet 2020Au Théâtre 14 - 20, avenue Marc Sangnier - 75014 Paris - Renseignements au 01 45 45 49 77Au Gymnase Auguste Renoir - 1 square Auguste Renoir - 75014 ParisAvec les aides et partenariats de la Ville de Paris et la Mairie du XIV°, Un été particulier, l'Adami, la SACD, l'ONDA, le CentQuatre, la MAC de Créteil et Le Monfort.