C'est Jean-Philippe Chabrillangeas qui avait demandé à Roxane Bertrand, chercheuse au CNRS & AMU, Laboratoire Parole et Langage à Aix-en-Provence, d'animer la rencontre dans le jardin d'Élan Sud le 26 juin dernier. Il avait apprécié la façon dont elle avait rendu passionnante une table ronde autour du roman policier à l'Antre des livres.
Voici la transcription de ses notes qui ont permis de structurer sa rencontre et d'exprimer son ressenti sur le romanOn a cloné mamie !
Merci Roxane pour ce temps passé à préparer avec autant de soin et d'enthousiasme cette rencontre
, Jean-Philippe Chabrillangeas, Hors collection, éd. Élan Sud
On a cloné mamie est une épopée, une sorte de " roman sur la route " de la Provence à l'Auvergne, le récit d'un voyage vers ailleurs (même si ce n'est pas dans des contrées sauvages ou exotiques), mais précisément dans des lieux qui a priori ne sont pas très vendeurs, du moins pour le personnage principal.
C'est un voyage pour une destination non pas mythique, mais du moins inconnue, et surtout voyage pour retrouver quelqu'un, un voyage pour se connaître un peu mieux soi-même et ceux qui nous entourent - comme souvent les récits de voyage -, un retour vers le passé pour mieux comprendre également ce que sont réellement les personnes avec lesquelles on vit, sans toujours bien savoir leurs motivations à être ce qu'ils sont ou ce qu'ils deviendront.
Ce périple se présente comme un " chemin de croix " vers l'Auvergne tandis que s'éloigne la destination rêvée qu'est Sanary. On a envie d'y voir un parallèle entre le chemin vers l'Auvergne et son propre chemin de vie, au cours duquel le narrateur dégomme ceux qui l'entourent.
Ce récit à la première personne permet de décrire à la fois des situations, mais aussi des pensées intimes, des sentiments, des expériences, qui donnent au lecteur un accès plus personnel, et en même temps une vision assez subjective puisque le récit n'est jamais que celui du " je " narrateur.
Mais sans doute encore plus important ici, le narrateur est une femme, écrite par un homme. Vision très lucide, sans concession, parfois crue des différents personnages qui l'entourent.
Assez cocasses tout en étant extrêmement banals (pour l'époque), les personnages sont ancrés dans le monde contemporain (les ados, le mari qui bosse pour Monsanto). Beaucoup d'humour, de causticité pour dépeindre ses personnages.
Peu de dialogues, mais souvent une ou deux tirades très courtes, assez drôles et révélatrices de ce que sont les personnages. Beaucoup de passages nous font revenir à la réalité la plus banale, la plus dérisoire, la plus navrante.
À noter, les animaux, du furet au perroquet, en passant par les chèvres qui tout le long du roman ont une importance réelle, et qui permettent un clin d'œil au titre même du bouquin (cf la chèvre Dolly).
La description des différentes caractéristiques de tous ces personnages nous fait découvrir l'univers de la narratrice et permet de créer, de ressentir réellement le monde dans lequel elle évolue. Tout est dépeint avec une précision d'orfèvre, un mélange d'humour et de poésie savamment dosé.
Les paysages, les lieux sont décrits de manière caustique et à la fois très poétique, qui nous met des images plein la tête. Des lignes d'une grande poésie aussi pour décrire un brin de nature par exemple, ou une aurore, sans créer de rupture avec le reste du roman.
Comme dans les autres romans, la mer est toujours présente, mais davantage dans celui-ci par son absence, puisque c'est vers elle que la narratrice espère aller.
La mère également qui en prend un peu pour son grade dans quelques passages bien sentis par la narratrice ou encore la mère (belle-mère), et la narratrice elle-même dans son propre rôle de mère, avec son regard acéré, mais également son amour indubitable pour ses enfants
Les trois romans sont également marqués très fortement par l'amour et par des scènes teintées d'érotisme. Également pour aborder l'amour et le sexe, style très imagé, parfois assez crû tout en étant là encore souvent très poétique.
Plus globalement, l'amour et la sexualité permettent de s'affranchir, de (re)trouver sa liberté. Comme dans le voyage d'Ulysse, où la constante est le bateau qui est le seul moyen de rester sur la mer, dans la sexualité, c'est le corps cette constante, le seul moyen de s'éprouver soi-même, de vivre certaines expériences, et c'est grâce à lui qu'on éprouve sa liberté (selon certains écrits tels que ceux d'Élisa Brune).
On a l'impression que c'est à travers ses expériences, notamment sexuelles (et plus largement des expériences des divers personnages) que la narratrice (re)trouve non seulement sa liberté, mais aussi, et en conséquence sans doute, une nouvelle façon d'envisager sa relation aux autres, en modifiant son regard sur ceux qui l'entourent.
Difficile avec un tel titre de ne pas aborder ce sujet.
À la moitié du roman, on entre dans une nouvelle intrigue. Dans cette partie à rebondissements multiples très drôles qui entraîne tous les personnages du roman, on sent que l'auteur s'amuse avec des références célèbres, James Bond entre autres, avec l'espionnage d'entreprise, la recherche sur le clonage... Cela le pousse à quelques outrances, des situations un peu improbables, mais sur lesquelles la narratrice elle-même pose un regard amusé. Des gens simples se transforment en super héros, fait avec beaucoup de distance et d'amusement. Un périple de la Provence à l'Auvergne fait d'aventures intimes et plus loufoques (espions US, enlèvement) qui font voir la vie d'un autre œil.
Prochaine rencontre à Elan Sud le vendredi 7 août à 19h.
Regards croisés de 2 romans sur l'art et le désir
Nous aborderons, entre autres, les points communs de ces deux romans qui éclairent, comme le propose la collection élan d'elles, la féminité dans son intemporalité et toute sa diversité. Comme il n'y a pas de femmes sans les hommes... et inversement, nous explorerons aussi la relation de couple, houleuse entre Camille Claudel et Rodin sous la forme épistolaire, mouvante entre le peintre, Mathilde et Alice dans un roman sur la route.
L'art est aussi présent dans ces deux textes: la sculpture, bien entendu, mais aussi la peinture, la musique et la poésie... tout un programme tout en douceur et en finesse.