J'ai déjà répondu à ces questions, qui ne portent pas sur l'essentiel.
Mais je rencontre encore souvent des gens qui me prennent pour un "élève d'Untel", etc. La plupart des gens adhèrent à la croyance populaire selon laquelle il faut absolument "être initié par un gourou et recevoir un mantra", etc., enfin bref, tout le folklore des routards aujourd'hui relayé par le buziness du bien-être.
De plus, même si ces questions sont, en apparence, anecdotiques, elles renvoient à des problèmes universels : la transmission, l'éveil, la culture. Comment se transmet l'essentiel ? D'où vient que certains entendent et d'autres, pas ?L'essentiel de la transmission est la vie intérieure. Et la vie intérieure, c'est les petites perceptions et les lectures, au hasard d'un rayon de bibliothèque, au détour d'une idée qui vient ou qui revient, par pure coïncidence. Il n'y a pas de grands événements occultes, pas d'arc-en-ciel, pas de trompettes. Juste ce je-ne-sais-quoi qui insiste. Un rayon de soleil sur une table. Un ciel bas et gris. Le bruit des pneus sur la route mouillée. Un chien qui grogne. L'odeur de l'herbe coupé ou de l'essence sur le macadam. Et ce qui transparaît à travers tout cela.
Au départ, il y a des personnes que j'aime et que j'estime dans toutes les traditions. Même dans l'islam. Non par bien-pensance, mais parce que c'est comme ça. J'aime plus telle tradition que telle autre et je sais être fidèle. Mais, comme disait Aristote, j'aime encore plus la vérité et la justice. Non par esprit de syncrétisme, mais par soif. Soif de je-ne-sais-quoi.
Et donc, avec le temps, spontanément, une structure s'est dégagée de cet océan de sagesses. Comme une figure, un mandala. Un visage à cinq faces qui expriment mes cinq familles spirituelles (kula). C'est comme dans la vie : il y a les connaissances, puis les amis et la famille.
Il y a cinq familles, organisées comme sur ce mandala.Ces cinq familles sont les suivantes :- Shivaïsme du Cachemire- Mystique catholique- Vision de Douglas Harding- Dzogchen- Mahâmudrâ
On ne choisit pas sa famille. De même, je n'ai pas choisi ces familles spirituelles. Mais, de même que l'on choisi de garder ou non le contact avec sa famille, j'ai persévéré avec elles.Ma 'famille" spirituelle principale est le shivaïsme du Cachemire. Je vais donc me pencher sur elle pour tenter de répondre aux questions que l'on me pose souvent à propos de l'initiation, du maître, etc.
Quelles initiations ai-je reçues ?Je vais essayer de répondre de la manière la plus claire, sans chercher à séduire en ornant la chose. D'abord, il faut se demander ce qu'est une initiation selon la tradition du shivaïsme du Cachemire.Je vais énumérer les principales formes d'initions traditionnelles pour ensuite me demander lesquelles j'ai reçues, où, quand et par qui. 1) L'initiation principale est l'initiation tantrique ou par le Mantra, autour d'un rituel du feu (hautrî-dîkshâ, samaya-dîkshâ). Dans ce domaine, j'ai d'abord été initié dans l'hindouisme commun, ou brahmanisme, avec la "cérémonie du cordon" (upanayana). La cérémonie a été faite à Lucknow en juillet 1997, par des brahmanes de l'Ârya Samâj. L'upanayana est faite par le père du jeune "deux-fois né". N'ayant pas de père brahmane, c'est un brahmane qui m'a pour ainsi dire adopté et qui a fait la cérémonie pour moi comme il 'aurait faite pour son fils. Et comme il n'avait pas de fils, mais seulement des filles, cela l'arrangeait bien. Il était brahmane et fils du râdja de Gonda dans l'Uttar Pradesh, non loin de Gorakhpur. Il était aussi astrologue, et proche des milieux hindous au pouvoir, ce qui a été d'une grande aide car, comme vous savez, il n'y a pas, normalement, de conversion à l'hindouisme, et encore moins d'accession au statut de "brahmane". Le chemin a donc été long, j'ai visité maints chefs religieux et politiques (la frontière étant souvent confuse), certains avec gardes du corps, d'autres où j'étais guidé les yeux bandés : le Nord de l'Inde est un monde violent et souvent ténébreux. Mais finalement, je suis arrivé devant les brahmanes de l'Ârya Samâj et j'ai subi une sorte de test, principalement sur mes connaissances. Comme mon père était décédé à l'époque, ils étaient d'accord sur le principe pour que je sois "adopté" par le râdja-brahmane de Gonda. Il y avait deux témoins, un Français (Régis, qui nous a quitté depuis) et un Belge (Michel Dautricourt). Nous étions tous dans le pavillon autour du feu védique, en accoutrement traditionnel. Le râdja de Gonda m'a revêtu du cordon sacré, m'a transmis la Gâyatrî, nous avons fait les rituels védiques, j'ai eu droit à un certificat de conversion, et voilà tout.Pour donner une idée de la chose, voici la cérémonie de l'upanayana selon l'Ârya Samâj, organisation qui s'attache spécialement à exécuter les rituels dans leur forme védique (shrauta). Cela étant, les différences d'une sous-tradition à une autre sont mineures :Pour le shivaïsme, il existe des équivalents des rites védiques (samskâra). L'upanayana autorise (adhikâra) a étudier le Savoir (veda) et ses branches auxiliaires. La pratique principale est, aujourd'hui, le rituel de la louange faite aux jonctions (sandhyâvandana). Le Mantra principal est la Gâyatrî et il en existe bien entendu des variantes avec les Mantras de chaque tradition. Voici un exemple du rituel exécuté à l'aube, à midi, au crépuscule et, parfois, à minuit :Par la suite, j'ai reçu l'initiation de l'Ishtalinga dans la tradition Vîrashaiva, en août 2002, dans le sous-sol d'un temple de Shiva, non loin du célèbre temple de Yellâmma, au Karnâtaka, par un maître de cette tradition (jangamâchârya). Voici un exemple de pûjâ à l'Ishtalinga. En général, c'est plus simple, moins "fleuri" :
Cette initiation autorise à pratiquer la pûjâ et le yoga de l'Ishtalinga dans la tradition shaiva de Bâsava, fortement imprégnée des enseignements du shivaïsme du Cachemire. J'ai donc reçu un Ishtalinga dans son petit reliquaire d'argent et j'ai été initié à la pratique de ce yoga de Shiva.
