L’incident survenu le 7 juillet dernier à la centrale de Tricastin, aurait pu ne susciter que quelques brèves dans la presse compte tenu du fait qu’il a été déclaré de « niveau 1 », le plus bas niveau dans l’échelle des risques nucléaires et qu’à priori il ne pose pas de problème sanitaire.
Et pourtant , il a généré une vraie crise pour Areva, maison mère de Tricastin comme pour le gouvernement.
Pour Areva : puisque le site de Tricastin doit fermer certaines installations selon une décision de l’ASN et changer de Directeur Général. Sachant que désormais tous les sites d'Areva seront placés sous surveillance de l'opinion.
Pour le gouvernement aussi.
Les acteurs anti - nucléaires se mobilisent, l’opinion s’inquiète, les
autorités de contrôle du nucléaire ont perdu en crédibilité… Cette
situation a conduit Jean-Louis Borloo à réagir officiellement en
annononçant qu’il voulait vérifier les nappes phréatiques près des
centrales nucléaires.
C’est vrai que cette affaire tombe mal à propos dans un contexte où
Nicolas Sarkozy a décidé de construire un second réacteur nucléaire.
Le plus souvent, une crise est révélatrice de nombreux dysfonctionnements et non pas d’un dérapage isolé.Tricastin n’échappe pas à cette règle.
Des dysfonctionnements au plan technique et de la sûreté.
Visiblement, la centrale est confrontée à des dépassements de seuils
autorisés en rejets de produits chimiques et radio actifs depuis
longtemps, en tout cas avant cet incident. Elle avait d’ailleurs reçu
plusieurs avertissements de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (l’ASN) en
2007.
Et la manière de gérer au plan technique le problème d’étanchéité d’une
cuve de rétention qui semble être à l’origine de la pollution du 7
juillet, confirme ces manquements.
En effet, si le problème d’étanchéité a été constaté le 2 juillet, il a
fallu attendre le débordement de la cuve pour que le problème soit pris
au sérieux et que le plan d’urgence soit déclenché.
Enfin, les problèmes de fuite détectés en fin de semaine dernière, dans un autre site d'Areva,
dans la Drôme peuvent laisser penser que les dysfonctionnements ne se
limitent pas à Tricastin.
Des maladresses de communication
Erreur 1-: le site de Tricastin a tardé avant
d’informer les autorités, les préfectures concernées et avant de
parler aux médias. Quant aux maires des communes voisines, ils n’ont
été informés que le lendemain de l'incident !
Les dirigeants du site ont donné d’entrée de jeu, l’impression qu’ils
essayaient de cacher l’incident. Il semblerait qu’ils aient
essentiellement communiqué par oral (notamment à l’AFP). En laissant le
soin à l’ASN de diffuser plus largement un communiqué de presse. On est loin d’une communication transparente.
Erreur 2- : le site a cherché à minimiser au maximum la pollution du 7 juillet en se contentant de le classer dans les incidents mineurs car de niveau 1. C’était sans compter la réaction de Greenpeace ou du Criirad qui ont pointé du doigt certaines contradictions : le risque sanitaire serait faible alors pourquoi prendre les mesures d’interdiction telles que ne plus consommer d’eau potable dans les communes environnantes ? Ils ont rappelé que Tricastin avait pris soin de ne pas révéler la quantité de produits radio actif détectée, car celle-ci était très supérieure, selon leurs estimations, aux normes autorisées. Dès lors, l’opinion pouvait commencer à douter de la sincérité de la communication du site.
Erreur 3 - les dirigeants de Tricastin ont considéré
que l’incident pouvait être qualifié de banal, étant donné qu’il ne
présentait pas de risque de nature sanitaire.
Si les conséquences au plan sanitaire semblent limitées, les
conséquences sur la vie quotidienne des populations locales sont
significatives. En particulier, les agriculteurs et les éleveurs qui
ont souffert de l’interdiction d’irrigation ou de distribution d’eau
aux animaux. Ou encore les habitants qui se sont rués dans les
supermarchés pour acheter des litres de bouteilles minérales…
En minimisant trop l’incident et surtout ses conséquences au plan
local, en n’exprimant aucun empathie, aucun regret par rapport aux
difficultés provoquées par la pollution, le site de Tricastin s’est
positionné en institution « froide, inhumaine, irresponsable » . Et ce
d’autant qu’il n’a pas proposé d’aider les populations locales et
encore moins de prendre ses responsabilités vis à vis des éventuels
dommages causés..
Erreur 4- interrogée sur le fait que le site aurait
déjà été confronté à des incidents, la Direction de la communication
de Tricastin a contesté ces accusations en affirmant « c’est la première fois qu’un tel incident se produit ».
