"Boire ne s'apprend pas : il faut être né avec un foie en acier, et c'est le cas d'Edouard. Néanmoins, il y a quelques trucs : s'enfiler un petit verre d'huile pour graisser les tuyaux avant une beuverie (on me l'a appris à moi aussi : ma mère le tenait d'un vieux prêtre sibérien) et ne pas manger en même temps (on m'a appris le contraire, je livre donc le conseil avec circonspection). Fort des ces dons innés et de cette technique, Edouard peut descendre un litre de vodka à l'heure, à raison d'un grand verre de 250 grammes tous les quart d'heure. Ce talent de société lui permet d'épater jusqu'aux Azéris qui viennent de Bakou vendre des oranges sur le marché et gagner des paris qui lui font de l'argent de poche. Il lui permet aussi de tenir ces marathons d'ivrognerie que les Russes appellent zapoï. Zapoï est une affaire sérieuse, pas une cuite d'un soir qu'on paye, comme chez nous, d'une gueule de bois le lendemain. Zapoï c'est rester plusieurs jours sans dessoûler, errer d'un lieu à l'autre, monter dans des trains sans savoir où ils vont, confier ses secrets les plus intimes à des rencontres de hasard, oublier tout ce qu'on a dit et fait : une sorte de voyage." Emmanuel Carrère - Limonov (POL)