Voici une autre présentation, sur une tv locale. Notez la concentration sur le reflet lumineux à la surface du linga :
Ensuite, en juin-juillet-août 2008, j'ai reçu l'initiation à la Shrividyâ, et spécialement à la pratique de Parâ Devî, telle que transmise dans la Liturgie de Parashurâma (Parashurâmakalpasûtra), à Dévîpuram en Andhra Pradesh, sous l'égide d'Amritânanda Nâtha Sarasvati. Voici une vidéo d'un enseignement de ce dernier :
Cette tradition est la tradition directement venue d'Abhinavagupta. Pour moi, ce fut la plus importante des initiations formelles, car à cette occasion j'ai reçu non seulement le Mantra de Parâ en droite ligne d'Abhinavagupta, mais en plus, tous les Mantras des principales traditions tantriques non-duelles, et surtout les Mantras de Kâlî Kâlasamkarhsinî, contrepartie ésotérique de Parâ, au coeur de la plus haute de toutes les traditions tantriques : le Kâlîkrama ou Devînaya, Mahârtha, etc. En effet, ces Mantras sont transmis dans le Rashmi-mâlâ-mantra de la Liturgie de Parashurâma. J'étais donc très heureux de recevoir cette initiation formelle, qui me reliait de façon formelle aux maîtres du shivaïsme du Cachemire, lequel se diffusa dans le Sud de l'Inde du vivant même d'Abhinavagupta au début du XIe siècle, à travers des maîtres comme Madhurâjayogî.
Amritânanda Nâtha était très généreux et ouvert. A l'époque, j'étais le seul Occidental séjournant chez eux. J'étudiais le Khadgamâlâstotra avec le prêtre du temple de la Déesse, des rituels de Ganesh et de Shiva avec des disciples de passage. J'assistais à la consécration comme maître successeur (abhisheka) de Karunâmaya et j'accompagnais le maître et sa femme dans leurs tournées. Amritânanda Nâtha traduisis pour moi le Manuel de la Déesse Parâ (Parâpaddhati) qui forme le sommet et la conclusion de la Liturgie. J'ai donc reçu la pratique avec tous ses détails, ainsi que la pûjâ de la Shrîvidyâ (navâvaranapûjâ), mais j'étais moins intéressé et, comme mon séjour était limité, je choisis de me concentrer sur la Déesse Parâ, la tradition d'Abhinavagupta lui-même. Amritânanada Nâtha me transmis tout cela sans rien m'imposer, en répondant à toutes mes questions.
Voilà pour les principales initiations formelles, tantriques e extérieures (même si elles peuvent s'accompagner d'expériences intérieures).
2) Mais il existe, selon le shivaïsme du Cachemire, d'autres initiations :
Ainsi, selon Abhinavagupta (Tantrâloka, IV, 65a, dīkṣayejjapayogena raktādevī kramādyataḥ...), il n'est certes pas permis de s'initier soi-même en prenant des Mantras "dans un livre". SAUF, si un maître pour ce Mantra n'est pas disponible. Il suffit alors de réciter le Mantra avec foi, et l'on sera initié alors par la Déesse-conscience elle-même (samvid-devî, raktâ-devî). Il n'y a transgression (samayollangha) que s'il y a un vrai maître accessible pour tel Mantra et qu'on refuse d'être initié par elle/lui, préférant "voler" le Mantra dans un livre. Si un tel maître n'est pas accessible, il n'y a pas transgression.
