Jeudi 11 juin, 22h, la marque japonaise débute la présentation de sa nouvelle console sous les auspices de Rockstar, qui annonce en grande pompe la venue de sa poule aux oeufs d'or, Grand Theft Auto V, sur PS5. Une promesse qui peut paraître risible aux yeux des plus férus des gamers, lorsque l'on sait que le titre est originellement sorti sur PS3 et X360 en 2013. Mais elle apporte, auprès du grand public, la certitude d'un soutien de la part des éditeurs tiers. Avec cette annonce, Sony se montre alors comme le moteur indéfectible de la grande industrie du jeu vidéo - et aux yeux du monde, majoritairement casual, ça compte.
De cette révélation en demi-teinte pour les hardcore gamers, Sony enchaîne sur toute une flopée de jeux exclusifs - certains temporairement - qui leur sont destinés : Spider-Man Miles Morales, Demon's Souls, Ratchet & Clank : Rift Apart, Horizon Forbidden West, Project Athia, Gran Turismo 7, Returnal, Deathloop, Ghostwire Tokyo, Kena : Bridge of Spirits... Rien ne dépasse du carcan tant idolatré par les joueurs, avec des titres action, plate-forme, aventure, RPG, course... Un feu d'artifice que peu oseront dénigrer.
Sony vient alors de frapper un grand coup. Le constructeur japonais enchaîne alors sur la console en elle-même. Si le prix reste encore mystérieux, c'est un véritable plébiscite. Son design, résolument futuriste, est quelque peu moqué sur les réseaux sociaux, mais les résultats sont là : la PS5 sera définitivement plus originale que sa concurrente, la Xbox Series X, et proposera des titres en pagaille, en se reposant sur les licences historiques Playstation. En une conférence, Sony a annihilé la concurrence sur tous les domaines, et s'assure une première place de choix dans les ventes de consoles.
Communications paradoxales
Il faut dire qu'ils ont de quoi s'inquiéter, les "Xbox fans", au vu de l'Inside Xbox du 7 mai dernier. Alors que Microsoft promettait monts et merveilles concernant les premiers jeux next-gen, la conférence a fait flop en raison d'une hype trop forte associée à des titres pas impressionnants pour un sou et surtout très peu nombreux à être au rendez-vous. Si Microsoft a promis de se rattraper en juillet, lors d'un stream qui présentera les titres exclusifs de la marque (tous présents sur PC et Xbox One...), le mal est fait : grand public comme hardcore gamers n'ont plus confiance en cette entreprise qui les a, de surcroît, quelque peu abandonné lors de ces sept dernières années...
Sony a lui préféré le silence à la joute verbale. Et c'est ce choix qui distingue l'entreprise japonaise de la firme américaine : en faisant profil bas, elle s'est donnée une image de force tranquille, menant sa barque sans jamais se soucier de son concurrent. Contrairement à la marque de Phil Spencer, chantre de la Xbox : là où ce dernier ne cesse de tweeter ses félicitations à Sony, à écrire que Microsoft a "beaucoup en stock", Sony ne parle pas, mais agit. La preuve avec cette fin de génération de folie sur Playstation 4, avec des titres comme Dreams en février, Persona 5 Royal fin mars, Final Fantasy VII Remake en avril, The Last of Us Part II en juin et Ghost of Tsushima en juillet ! Et ce, malgré la crise sanitaire.
Il est d'ailleurs intéressant de noter une inversion, presque paradoxale : Microsoft communique à outrance, et pourtant, Sony récupère les louages des réseaux sociaux ! Sony bénéficie en moyenne du double voire du triple des retweets et likes de Microsoft, qui est largement à la peine en terme de statistiques. La firme japonaise maîtrise avec intelligence les hashtags sponsorisés, les effets d'annonces, savamment réfléchis (la Dualsense a été révélée quelques minutes seulement avant un événement Xbox !), les tendances et les influenceurs. D'un point de vue strictement statistique, Sony semble s'être déjà offert une longueur d'avance.
