Samedi 20 juin à Saint-Germain-en-Laye. Lever du soleil : 5h47 ; coucher du soleil : 21h59. La plus longue journée de l'année. Forcément, ça se fête. L'idée est simple : partir en vélo à 5h47 pour un périple à travers mon beau département des Yvelines puis enchainer avec de la course à pied jusqu'à 21h59.
Bien sûr, il y a le côté sportif de cette journée. Mais très sincèrement, il est pour moi très secondaire. L’expérience des efforts de longue haleine m’a appris à appréhender ce genre de périple, à avoir de la patience. Savoir apprécier chaque kilomètre, chaque instant est l’une des clés pour de ne plus voir le temps passer.
L’essence de cette journée, c’est le périple, la découverte, la redécouverte. C’est le plaisir de prendre son temps, de lever les yeux, de débusquer un endroit que l’on n’aurait pas encore aperçu par le passé, de s’élancer sur des routes encore inconnues, d’apprécier une lumière, d’avoir tous ses sens en éveil pour ne pas laisser échapper un moment précieux.
Partir ainsi, c’est se souvenir de la chance que nous avons d’habiter en France, et pour moi dans les Yvelines. Traverser tous ces villages, s’étonner à chaque fois d’y voir une église différente dans chacun d’entre eux, souvent contourner une place avec son clocher, la mairie et l’école. La boulangerie et le monument aux morts ne sont jamais très loin. Se servir des odeurs pour connaître l’heure de la journée sans regarder sa montre. Celle du pain frais et des croissants au lever du jour, celle des poulets rôtis en devanture des boucheries en milieu de matinée et quand vient l’heure du déjeuner, celles des merguez, chipolatas et côtes de bœuf posées sur les barbecues dont la fumée s’échappe des jardins.
Il y a des rencontres aussi. S’arrêter auprès d’un monsieur posé sur le bord de la route, quelque part au milieu de nulle part, penché sur un vélo d’un autre temps, avec ses garde-boues attaqués par la rouille, sa dynamo et ses vitesses au cadre. L’impression de se replonger dans un livre sur l’histoire du cyclisme. Lui demander s’il a besoin d’aide et engager la conversation pendant qu’il regonfle son pneu. Derrière sa longue barbe grise, sous une casquette elle aussi d’un autre temps, il vous raconte qu’il vient de se remettre au vélo. Aujourd’hui, il va se contenter d’une quarantaine de kilomètres « parce qu’à 66 ans, c’est plus aussi facile qu’avant et (qu’il) n’a qu’un cœur ». Échanger encore quelques minutes sur les plaisirs des balades à vélo, le saluer, lui souhaiter bonne route puis repartir sur ces routes où passent sans doute plus de tracteurs que de voitures ou de vélos. Un peu plus loin, à une intersection, en voyant déboucher Suzanne, ancienne coéquipière du Meudon Triathlon (mon ancien club), se dire qu’une fois encore le monde est petit. La Vallée de Chevreuse encore davantage. Papoter quelques minutes, prendre des nouvelles de ceux avec qui l’on a partagé quelques bons moments, évoquer les projets puis reprendre la route. « Reprendre la route », une expression mal appropriée puisqu’en réalité, on ne fait que l’emprunter. Comme beaucoup d’autres avant nous et c’est certain, beaucoup d’autres après. Chacun y vit des émotions différentes. Chaque souvenir sera différent. Le mien sera beau. Ce sera celui d’une belle journée.
Avec toujours l’histoire de France en fil rouge. Un départ du château de Saint-Germain-en-Laye à l’heure où le soleil entame sa journée. Clin d’œil à Louis XIV, le roi soleil, né ici. Suivre ses traces et filer à Versailles, s’arrêter devant sa statue posée sur l’esplanade du château qu’il fit construire au 17e siècle et où s’écrivirent tant de pages de l’histoire de notre pays. Puis s’engouffrer en Vallée de Chevreuse à l’heure où la brume se dissipe et laisse apparaître ces paysages qui depuis toujours ravissent cyclistes et randonneurs. Arrivé à l’entrée de Chevreuse, vite passer sur le petit plateau avant d’attaquer la montée vers le château de La Madeleine. Un mur de 700m à 10% de moyenne avec des passages à 15%. Mais au sommet, la récompense avec un superbe panorama sur la vallée. Ici, dans ce château construit au 11e siècle par Gui 1er seigneur de Chevreuse, vécut Jean Racine. Il y trouva l’inspiration.
