Après deux ans de militantisme sur les réseaux, les fans ont obtenu gain de cause avec la mise en chantier de la Snyder Cut de Justice League, attendue sur HBO Max. De quoi nous interroger sur pas mal de points.
Avant de s'attarder sur la Snyder Cut, il faut revenir en arrière. En mars 2016 sort l'un des blockbuster les plus attendus mettant à l'écran deux figures iconiques de la culture populaire, Batman v Superman de Zack Snyder. Les avis sont plus que mitigés, la déception de ce que devait être ce monstre du divertissement laisse un goût amer aux spectateurs tout autant qu'aux producteurs.
Pensant que ce qui posait problème était le ton sombre du film (c'est sur que les milliardaires The Dark Knight et Rises transpiraient la légèreté...), le studio demanda un remontage total et plus fun de son prochain métrage prévu quelques mois plus tard, Suicide Squad (qui entraîna un échec critique cinglant). Zack Snyder est désigné comme fautif par le studio (bien qu'il relève plus du bouc émissaire) et par les fans. Mais c'est trop tard la machine est déjà lancée.
Le cinéaste a tout juste terminé le tournage de Justice League devant faire suite à BvS et concurrencer le multi-milliardaire Avengers, ce qui n'est plus au goût des producteurs qui veulent le pousser en douceur vers la sortie. Et c'est au même moment qu'un drame surgit dans la vie privée de Zack Snyder, sa fille Autumn se suicide.
Une véritable aubaine (aussi terrible que ce soit à lire, la réalité est parfois abjecte) pour le studio qui instrumentalise cette perte dans la vie du cinéaste pour lui donner congé et le remplacer par Joss Whedon, réalisateur des Avengers 1 et 2. Comme par hasard. Justice League se retrouve alors charcuté à coup de réécriture, de reshoot à la va vite, de réorchestration, de coupe à la tronçonneuse et de remodélisation d'effet spéciaux douteux (# moustachegate). Tout ça pour finir sur un film hybride informe et sans âme pour faire les choux gras de la Warner. Mais le public n'a pas été dupe, le film est une catastrophe artistique et commercial qui n'arrive pas à se rembourser.
Un mouvement sans précédent
Au courant du contexte de production désastreux grâce aux informations sur internet, les fans entreprendront une campagne de 3 ans sur les réseaux avec le #Releasethesnydercut, afin de militer pour une sortie de la version de Zack Snyder Cut. Un mouvement/une demande qui a pris de plus en plus d'ampleur jusqu'à l'annonce en mai 2020 : cette fameuse version sortira sur HBO Max en 2020. Une bonne nouvelle qui inspirera aussi David Ayer, réalisateur de Suicide Squad, de militer de la même façon pour sortir sa propre version.
David Ayer et Will Smith sur le set de Suicide Squad
Avec le Snyder Cut nous sommes devant un cas sans précédent. Une situation où le spectateur, grâce à sa voix portée sur les réseaux sociaux, a pu directement influencer la création filmique. Une situation où la demande du public a été si forte que les studios " ont réparé leurs erreurs ". Bien qu'à priori cette décision soit positive, est-ce vraiment le cas ? Est-ce légitime de donner autant de pouvoir aux spectateurs ? Ou plutôt dangereux que la fanbase influe autant sur des décisions créatives qui ne devraient concerner que l'équipe du film ?
A qui appartient un film ?
Pour tout connaisseur du système hollywoodien, d'autant plus sur les blockbusters, il est établit que le film appartient avant tout à son producteur et par prolongement, à l'entité qu'est le studio. Et cela s'incarne par le pouvoir du final cut autrement dit le montage final. En effet, aux États-Unis le producteur, par le pouvoir de l'argent qu'il investi dans le film et autre détention juridique, obtient le droit ultime, la décision finale sur le montage. Il choisi ce qui apparaîtra ou non dans le film. Une règle qui différencie énormément avec la France puisque dans nos frontières, le réalisateur a le final cut. Une conception du cinéma qui est tout à fait représentative de la mentalité des pays, avec du côté français une approche plus conservatrice quant à son art contre une approche plus capitaliste propre aux idéologies américaines.