Or la encore, les faits ont contredit cette affirmation. Puisqu’il est
vite apparu que l’ASN avait adressé plusieurs remarques à la Socatri en
2007. Devant ce fait avéré, la Direction de la communication d’Areva,
continue à nier tout problème « nous avons pris acte des injonctions de l’ASN »…mais
l’argument ne suffit pas à convaincre, sachant que de nouvelles
analyses ont fait apparaître d’autres problèmes non élucidés à ce jour,
sur les nappes phréatiques voisines. En contestant, au début de
l’affaire tout au moins, tout dysfonctionnement, Areva ne pouvait guère
espérer être plus crédible que sa filiale.
Erreur 5- le site de Tricastin conteste l’hypothèse du Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sûreté Nucléaire (HCTISN) qui considère que des déchets militaires anciens seraient la cause de la contamination avérée de nappes phréatiques voisines. En remettant en cause l’opinion de cette autorité qui est censée être plus indépendante que l’ASN, Areva ne gagne pas non plus en crédibilité, et s’isole un peu plus.
Mais que pouvait faire Areva ?
Il ne faut pas surestimer le pouvoir de la communication. A partir du
moment où il existait des défaillances techniques sérieuses, il était
difficile de sortir indemne de cette affaire.
Cependant, Areva aurait pu éviter de perdre durablement la confiance des populations locales dans le management du site et d’alimenter la peur des Français par rapport au nucléaire en renforçant le sentiment qu’on « leur raconte des histoires ». Elle aurait pu éviter que les dérapages de sa filiale impactent au final quelque peu sa réputation.
On pourrait penser que la tactique de communication a quand même permis
d’éviter la panique au plan local. C’était vrai à court terme, mais il
semblerait que ce soit moins le cas aujourd’hui, les habitants ont
peur, en témoignent les pharmacies locales confrontées à une rupture de
stock des pastilles iodées (l’antidote à une exposition radio active).
Et surtout, le lien de confiance avec le site de Tricastin paraît rompu.
Entre dramatiser et minimiser une situation, il existait pourtant une position intermédiaire.
Il vaut toujours mieux se rapprocher le plus possible de la réalité.
Préciser la quantité précise de radio activité détectée (comme c’est
fait habituellement, car tout changement d’habitude dans la
communication génère des doutes), tout en précisant que c’est du niveau 1.
Le site de Tricastin, aurait pu au moins exprimer des excuses pour avoir causé des inquiétudes et des difficultés à la population locale et faire preuve d’humanité voire de solidarité (en montrant comment l'aider). Tout en tenant un discours rassurant quant aux conséquences sanitaires.
Et surtout, il ne fallait pas dissimuler le fait que le site avait déjà été confronté à des difficultés.
Enfin, au lieu de laisser croire que tout était sous contrôle, qu’elle
savait ce qui s’était passé et tenter de classer l’affaire, Areva
aurait du reconnaître qu’elle prenait les choses au sérieux même si ce
n’était qu’un incident de niveau 1 . Elle aurait pu annoncer qu’elle
lançait une enquête approfondie et que des dispositions seraient prises
pour que ce problème ne puisse pas se reproduire.
Cela aurait permis implicitement de faire passer un message rassurant
« Chez Areva, on prend des précautions, on ne traite rien à la légère ».
D'une manière générale en matière de crise, il vaut mieux admettre un
problème et montrer comment on va le résoudre que le nier.
Certes, sous la pression
médiatico-politique, Areva a pris la mesure de la crise. Sa responsable est alors montée en première ligne pour
annoncer le changement de son Directeur Général et admettre qu’il
pouvait y avoir eu des manquements. Mais cela suffira-t'il
pour retrouver de la crédibilité. Car désormais l’opinion doute. Et si
les autres centrales étaient aussi peu fiables que celle de Tricastin
? Si nous étions empoisonnés depuis des années sans le savoir !
Les députés verts, les communes voisines… ont décidé de mener l’enquête
voire d’engager des actions en justice contre le site de Tricastin.
L’affaire est loin d’être finie.
Si Areva veut sortir la tête haute de la crise, il doit annoncer des mesures fortes pour moderniser, sécuriser ses installations et prendre des engagements pour communiquer de manière plus transparente, non seulement au niveau de la maison mère mais aussi des sites eux mêmes.
Ces incidents n'ont rien de comparables à ceux qui sont survenus aux USA (Three Mile Island) ou en Russie avec Tchernobyl, donc il ne faut pas céder à la panique ni remettre en cause le modèle nucléaire français. Mais il
appartient aux acteurs du nucléaire de rapidement démontrer leur
capacité à renforcer significativement la sûreté nucléaire et à assumer
leur responsabilité.