« Que je me plais sur ces montagnes,
Qui s'élevant jusques aux cieux,
D'un diadème gracieux
Couronnent ces belles campagnes. »
La route s’est aplatie. Direction Choisel. Serpenter sur les petites routes puis apercevoir au bout de la ligne droite le Château de Breteuil. Derrière les grilles encore fermées à cette heure, un parc de 75 hectares où cohabitent jardins anglais et français. La guerre de cent ans n’aura pas lieu ici. Le brexit non plus. Les visiteurs peuvent y découvrir des animations sur le thème des contes de Perrault. Promis, on y reviendra.
Quelques kilomètres plus loin, nous voilà à l’extrémité sud des Yvelines. Plus de forêts, plus de vallons. A perte de vue, de grands champs de blé qui font la richesse agricole du département. Le reflet des rayons du soleil sur les épis leur donnent un éclat unique. Petit passage en Eure-et-Loir avant de remettre le cap au nord. Bientôt se profile le château de Rambouillet (15e siècle), ancienne résidence royale, impériale et présidentielle. Louis Alexandre de Bourbon, fils de Louis XIV et Madame de Montespan, en fut le propriétaire. Plus tard, pour combler l’ennui de Marie-Antoinette qui n’appréciait guère l’endroit, Louis XVI y fit construire une laiterie (Laiterie de la Reine) et la bergerie nationale. Le parc est aujourd’hui un formidable endroit pour flâner ou y faire un footing. C’est aussi ici que s’élancent et reviennent les participants de la course Paris-Brest-Paris, un périple vélo de 1200 km qui n’a lieu que tous les 4 ans. La prochaine édition aura lieu en 2023. Se projeter et se dire que l’on en sera peut-être.
Bientôt huit heures sur le vélo. Déjà ? Peu importe, la balade est belle. Pas la moindre hésitation au moment de faire un petit détour pour prolonger le plaisir en traversant les villages de la vallée. Et tant pis pour les côtes. Moment de nostalgie en traversant Clairefontaine-en-Yvelines en se souvenant des nombreuses fois où je suis venu ici rendre visite à mes Bleues de l’équipe de France féminine de foot, à une époque où les journalistes présents se comptaient alors sur les doigts d’une seule main.
Après avoir longé les étangs de Hollande, créés par Louis XIV pour capter l’eau du plateau de Rambouillet et alimenter les fontaines du Parc de Versailles, la traversée de Montfort-l’Amaury, baptisé ainsi en référence à Amaury 1er seigneur de Montfort, permet de croiser les traces d’Anne de Bretagne (Comtesse de Montfort), Reine de France autour de 1500 après avoir épousé Charles XVII puis Louis XII. Plus récemment, Jean Anouilh, Maurice Ravel et beaucoup d’autres artistes y ont apprécié la beauté et le calme de l’endroit.
Avant d’amorcer le retour vers Saint-Germain, cap à l’ouest. Passage par Houdan et son donjon de 25 m élevé au début du 12e siècle par Amaury III de Montfort. La Collégiale de Mantes-la-Jolie est la dernière étape du voyage. Juste le temps d’apprécier l’ouvrage gothique construit aux 12e et 13e siècles avec ses trois portails (résurrection, vierge et échevins) pour accueillir les fidèles.
L’après-midi est bien entamée au moment de revenir au point de départ de l’aventure. Dans le parc du Château de Saint-Germain-en-Laye, les familles, les jeunes, les marcheurs, les joggeurs ont retrouvé leurs habitudes. Le compteur du vélo affiche un peu plus de 250 km.
Le temps de poser le vélo, de se poser quelques minutes et en route pour le deuxième acte de cette journée solaire. Le temps a filé. Plus le temps de courir un marathon comme je l’avais un temps imaginé, alors autant profiter. Une fois encore. Descendre la terrasse Le Nôtre, rejoindre les quais de la Seine par le parc Corbière du Pecq, filer rive gauche et s’échapper jusqu’à Maisons-Laffitte. Halte dans la boulangerie où il y a plus d’un siècle, Louis Durand inventa le gâteau Paris-Brest, à la demande de son ami Pierre Giffard, créateur de la course cycliste. Le retour se fait par la forêt. Peu à peu, le soleil s’enfouit sous la cime des arbres. Seuls quelques rayons parviennent encore à se faufiler. Après 26 km de course, retour devant le château de Saint-Germain. Les terrasses des bars sont pleines. Comme avant. On y rit, on y vit. Réalisée dans les années 1870 par l’horloger Collin, l’horloge du château indique 21h59. Le soleil se couche. Il en a terminé de sa plus grande journée de l’année. Il reviendra demain... pour éclairer de nouveaux chemins.