Ainsi, les guerres entre réalisateurs et producteurs sont légions dans l'histoire du cinéma américain où des situations conflictuelles éclatent comme lors de la production de Alien 3, Superman II, Les 4 Fantastiques de 2015, Waterworld et on en passe... De quoi transformer la salle de montage en boucherie. Il est évident que ce genre de contexte est toujours dommageable et en tant que spectateur, on veut soutenir la vision du réalisateur. Mais dresser un portrait maléfique et avide du producteur aux mains d'argent serait tomber dans un manichéisme que l'on évitera.
Les films de producteurs
Bon nombre de producteurs sont justement tout autant des cinéastes, sachant s'investir, encadrer et dénicher des projets à succès (comme Jerry Bruckheimer, roi du actionner, ou Roger Corman, le maître de la série B). La cohérence et la popularité du MCU n'en revient qu'à la gestion sans faille de son producteur Kevin Feige. On peut effectivement reprocher aux films de l'écurie Marvel de ne pas être tous égaux en qualité et quelque peu formatés mais on ne peut cependant nier que Feige a réussi à faire en 10 ans une vraie révolution dans la production et la narration d'une saga cinématographique. Une révolution qui s'est avérée plus que payante et qui a enthousiasmé des centaines de millions de spectateurs tout en laissant son style à différents réalisateurs, triés sur le volet.
Une stratégie qui a essayé d'être copié par (entre autre) son concurrent DC/ Warner avec le résultat qu'on lui connaît. L'absence d'une tête pensante à la barre de ce DCEU sur le long terme a justement provoqué sa perte. C'est pour cela qu'après l'échec de Justice League, DC a fait un grand ménage dans son équipe et a nommé Walter Hamada, maître à pensée du Conjuring-verse (autre univers étendu qui tient plus ou moins la route) pour chapeauter Superman et cie.
Kevin Feige et Robert Downey Jr sur le plateau d'Iron Man
A vrai dire, l'autre élément majeur qui fait la différence, et pas des moindres, entre la gérance de Marvel Studios et celle de la Warner, c'est l'amour et la compréhension de ses personnages. Kevin Feige est un passionné des héros de la maison des idées, il œuvre sur toutes les productions super-héroïque depuis X-Men en 2000. Il connaît l'univers sur le bout des doigts. Les producteurs de la Warner paraissent de leur côté être de simples exécutants embauchés par des financiers qui ne connaissent rien aux personnages dont ils ont les droits. Il est aberrant de se remémorer que le studio possède les droits de tout l'univers DC depuis sa création dans les années 30 et qu'il ne s'en est tenu qu'aux adaptations de Batman et de Superman tandis que Marvel Studios, avec ses droits morcelés à travers différents studios a réussi à unifier tout son catalogue.
Plus que cela, on peut avancer que les exécutifs de Warner méprisent ses super héros et les exploitent uniquement pour surfer sur la vague, donnant la plupart du temps pas que des mauvais films mais surtout des adaptations irrespectueuses ( Superman 3 & 4, Supergirl, Batman Forever, Batman & Robin, Catwoman, Green Lantern etc...). Cependant, sa plus grande force (ou coup de chance ?) aura été de confier certain de ses personnages a de grands cinéastes en devenir (Richard Donner, Tim Burton, Christopher Nolan) dont leur vision et leur amour pour le matériau de base ont pu le sublimer. C'est dans cette optique que tout reposait sur les épaules du réalisateur Zack Snyder, devant forger cet univers partagé naissant qu'était le DCEU, avant que les financiers ne perdent confiance en lui et ne l'éjectent.
Les films de réalisateurs
Cette confiance entre les financiers et le réalisateur est le point névralgique de toute production grand spectacle. Et lorsque celle-ci se déroule convenablement et que le producteur laisse une marge de manœuvre à son cinéaste, cela peut déboucher sur un véritable film d'auteur malgré son statut d'œuvre de commande. En restant chez DC, on peut citer de nouveau les Batman de Burton et les Dark Knight de Nolan qui furent des succès planétaires totalement empreints du style de leur réalisateur. C'est cette dynamique que Warner a voulu réitérer avec Zack Snyder lui laissant le champ libre pour monter son propre univers cinématographique Dc.