La guerre des studios
Mais la popularité ne fait pas tout. Certes, elle influera sur les ventes mondiales, fera gagner de précieux deniers à Sony ! Mais l'industrie du jeu vidéo n'est pas un secteur économique comme les autres : c'est un univers de passionnés, où la moindre erreur peut coûter chère. Sur la planète JV, le bad buzz est sans nuance ni prévention. Tenez pour preuve les fuites concernant The Last of Us Part II, qui lui ont fait risquer gros. Ce qui compte n'est pas l'argent engrangé, mais bel et bien le soutien des plus hardcore des gamers.
Et à ce petit jeu, Sony dispose encore une fois d'une petite avance, de par le soutien affiché à la Playstation 4, mais surtout de par la création toute récente de son label Playstation Studios et, par conséquent, de son soutien à ses studios historiques. Insomniac Games (Spider-Man, Ratchet et Clank), Naughty Dog (The Last of Us, Uncharted, Jak and Daxter), Santa Monica Studios (God of War), Sucker Punch (inFamous, Ghost of Tsushima), Japan Studios (Knack, Forbidden Siren)... Tous seront là !
De son côté, Microsoft a profité de ses sept ans de disette pour racheter tout plein de studios. Parmi eux, Obsidian, derrière Fallout New Vegas et The Outer Worlds, et Ninja Theory, qui s'occupait du dernier Hellblade. Des titres bons, mais loin d'être aussi cultes que certaines exclusivités PlayStation. Rien n'est donc sûr quant à la qualité des prochaines licences Xbox. La preuve avec le futur Grounded, commandé pour Obsidian, qui semble au mieux assez peu ambitieux dans sa proposition...
On naviguera donc à vue en se procurant une XSX, tandis que Sony a d'ores et déjà trouvé son futur. Avec de jeunes licences prometteuses débutées ces deux dernières générations (Horizon, Spider-Man, The Last of Us...), la marque japonaise va pouvoir se permettre de les étirer sur quelques années. C'est aussi ça, la marque des grands : une gestion pointilleuse qui ne laisse pas la place au hasard. Microsoft, quant à lui, ne pourra compter uniquement sur sa sainte trinité (Halo, Gears, Forza) éternellement, sous peine de lasser les joueurs. Il va donc falloir annoncer du lourd d'ici fin juillet !
Services à double tranchants
Mais là où la firme de Redmond va pouvoir durablement marquer l'industrie du JV, c'est dans sa proposition numérique. Microsoft ne s'en est pas caché ces dernières années : l'émergence de Netflix, toujours plus puissant au fil des mois, est une source d'inspiration. La preuve avec la naissance du Gamepass : pour 10 euros par mois, les joueurs peuvent télécharger une bonne centaine de titres temporaires, renouvelés chaque mois. Les exclusivités Microsoft, elles, restent à vie. Derrière un coût alléchant pour les "consommateurs", se cache une vraie innovation qui a tout pour changer les règles du jeu. Sans besoin d'une grosse connexion internet car pas de streaming, sans besoin de boîtes physiques, sans besoin de connaître particulièrement le milieu du gaming, ce Gamepass convient particulièrement au grand public, toujours plus avare en cette période de crise économique. Le Gamepass est également disponible dans une version PC. En face, il existe bien le PS Now de Playstation, mais qui se contente trop souvent de streaming et de vieux titres PS3.
Autre service révolutionnaire, le xCloud, un système de streaming cette fois adapté à tous les écrans. Smartphones, tablettes, PC portable... Vous pourrez bientôt jouer à une large gamme de titres Xbox sur n'importe lequel de vos appareils en échange d'un léger surcoût, sans doute inclus dans le Gamepass. Une idée enthousiasmante, encore une fois particulièrement destinée au grand public ou, au mieux, aux gamers nomades.
