Après des années de tâtonnements, de tergiversations et d'hésitations, le serpent de mer de l'instrument de paiement paneuropéen est donc en passe d'être concrétisé : 16 des plus grandes banques de la zone Euro annoncent le lancement du projet EPI (« European Payments Initiative »). Simple mesure défensive ou stratégie offensive ?
Au premier abord, l'ambition des partenaires fondateurs, soutenus par la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne, est d'abord de mettre en place – enfin ! – un dispositif unifié à l'échelle du continent, alors que subsistent toujours des systèmes nationaux frustrants dans une économie sans frontières. Cependant, en filigrane, se décèle également le désir récurrent d'affirmer la souveraineté de la région face aux acteurs dominants que sont Visa et Mastercard, originaires des États-Unis.
Pour ce faire, le consortium prépare une solution directement concurrente, comprenant carte de paiement, porte-monnaie virtuel et plate-forme de transferts entre particuliers. Reposant sur le standard SEPA de virement instantané, il pourrait présenter d'emblée un avantage majeur sur ses principaux adversaires : la disponibilité immédiate des fonds après la transaction. Il ne faut toutefois pas retenir son souffle puisque l'EPI ne sera pas opérationnel avant 2022 (et on peut certainement compter sur des retards…).
Derrière cette description sommaire, je ne peux m'empêcher de m'interroger : s'agit-il uniquement de bâtir un équivalent aux géants américains, en se contentant de répliquer les caractéristiques de leurs offres existantes ? La mise en avant du principe d'une carte – symbole du passé – apporte un début de réponse et le flou de la seule référence officielle à l'innovation – « EPI (…) pourrait contribuer à l’accélération de l’innovation dans le domaine des paiements » – laisse entendre qu'elle n'est pas absolument prioritaire.
L'occasion est pourtant unique de faire de l'Europe la terre de naissance des paiements du XXIème siècle. L'enjeu économique et politique ne peut se réduire à combattre la dépendance aux réseaux de Visa et Mastercard et à écarter (plutôt maladroitement) la menace croissante des nouveaux dragons chinois. Le plus important devrait être de préparer l'avenir et de profiter des mutations profondes qui se profilent à l'horizon pour repositionner l'ancien monde en leader de l'innovation, sur un domaine critique.
Quitte à attendre 2 ou 3 ans la matérialisation de leurs efforts, les participants à l'EPI ont tout intérêt à relever leur niveau d'ambition, en repartant d'une page blanche, sur laquelle ils commenceraient par dessiner les usages du paiement dans l'environnement de demain afin d'imaginer et concevoir la solution parfaite. S'ils s'entêtent, au contraire, à construire une banale copie des outils du siècle dernier, ils seront condamnés à toujours essayer de rattraper le marché, anéantissant ainsi leurs chances de succès.