Réalisateur de Man of Steel, Batman v Superman et prévu pour mettre en scène Justice League partie 1 & 2, le réalisateur de Watchmen s'imposait comme la tête pensante pour concurrencer Marvel. Sa vision imprimait l'image : traitement sombre et terre à terre des personnages, iconisation à son summum, travail de mise en scène sur le mouvement (Zoom/Dézoom de l'image, travelling qui s'affranchit des contraintes physiques, image ralentie, personnage qui se déplace plus vite que le caméra...), sur-esthétisation de la photographie etc... Et c'est surement en ça aussi que Snyder est en parti responsable de l'échec de son univers.
Snyder qui se prend pour une amazone sur le plateau de Justice League
A force de vouloir s'approprier complètement ses personnages et à tout prix pousser à son paroxysme le ton torturé sur l'entièreté du film, sur bons nombres de points le cinéaste perd de vu l'essence de ce que représentent ses héros jusqu'à en faire des contresens (un Batman meurtrier, Superman dépressif qui perd tout espoir...). Mais on ne peut lui retirer que le DCCU s'apprêtait à être son univers plus qu'il ne serait celui de la Warner/DC. Même un film comme Wonder Woman, réalisé par Patty Jenkins, transpire la patte Snyder dans sa réalisation.
Et c'est peut-être là que fût la première erreur du studio. Celle de tout miser sur un seul cheval, au style si marqué, pour une saga devant comporter une dizaine de film développée sur plusieurs années. Mais la plus grosse erreur de la Warner (outre de vouloir rattraper l'ampleur du MCU en 3 films) reste bel et bien d'avoir tourner le dos au son seul artisan mis dans l'arène et ne pas avoir assumer leur démarche jusqu'au bout. Comment faire tenir debout un univers entier lorsque la seule tête pensante créative et qui a une vision d'ensemble de l'univers est mis à pied en plein processus ? L'échec artistique (et par conséquent commercial) ne pouvait qu'être la seule conclusion possible. Cependant derrière la catastrophe industrielle qu'est Justice League, après l'ingérence du studio et la vision unique de Snyder, se trouve un troisième coupable : nous.
Les films de... Fans ?
" Eh bien, depuis toujours, c'est le public qui dicte aux gens ce qu'ils créent." Jesse Eisenberg au micro de Digital Spy
Il ne faut pas perdre de vue qu'Hollywood reste avant tout une industrie, encore plus aujourd'hui qu'auparavant. A l'ère du numérique, toutes les données sont récoltées, stockées et étudiées pour répondre au besoin et à l'attente du consommateur. Et c'en est de même des films de divertissement (à quelque Spielberg et Nolan près). C'est tout simplement la loi de l'offre et de la demande. Et lorsqu'un studio injecte des centaines de millions de dollars dans un métrage, il faut que le produit ramène le plus de spectateurs dans la salle et leur plaise. Dans le cas contraire, la compagnie en question risque la faillite.
Lorsque que les fans fustigent Batman v Superman, et notamment son réalisateur, peut-on vraiment jeter la pierre aux studios d'avoir écarté Zack Snyder ? Même si nous avons critiqué ci-dessus certains choix du cinéaste, le principale handicap de BvS est un cahier des charges beaucoup trop important qui se devait de rattraper la concurrence, au point d'en faire un gloubiboulga indigeste de teasing pour la suite (les scènes de rêve déconnectées, les caméos clefs usb, la présence plaisante mais inutile de Wonder Woman...). Ajoutons à cela un troisième acte qui désamorce stupidement tous les éléments intelligents précédemment installés (la confrontation idéologique des deux héros) et qui tombe dans une bouillie de CGI vomitive, on termine sur une fondation quelque peu branlante d'un univers partagé.
