C'est bizarrement ce qui m'est passé par la tête dans les dernières semaines, cette haine des États-Unis de la part de cet espion, qui devient pour moi, Québéco-canadien, mon sentiment envers la Chine, peu à peu.
Avec la mort de George Floyd, depuis 2016, la beauté des États-Unis en prend pour son rhume.
Dans le roman de LeCarré, l'espion qui le coince, George Smiley et le coincé, Bill Haydon, savent tous les deux que la politique n'est qu'un filtre des vraies motivations. Instinctivement, le mépris subtil caché chez cet homme de classe sociale supérieure, de grande culture, cet homme éduqué, cet Européen est la musique qui compose les airs de son esprit. Il déteste viscéralement les États-Unis. Si tant, que ça le rend aveugle face aux atrocités soviétiques qui sont souvent bien pires. Et gouvernementales.
Les réflexions anti-Étatsuniennes de LeCarré de 1974 sont aussi pertinentes de nos jours qu'elles l'étaient il y a 46 ans. À l'époque, c'était Richard Nixon le chef d'orchestre. Aujourd'hui c'est Donald Trump, une caricature de ce que Haydon méprisait le plus, effronté, étouffant, désobligeant, riche, et au pouvoir.
C'est difficile de pas penser qu'il ne s'agit pas d'un moment unique aux États-Unis. Citoyens du monde non-Étatsunien, nous sommes habitués de lire et entendre des gens qui détestent les États-Unis, les admirent et les craignent, parfois tout ça en même temps. Mais avoir pitié des États-Unis?
Ça c'est nouveau.
Les États-Unis, contrairement au passé, ne ressemblent en rien à ce pays qu'on voudrait aujourd'hui devenir, pays auquel on voudrait adhérer ou encore pays qu'on voudrait imiter. Le Brésil le fait et le Brésil se meurt de la Covid.
Par le passé quand les É-U. étaient vulnérables, Washington s'en sortait admirablement. On rebondissait fièrement. La musique des États-Unis tonnaient partout dans le monde. Mais rebondir maintenant semblent beaucoup plus difficile. Une nouvelle puissance mondiale (la Chine) fait trembler les É-U avec une arme que même les anciens Soviétiques n'ont jamais possédé: la destruction économique.
La Chine, contrairement aux Soviets, peut offrir la richesse, la ferveur et les avancements technologiques. Peut-être pas au même niveau que les É-U., mais ils peuvent le promettre. Le rêve "américain" devient cauchemar. Si les États-Unis ont déjà eu la famille Kennedy ou Rockeffeler à offrir comme modèles, de nos jours on expose avec fierté les familles Trump ou Kardashian. Vivant sous l'oeil constant de la caméra, nous offrant continuellement les défauts de conceptions et les contradictions de ce qu'ils représentent.
Largement dysfonctionnel. Ce qui précipite son déclin.
La dominance culturelle, sociale et économique des États-Unis est à la fois la force du pays et sa plus grande faiblesse. On les scrute de partout. On ne peut pas, PAS les voir. Et la laideur du pays est aujourd'hui JAMAIS calmée par le président mais toujours plus amplifiée.
L'époque couvre quelque chose de grave. Mais quoi? on ne le sait pas encore. On le sait mais on en ignore les conséquences.
Les protestations civiles en faveur des humains à la peau noire, le déboulonnement de statues, l'échec absolu de la lutte contre le Covid-19, surviennent tous en fin de premier mandat pour le président Trump. Le plus chaotique, méprisé, et non respecté président de l'histoire moderne des États-Unis. Et après? il y aura quoi?
Le monde regardant les États-Unis peine aussi avec le ton et non la musique. Comment ne pas penser qu'un autre président aurait réagi au traitement génocidaire contre les Ouïghours en Chine? À l'annexion de la Crimée par les Russes? ou contre les régimes meurtriers au Moyen-Orient?
La réponse du président Trump au meurtre de George Floyd a été si inexistante que peu se rappelle si il a seulement réagi. C'est un noir. La famille de Trump est notoirement raciste. On ne s'attend plus à rien de lui sur le sujet.
La musique des États-Unis a été défiée par le passé. Les autres pays n'ont pas suivi le rythme dans la Guerre du Vietnam, en Irak, dans les échanges commerciaux, sur les changements climatiques. Parfois le ton et la musique ont, ensemble, aliéné le monde entier, sous George W. Bush entre autre. Sous Bush, il n'a jamais caché qu'il existait une chanson de l'occident et que les paroles devaient être composées à Washington. Même si on les volait d'une thèse universitaire. Mais aujourd'hui, personne n'entend de compositions de D.J.Trump. Seulement le beat insolent de l'intérêt personnel.
Si les États-Unis ne sont plus la supériorité morale, ne reste-il plus que l'équivalence morale?
L'Union Soviétique a survécu la famine, la terreur, les meurtres de masses par milliers. Peu importe les récentes faiblesses Étatsuniennes, rien aux États-Unis ne se comparent aux horreurs soviétiques. Avec Pékin qui prend des otages pour faire valoir ses intérêts, qui surveille et intimide chacun de ses citoyens, qui génocide les Ouïghours, qui emprisonne quiconque dans le doute, on voit le président dire en entrevue que Poutine et les Chinois ne sont pas si mal. Il y a des assassins aussi aux États-Unis. Et des injustices.
C'est sa vision de l'équivalence morale.
Ce type de cynisme a toujours été dénoncé par les É-U. "Toutes les sociétés sont corrompues et ne pensent qu'à leurs intérêts" était un raisonnement de non professionnel de la politique. Tiens... DJT n'est justement pas un professionnel de la politique...
Les relations internationales sont aujourd'hui une transaction en faveur des États-Unis. Rien d'autre.
Le G7 de Septembre voyait Trump vouloir inviter l'Inde et la Russie aussi. Il veut offrir un concert de huées à la Chine avec le plus de voix possibles. L'Angleterre et le Canada, l'Allemagne aussi ont refusé le One-Man show de Trump.
La Grande Dépression, le Vietnam ou le Watergate, les É-U. ont toujours rebondi. Parce que des hommes de grandes statures étaient chef d'orchestre. Mais là on a deux hommes de plus de 70 qu'on ne peut même pas sortir comme on veut. Soit parce qu'ils sont trop cons, ou trop vulnérables au Covid-19. Ou les deux.
Difficile de faire confiance en un "leader" ambivalent sur la brutalité policière, le racisme, la misogynie, la pauvreté, la violence, la justice, l'accès aux fusils.
Partout dans le monde, ce qui est bon et ce qui ne l'est pas est nettement plus clair dans chacun des dossier énumérés. Pas chez l'oncle Sam.
LeCarré était légèrement anti-Étatsunien. Mais comme nous tous, il était incapable de ne pas regarder le gros accident que sont les États-Unis.
Il ne détournait pas les yeux de la fascination.
En les États-Unis, on voit tous ce que nous sommes dans une forme extrême, plus violente et libre, riche et répressive, belle et si laide.
Mais comme LeCarré expliquait sa fascination pour les États-Unis,
on aime pas trop regarder longtemps.
Car c'est nous qu'on y voit.