Il y a toujours quelqu’un pour se souvenir
D’une tranche de pastèque mangée à deux
Quand la lumière est à pic
Sur les fontaines à Florence.
Du fond d’un chagrin sans égal on peut
Alors tenir en respect le Vieillard Temps
Et sa manie de tout racler contre les murs;
Mais lui, avec un savoir-faire plus précis
Que toutes les insomnies, chope la carte postale,
Pisse dessus, et entre deux rires :
« Crétin, ça un événement ? Tu n’es même pas
Capable de te rejoindre, tu as livré
Ton cul aux mouches et tu te plains
De la destinée ! Tout le monde a, comme moi,
D’abord été ce jeune homme qui passe,
En équilibre sur la roue, avec la réussite
Pour l’an qui vient ; la suite,
C’est ce qu’on perd entre les jours et l’ombre,
A trop tailler le buisson des voyelles,
Et c’est toujours trop tard;
Tu fais le fier parce que tu crois encore
Au vieux chant des noms propres,
Mais tu vaux moins que tes songes
Et seul l’oubli t’aurait permis
De ne pas finir comme le serpent
Qui m’accompagne et qui depuis des siècles
N’en finit pas de se mordre la queue ».
*
The Serpent
There’s always someone to remember
A slice of watermelon you two shared
When the light came straight down
On the fountains of Florence.
From the depths of a matchless grief you can
Then affront Father Time and his obsession
With scraping everything against the walls;
But he, with a know-how more precise
Than all your insomnias, swipes the postcard,
Pisses on it, and between two snickers:
“Idiot, that was an event? You can’t even
Agree with yourself, you’ve sold
Your ass to the flies, and you complain
About fate! Everyone has, even I,
Been that young man who goes by
Balancing on a wheel, with good luck
For the year to come; what follows
Is what’s lost between the days and shadows,
Wasting your time pruning the vowel bushes,
And it’s always too late;
You put on airs because you still believe
In the old song of proper names,
But you’re worth less than your own daydreams
And only forgetfulness would have allowed you
Not to end up like the serpent
Who keeps me company and who for centuries
Hasn’t stopped biting his own tail.”
***
Hédi Kaddour (né en 1945 à Tunis) – Treason (Yale University Press, 2010) – Translated by Marilyn Hacker.