Le manque de discernement du spectateur l'a poussé à rejeter l'entièreté des défauts sur le réalisateur (à vrai dire c'est compréhensible, c'est lui qui est crédité en première ligne). Et le studio a eu la réaction la plus logique (mais pas nécessairement la plus légitime) : écoutez la voix du public et éliminer celui qu'il désignait comme le problème.
Un ratage total et quelques news sur le chaos de production plus tard, les fans se sont vite rendu compte que Snyder n'était pas vraiment la clef du problème. Et comme mea culpa, le public s'est mis à militer pour une Snyder Cut au nom du cinéaste qui a renoué avec les spectateurs (en partie grâce à son director's cut de BvS). Et il l'obtiendra au bout de deux ans. Mais le paroxysme de l'ironie est qu'au final le procédé reste le même : le spectateur ne veut plus de la vision de Snyder, le studio le congédie. Le spectateur veut finalement la version de Snyder, le studio le réhabilite. Une véritable girouette qui ne suit qu'un sens, celui du public.
" Le client est roi, et nous devons absolument être à l'écoute. Un de mes anciens boss disait, 'L'industrie et ses clients ne sont pas toujours d'accord, mais ces derniers finissent souvent par gagner'. Je pense que c'est un équilibre. Concernant l'industrie du divertissement, les consommateurs n'ont jamais eu autant de choix de contenus, et n'ont jamais pu faire autant entendre leur voix." Tony Goncalves, patron d'HBO Max, au micro de The Verge
La mécanique est exactement la même concernant le redesign de Sonic. Les spectateurs ont fait entendre qu'ils n'étaient pas satisfait du look du personnage dans le 1er trailer, sans forcément concevoir que ça pouvait être une décision artistique et le changement fut immédiat. Il faut dorénavant se poser la question de si cette écoute du public de la part du studio, notamment avec la Snyder Cut, est une démarche honnête.
Une démarche honnête ?
Il ne faut pas s'y tromper. Si le studio rétropédale, ce n'est pas par bonté de cœur ni pour valoriser la liberté des auteurs (sinon la version cinéma de Justice League aurait été celle de Snyder). Le but est avant tout de se racheter une image et ainsi assurer ses succès futurs. Après les catastrophes critiques Suicide Squad, Justice League et BvS dans une moindre mesure ainsi que toute la communication autour de contexte de production au sein de Dc films a fortement nui à l'aura du studio, et par conséquent repoussé les spectateurs. C'est alors que s'enclenche la marche du pardon de Warner Bros.
Vous n'avez pas aimé le Joker de Jared Leto ? On le vire et on laisse Joaquin Phoenix porter le sourire dans un film à Oscar. Vous n'avez pas aimé l'aspect tout public de Suicide Squad ? On engage l'irrévérencieux mais adulé James Gunn (réalisateur des Gardiens de la galaxie) injustement renvoyé de Marvel ( avant d'être réengagé) pour faire une pseudo suite/reboot et on lui laisse carte blanche (et on le communique bien). Vous n'avez pas aimé la vulgarisation de Harley Quinn ? On fait le film féministe Bird Of Prey dans lequel les héroïnes doivent s'émanciper d'hommes toxiques. Vous n'avez pas aimé qu'on charcute Justice League et qu'on renvoie son réalisateur ? On lui donne 30 million pour faire un director's cut de 4 heures. Regardez comme on est gentils.
Margot Robbie, Rosie Perez et Cathy Yan sur le set de Bird of prey
"Si on parle de Snyder Cut, le truc, c'est que les fans se font entendre et nous devons écouter. Ça ne veut pas dire qu'on refera chacun des films qu'on a faits, simplement il faut qu'on soit à l'écoute de notre base de fans. Je crois que nous le sommes." Tony Goncalves, patron d'HBO Max, au micro de The Verge
HBO Max, tournant pour le Snyder Cut
Bien que l'intention soit de redorer l'image, ce n'est pas pour autant que cela suffit à réinvestir dans un film qui a déjà fait perdre beaucoup d'argent. Et le facteur décisif reste la création d' HBO Max. En effet, la création de la toute nouvelle plateforme faite pour concurrencer Netflix et cie a besoin de production originale et de produit d'appel fort pour rameuter des abonnés. Quoi de mieux que de jouer sur la demande des fans qui dure depuis deux ans. Le public est déjà tout trouvé. Il y a fort à parier que Warner n'aurait pas dépensé un copec de plus si ça avait été pour un format physique DVD, bien plus onéreux à produire après coup, alors que les blurays de la version cinéma pullulent déjà sur tous les étalages (et ne parlons même d'une ressortie salle).
