(Reportage) Le Grand Dépotoir de Julien Blaine, par Véronique Vial

Par Florence Trocmé


Le Grand Dépotoir de Julien Blaine à la Friche Le Belle de Mai 

Homme politique en tant que Christian Poitevin, créateur de la Friche, du CIPM, du Mac à Marseille, parmi d'autres...
Julien Blaine excelle dans le cri de l'éléphant qu'il s'est approprié pour communiquer (contrairement au cri de Artaud qui est une déchirure, celui de julo, est un acte, ou un geste de cohésion, et d'union, qui nous transporte de joie) dans une dimension chamanique.... Entre l'enfant et l'artiste, il reste ses costumes, ses masques, ses lettres typographiées, ses textes... 
Depuis une semaine, à 78 ans, Julien Blaine reçoit ses amis aux grandes tables de la Friche de la Belle de Mai, devant un whisky ou une bouteille de vin blanc, pendant que ses œuvres disparaissent de la salle d'expo, enlevées par ceux qui déambulent dans ce lieu de culture, ouvert gratuitement en ce moment. Artistes, galeristes, jeunes du quartier, retraités de la culture à Marseille, amis d'enfance, touristes, étudiants, chacun vient voir l'expo et repart avec une œuvre ou deux. Aucune œuvre n'est référencée, la salle se vide, devant nos yeux, et l'expo continue...
Au fur et à mesure, plus de 500 pièces ont déjà disparu, sans qu’on sache où elles vont... Au fur et à mesure Julien Blaine expose ses œuvres qu'il prend dans la remise annexe de la salle d'expo, des œuvres grands formats, papiers, toiles, objets, photos, textes imprimés, mobilier, etc... (photos) Qu'il expose, pour une durée éphémère, car ces œuvres partent et quittent le lieu très rapidement.
Le travail artistique et poétique de Julien Blaine lui permet de s'amuser beaucoup, de jouer et rire avec ses amis, surtout dans sa bande marseillaise.
(Marseille est une ville clanique qui préserve son clan, comme une tribu), Il se fâche aussi beaucoup ce qui lui permet de se réconcilier énormément, il est très attaché à sa famille, à ses amis, ce qui l'éloigne du marché de l'art qu'il déteste. Le vernissage a eu lieu le jour du début du confinement, la Friche de la Belle de Mai a fermé à 18h, alors qu'une performance se déroulait dans le lieu de l'exposition.
Après le confinement l'événement a repris, avec des dates annulées, des performances en suspens. Ça va très vite, Julien Blaine est quelques fois dépassé lui-même, par son entreprise, il exprime même de la colère par moment ? Protéger les œuvres dans leur disparition (?) - ami avec Parmiggiani- ou bien les laisser disparaître entièrement et complètement ?
Dans une vie libre.
Un petit drame se joue au quotidien, rappelant un happening du siècle dernier, se répétant tous les jours d'ouverture. Défaire, détruire .... re-questionner l'art ? A partir de là où il est institué, à partir de sa monstration ?
Des sentiments ambigües, quelque chose de la performance, qui perfore le concept même de l'exposition, tout en restant dans le cadre de celle-ci. C'est une sorte de rétrospective à l'envers, revenir au point d'origine ? Un travail d'écriture sur le concept d'origine avec Gilles Suzanne, professeur en Esthétique à l'Université d'Aix Marseille, est en cours. 
Un grand paradoxe cher à l'art s'exprime dans cet univers culturel, que Julien a lui-même mis en place il y quelque années, une scène soulevant ainsi, non seulement les problématiques chères à la Performance, et au Happening, mais aussi celles qui hantent l'art depuis la fin du 19ème, questionnant l'espace de l'œuvre, et de la galerie, lieu ou non-lieu. 
Re-venir sur la question de l'espace d'exposition, du spectateur-acteur, de la déambulation, des règles du jeu, du white cube, de la mise en dérision -du marché de l'art en l'occurrence-, de l'humour excédé, du jugement esthétique, du hasard, de la validation de l'œuvre ... etc... Autant de choses incontrôlées, et incontrôlables, qui sont mises à l'épreuve, et "dés jouées". Demain que restera-t-il ? nous n'en savons rien .... Julien Blaine non plus.
Une salle vide -f aisant penser à une allégorie du vide de Yves Klein ? - graphée sur ses murs par l'artiste pour comptabiliser les départs de ses œuvres. En réponse à Banksy qui est présent dans la projection vidéo à l'entrée de l'expo ?
Il y a chez Julien Blaine, un africain, un chinois, un Zorro, un indien, un japonais, un esquimau, un américain, un trappeur, un éboueur, une femme de ménage, un âne, un éléphant, un tagueur, un poète, un artiste, un homme de lettre et de culture, un homme politique, un ami qui m'engueule, etc. ... Toutes sortes d'identités, faisant de lui l'image même de l'artiste contemporain qui existe dans son corps-œuvre, se baladant au travers des classifications.
Véronique Vial