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Il y faut du culot, à moins que ce soit de l’inconscience. Romain
Puértolas ne manque ni de l’un, ni de l’autre. C’est même à ça qu’on le
reconnaît depuis les extravagantes aventures de son fakir Ajatashatru Lavash
Patel devenu un phénomène six ans plus tôt, en même temps que son
créateur qui s’est d’emblée installé dans le paysage.
Culot ou inconscience, disions-nous. Car son dernier roman, La police des fleurs, des arbres et des forêts, s’ouvre sur un dialogue imaginaire (avec son lecteur, vous, nous ?)
au cours duquel un narrateur désigne ce qui va suivre : « une
histoire policière pas comme les autres », avec « un coup de théâtre
final époustouflant qui remet tout le récit en cause. » Pas moins !
On s’y lance donc avec la volonté de ne pas se faire avoir –
pas nous, qui sommes prévenu, quand même ! Et on guette le coup de théâtre
annoncé avec la certitude qu’il n’aura aucun effet, et surtout pas les
conséquences majeures de la prédiction initiale.
Et puis, patatras ! Oui, il faut l’avouer, la surprise
en est vraiment une. C’est bluffant. Vous voilà doublement prévenus, lecteurs
et lectrices qui, peut-être, aimez aussi les pièges littéraires…
En 1961, dans le paisible village de P., un horrible crime a
été découvert : le corps de Joël, que tout le monde aimait, a été retrouvé
en morceaux dans une cuve à cuisson de l’usine de confitures locales dont le maire
est l’ambitieux propriétaire. Une véritable tragédie, selon l’expression du
garde champêtre local, Jean-Charles Provincio. « Il a quelque chose du
gendarme de Guignol, brun, grande moustache, des manières que je qualifierais
de bourrues, que son accent du terroir n'arrange guère », note dans son
premier rapport à « Madame la procureur de la République » le jeune
et brillant enquêteur venu de la ville pour identifier et arrêter le coupable.
Nous avons de la chance : le téléphone est en panne et toutes les
communications se font donc par courrier – le romancier a pensé à tout, il ne
manquera pas un mot aux conversations et interrogatoires qu’enregistre
l’officier de police. Ni une fleur dans le décor.
Une fleur, d’ailleurs, semble un indice : elle a été
retrouvée avec les morceaux du corps, elle est rare et ne pousse pas à l’état
sauvage, elle est belle. Aussi belle que la fleuriste à qui l’officier de
police conte fleurette, ce qui ne semble pas déplaire à l’intéressée.
Mais restons-en à l’enquête, quoiqu’elle soit sans cesse
perturbée par des détails à l’importance variable, quoique la correspondance
officielle entre l’officier de police et sa procureure prenne parfois un ton
incongrûment familier. Quoique, surtout, la supériorité de l’homme des villes
par rapport aux bouseux de la campagne l’empêche de voir ce qui aurait dû lui
paraître évident – et qui ne sera évident, pour lui comme pour nous, que tout à
la fin.
On s’amuse bien de ce qui, après coup, nous amusera encore,
pour d’autres raisons. Romain Puértolas a réussi son pari.