Comble de la stratégie mercantile fumeuse, il est envisagé que ce Snyder Cut soit divisé en 4 ou 6 épisodes telle une mini série. Évidemment. S'ils suivent un rythme de diffusion habituel sériel, le premier épisode sera disponible durant la semaine d'essai gratuit pour appâter le spectateur, pour qu'ensuite il doive obligatoirement payer l'abonnement sur deux mois pour accéder légalement à l'entièreté de cette version. Mais après tout, la stratégie est pour le moins maline et on ne peut pas vraiment les blâmer pour ça.
"Le Snyder Cut s'aligne aussi sur les nouveaux besoins des studios - elles ont des nouvelles plateformes à promouvoir" Jonathan Goldstein au micro de The Hollywood Reporter
Une double capitalisation
Cependant là où la démarche est plus éthiquement préjudiciable, aussi bien maintenant que pour l'avenir, c'est dans cette propension où Warner/Dc a doublement capitaliser sur un même produit. Il est fort aisé de sortir une version charcutée et raccourcie au cinéma (qui pourra permettre d'avoir plus de séances en une journée et donc plus d'argent) pour ensuite s'attirer les foudres des fans et provoquer la demande d'une seconde version complète. De quoi booster les ventes de Blu Ray (ou les abonnements pour le cas de la Snyder Cut).
Cela a été exactement le cas avec Batman v Superman (ce qui a quelque peu réhabilité le film) et Suicide Squad (qui n'était même pas un director's cut mais une version avec des scènes supplémentaires). Warner a donc inventé le film en DLC, de quoi prendre encore plus le spectateur pour une vache à lait. Ce danger envers le consommateur sera à surveiller de près pour qu'il ne devienne pas une norme de double capitalisation. Malgré ces démarches du studio quelques peu discutables, est-ce légitime de laisser Snyder sortir SA version et écouter à ce point les fans ou est-ce tout simplement un danger culturel ?
Une hypocrisie des réalisateurs ?
Après la campagne de Snyder pour son Justice League, beaucoup d'autres cinéastes de blockbusters ont fait entendre leurs voix pour sortir leur propre version. David Ayer milite actuellement intensivement pour sortir sa version de Suicide Squad. Cathy Yan tâcle sur Twitter qu'elle n'a pas eu assez de liberté pour Birds of Prey. Un véritable soulèvement. Mais lorsque les réalisateurs signent de tel projet de commande, répondant donc à une initiative et des besoins de producteurs en toute connaissance de cause, n'est-il pas hypocrite d'arguer d'avoir fait un film de studio avec des libertés limitées ?
David Ayer et Margot Robbie sur le set de Suicide Squad
Ici se pose la frontière entre les longs métrages indépendant et les blockbusters. C'est ainsi que fonctionne le marché et les cinéastes font avec (surtout que la paye pour un film de commande est généralement très généreuse). De plus, dans le cadre d'un univers partagé comme le DCCU, il est primordial de justement cloisonner les possibilités, auquel cas on déboucherait sur un univers hybride et incohérent. Est-ce que le réalisateur d'un épisode de série va se plaindre de devoir suivre la direction du showrunner ? Non car on revient au besoin précédemment cité d'avoir une seule tête pensante pour des si gros formats de production.