Le souci, c'est que ces services sont à double tranchant. Le premier, le Gamepass, pose la question du financement. D'abord proposé à 1 euro pendant trois mois, le service coûte 10 euros par mois. Lorsque l'on sait qu'un jeu "AAA" (une grosse production NDLR) coûte entre 50 et 70 euros selon les revendeurs, on se demande comment Microsoft réussit à rémunérer les développeurs et éditeurs. Rappelons tout de même que Netflix est largement déficitaire. Ce qui pose également le problème de l'ambition des futurs jeux Microsoft : sans moyens, comment construire une aventure dense, belle et variée ? En face, The Last of Us Part II, vendu au prix fort à sa sortie, s'est écoulé à 4 millions d'exemplaires en trois jours... On vous laisse faire le calcul sur les revenus engrangés.
Le xCloud, quant à lui, pose la question de l'avenir de Microsoft. Acheter une console Xbox, n'est-ce pas au final se procurer une simple interface "physique" pour des services, certes de qualité, mais accessibles partout ailleurs ? Comment l'entreprise américaine réussira-t-elle à convaincre les joueurs de s'offrir une Xbox Series X quand un même titre est jouable sur n'importe quel écran connecté ? N'y'a-t-il pas ici un problème de communication, de cohérence ? En 2013 déjà, Microsoft s'était littéralement viandé sur la question de la connexion obligatoire imposée à tous...
Deux visions de l'innovation
Par ailleurs, si Microsoft veut innover dans le monde du gaming numérique, la firme semble avoir totalement oublié un pan important de l'avenir de l'industrie : la réalité virtuelle. "Les joueurs Xbox ne demandent pas de VR", indiquait il y a quelques mois à peine le patron de Xbox, Phil Spencer. C'est pourtant dommage, quand Half Life Alyx se tapait un plebiscite commercial et critique en début d'année 2020. Le titre de Valve pourrait même débarquer en exclusivité console sur la Playstation 5 de Sony car, comme vous le savez sûrement, les équipes travaillent dans l'ombre à l'élaboration d'un PS VR 2.
Autres travaux qui ont le mérite d'innover du côté de chez Sony, ceux portant sur la Dualsense, nouvelle manette "haptique" à destination de la PS5. Bardée d'électroniques, de moteurs de vibration dans les gâchettes, d'un pad tactile et de LED, la manette est immensément moins convenue que la prochaine manette Xbox, qui est... la même que sur Xbox One. Avec les mêmes piles. En 2020... Certains diront préférer les "piles rechargeables", soit disant plus économes que les batteries de Sony, mais la réalité des faits nous fait retourner deux voire trois générations plus tôt. C'est dommage.
Enfin, autre point qui demeurera le même sur Xbox One et sur Xbox Series X : l'interface et le menu ! Oui, ils resteront exactement les mêmes pour ne pas "dénaturer les habitudes du joueur". A 400 ou 500 euros la nouvelle console, on aurait peut-être apprécié plus de nouveautés, outre la puissance brute. D'ailleurs, quand bien même la Xbox Series X serait, sur le papier, plus puissante que la Playstation 5, elle part avec un bien beau retard sur sa consoeur : tous ses jeux "exclusifs" seront disponibles sur PC. La PS5 privilégiera de pures exclusivités. D'ailleurs, ces mêmes jeux "exclusifs" XSX seront disponibles pendant deux ans sur Xbox One. Un moyen de ne pas abandonner les joueurs, selon Microsoft. Mais surtout, un drôle de signal donné aux acheteurs des premiers jours...
En somme, quand l'un privilégie la nouveauté, l'autre installe un écosystème à la Apple qui pourrait, certes, séduire le grand public, mais qui laissera sans aucun doute sur le carreau les plus hardcore gamers. Dans l'industrie du JV, c'est pourtant la cible à convaincre. Les casuals, eux, préféreront Netflix.