"Je doute franchement que Zack se réveille tous les jours en pensant à sa version originale de 3h d'un gros projet d'entreprise qui a été mal reçu (...) J'adorerais voir bientôt un autre de ses films. Un film qui, croisons les doigts, ne soit pas sous le joug d'accords merchandising massifs et prééxistants, ni d'un plan prédéfini pour sortir plein de films d'un univers surchargé par des attentes d'une entreprise" James Mangold sur son compte Twitter
Une trahison envers le cinéaste
Mais la réalité reste tout de même bien plus ambivalente, notamment sur les productions de Snyder pour la Warner. Le studio avait lui aussi pleine conscience qu'en engageant le réalisateur de Sucker Punch, son style unique s'imprimerait sur leur univers. Plus encore, c'est ce que les producteurs recherchaient. Dans le cas contraire, ils auraient engagé un simple Yes Man comme il en pullule dansl'industrie.
Lors de la pré-production, les producteurs ont validé la proposition et la vision de Snyder (tout autant qu'ils ont validé la vision de Ayer pour Suicide Squad), eux-aussi en toute connaissance de cause. Leur revirement de veste envers le réalisateur durant le tournage de Justice League était donc malhonnête et aura été le constat d'une preuve de lâcheté de la part d'un studio qui n'a pas assumer sa direction jusqu'au bout. Avant de réparer les pots cassés avec la Snyder Cut. La vision du réalisateur et des producteurs doivent au préalable concorder, être validé et se maintenir tout au long de la production pour le bien du projet. Ce n'est qu'ainsi qu'il pourra être mener à bien.
De plus, à l'heure où les blockbusters s'aseptisent et se formatent de plus en plus, il reste important de favoriser la vision des auteurs fort de proposition. Et c'est en parti ce que recherche le spectateur comme le prouve les succès de Christopher Nolan ou l'engouement autour du Joker de Todd Phillips. Dans cette optique, le Snyder Cut s'avère donc légitime car les accords tacites entre le réalisateur et le studio n'ont pas été tenus par ces derniers au moment de la production.
"Il y a une version réalisateur pour chaque film quelque part, et je pense que l'avantage de ces plateformes streaming c'est qu'elles proposent au public de voir des choses qu'ils ne verraient autrement jamais. C'est finalement une bonne chose, et je pense que la possibilité pour les réalisateurs de montrer au monde leur vision, sans avoir été préalablement filtrée, est en théorie une très bonne chose. "
John Francis Daley au micro de Hollywood Reporter
La toxicité des fans
Cependant le danger est bel et bien là. Le Snyder Cut, ainsi que le redesign de Sonic, résulte d'une pression des fans. Une pression qui a très souvent flirté avec le harcèlement jonché d'insultes et de menaces quotidiennes. A tel point point Geoff Johns (producteur de JL) et Diane Nelson (directrice de DC Comics) ont supprimé leurs comptes twitter. Bien qu'en surface le mouvement #ReleaseTheSnyderCut est bénéfique pour soutenir de la vision de son auteur, au fond approuver le Snyder Cut revient a légitimité le harcèlement et à lui donner de l'importance, puisqu'il a porté ses fruits.
La fandom, qu'elle soit toxique ou non, n'a pas forcément conscience des conséquences de leurs actions à priori anodine. Pour le redesign de Sonic tant attendu par les fans, les exécutifs de la Paramount ont mis une pression monstre sur les modélisateurs VFX pour le retravailler des délais beaucoup trop court, brisant toute éthique du travail en les faisant travailler des dizaines d'heure d'affilées. Pour qu'au final, les employés en question se fassent licenciés. Nous sommes tous d'accord pour affirmer que le premier design du hérisson était affreux. Mais écouter les fans au détriment de la décence apporté aux employés, c'est plus que préjudiciable.
Avant et après"Nous avons passé des heures à boucler deux projets très connus (ndlr-Sonic et Le Roi Lion) durant les derniers mois. Nous avons travaillé plusieurs semaines sans un seul jour de repos, allant même jusqu'à faire plus de 17 heures dans une seule et même journée, au point que certains d'entre nous ont été privés de sommeil. Nous avons travaillé vraiment dur, tout ça pour être foutu à la porte [...] Je me sens honnêtement insulté. J'ai tout donné et en retour, ils me crachent au visage." Un employé de Motion Picture Company sur Carton Brew
Dans le cas de la Snyder Cut, la voix de la fandom allait dans le sens du réalisateur et donc de la liberté de création de l'artiste, une valeur et un soutien des plus honorable. Cependant, bien trop souvent la fanbase semble penser que les oeuvres qu'ils chérissent leurs appartiennent (et la mise en chantier de la Snyder Cut et les stratégies marketing vont dans ce sens) au détriment des preneurs de décision créative. Star Wars 8 peut en devenir un cas d'école. C'était une proposition cinématographique forte, iconoclaste et risqué qui allait à l'encontre de tout ce que les fans auraient pu attendre et leurs réactions a été plus que répulsive.
Rian Johnson et Carrie Fisher sur le tournage de Star Wars 8
Un rejet total qui aura intoxiqué la suite Star Wars 9, le plus gros rétropédalage de tous les temps, débouchant sur un film bancal et une trilogie complètement schizophrène. Comble de l'influence néfaste, Lucasfilm aura été jusqu'à écouter le racisme des twittos et éjecter du scénario le personnage de Kelly Marie Tran qui avait fait ses débuts dans Les Derniers Jedi. Donnant encore une fois du crédit à des harcèlements condamnables.
Le cinéma est fait par des cinéastes et c'est avant tout à eux de prendre les d écisions. Les films appartiennent à leurs auteurs et studios, et non à son public. Ce dernier a le droit de ne pas apprécier, de critiquer voir de carrément bouder, mais il ne peut faire preuve de révisionnisme sur les œuvres. Pondre des pétitions pour faire un remake de Star Wars 8 car celui là n'a pas plu, cela semble ahurissant tout autant qu'impossible. Mais lorsqu'on voit Halloween 2020, Terminator : Dark Fate et les projets d'Alien 3.5 ou Robocop 2.5 de Neil Blomkamp qui efface de la continuité les opus mal aimés de leur saga, on constate qu'on se dirige petit à petit vers ce danger.
Les contradictions des fans
De plus, on peut noter un énorme paradoxe dans la demande des fans du Snyder Cut. Qui ont-été les premiers à décrier le réalisateur après Batman v Superman ? Qui a poussé les studios à le virer de la suite ? Les fans et le public. Et qui a réclamé la Snyder Cut ? Les mêmes après s'être rendu compte des conséquences désastreuses de leurs vociférations sur la production de Justice League. Cela est la preuve que le cinéma de divertissement ne peut être juste qu'un produit fait pour satisfaire les fans car il y aura toujours un spectateur pour être mécontent et crier plus fort que l'autre. L'art et l'industrie du divertissement se doit d'être et de rester une proposition, et non une réponse à des envies de spectateur. Auquel cas, ce sera la mort de la créativité car les fans ne sont ni des artistes, ni des cinéastes.
En fin de compte, la Snyder Cut existe bel et bien après que les fans aient réussis à faire entendre leurs fortes voix. On ne peut que se réjouir pour le réalisateur d'enfin pouvoir partager sa vision et terminer le travail qu'il avait commencé. En tant que journalistes cinéma, on est tout aussi content qu'un studio ré-investisse des millions pour rétablir la liberté de création de l'auteur au sein d'un projet qui nous tient à cœur. Mais il faut bien se rendre compte que toute ceci n'est pas par bonté de cœur et qu'elle résulte de premiers agissements et ingérences impardonnables. C'est avant tout une stratégie commerciale dûment réfléchie.
Il faut être conscient que si la fin est satisfaisante, les moyens d'obtenir cette Snyder Cut n'ont pas tous été honorables ni légitimes. De plus si le public prend une trop grosse place dans les choix créatif, cela ne peut-être que toxique. Cependant, on espère très franchement que ce Director's Cut sera satisfaisant. Dans le cas contraire le retour de bâton ne pourra qu'être très dur pour Zack Snyder, avec une Snyder Cut qui aura fait beaucoup trop de bruit pour rien.