Selon le Trika, il est parfaitement possible d'être initié directement par "les divinités de notre conscience" (samvid-devatâ-cakra), c'est-à-dire à travers notre corps et par notre intellect illuminé par "la pure science" (shuddha-vidyâ). C'est aussi l'enseignement de la philosophie de la Reconnaissance (Pratyabhijnâ), laquelle se présente comme accessible à toutes et à tous, sans initiation formelle. C'est une voie "nouvelle" et "facile" nous dit Utpaladeva, bien qu'elle soit reliée à une lignée venant de Shrîkantha.
Abhinavagupta nous explique que la conscience est absolument libre et qu'elle agit selon ses désirs. Dans le chapitre XII du Tantrâloka, il explique que la conscience s'éveille par elle-même ou par une initiation apparemment extérieure. Tout est possible. Mais, comme la réalité extérieure n'est qu'une manifestation de la conscience à l'intérieur d'elle-même, c'est toujours la conscience qui s'initie elle-même, par elle-même. Les qualifications, le mérite (punya), le karma, les initiations, l'ardeur à la pratique, la dévotion elle-même, ne sont que des manifestations du jeu de la conscience (cid-vilâsa). Donc tout est possible.
La lignée, selon la lignée du Cachemire, c'est réaliser que, moi et les autres membres de la lignée, sommes un seul flot de conscience souveraine. Sur ce point, parfaitement traditionnel, on lira la fin du chapitre IV du Tantrâloka, qui paraphrase le Kaulasûtra.
De même, pour ce qui est de la pratique de Parâ Devî, c'est-à-dire de son Mantra, il est accessible par la simple foi. Le Parâtrîshikâ Tantra, 18, le dit noir sur blanc : "Qui connaît (le Mantra) en sa réalité est initié, est un yogî, jouit de la réalisation, même sans avoir vu le mandala" (adṛṣṭamaṇḍalo'pyevaṃ yaḥ kaścidvetti tattvataḥ/
sa siddhibhāgbhavennityaṃ sa yogī sa ca dīkṣitaḥ), même sans rituel d'initiation. Et Abhinava commente ce point essentiel dans son Vivarana. Si vous n'êtes pas convaincu, je vous renvoie à ce texte, traduit par Jaideva Singh.Autrement dit, l'initiation est la réalisation spirituelle, l'éveil, la compréhension (bodha). Toutes les autres initiations ne sont que des symboles ou des représentations de cet acte de conscience de soi. Le Mantra véritable -mantravîrya) est la conscience de soi "je suis je" (aham aham). C'est le coeur de tous les Tantras, l'instruction quintessentielle de la bouche de la Yoginî (yoginîvaktrâgama), le Coeur de la Yoginî (yoginîhridaya), c'est la moelle de tout, le coeur du coeur, l'essence même de la conscience, la vie de la vie, la vérité de la vérité, etc.
3) Mais alors, demandera-t-on, suffit-il de prendre n'importe quel Mantra, de faire une jolie vidéo Youtube et de se proclamer initié ?
Oui. Et non.
Abhinava, l'autorité suprême en la matière (et qui, de toutes manières, ne dit jamais rien sans donner une référence traditionnelle), affirme que n'importe quel être peut s'éveiller, et donc être initié, sans aucun moyen extérieur ou intérieur. La conscience, libre, s'éveille librement. Fin de la discussion. Toutes les lignées, toutes les transmissions, toutes les initiations se ramènent à cette intuition. Il n'y a pas matière à débats sur ce point. Soit vous comprenez, soit la conscience, en vous, continue à jouer à l'ignorante. Et c'est très bien.
Et donc, n'importe qui peut s'éveiller spontanément (samsiddhika). Et s'affranchir ainsi de l'ignorance (avidyâ) qui est la seule et unique cause de la condition mondaine (samsâraikakâranam).
Cependant, Abhinava pose un cadre à cet "éveil sauvage". En effet, il existe deux formes d'ignorance : l'ignorance discursive et "intellectuelle" qui s'exprime sous forme de discours, dans le langage. Et une autre sorte d'ignorance, dont on parle seulement dans le shivaïsme : l'ignorance intuitive, celle qui est de l'ordre du sentiment, qui vient "d'avant les mots", d'avant l'intellect.
Or, l'éveil spontané supprime cette ignorance intuitive, mais laisse intacte l'ignorance intellectuelle. Seule la connaissance intellectuelle peut supprimer cette ignorance intellectuelle, même si elle ne mets pas nécessairement un terme à l'ignorance intuitive. Or, la connaissance intellectuelle, c'est la connaissance de l'enseignement, des textes (shâstra, shâsana).
Mais, dans tous les cas, conclut Abhinava dans le premier chapitre du Tantrâloka, la connaissance intellectuelle est la plus importante. C'est elle qui permet de transmettre, c'est elle qui constitue la pédagogie qui fonde la tradition. Au fond, tout le monde a la connaissance intuitive, en ce sens que chacun porte en soi un pressentiment de la vérité, dans la mesure où la vérité est la conscience, et où la conscience ne peut, par essence, jamais disparaître ni cesser complètement. En revanche, c'est la connaissance intellectuelle, discursive, qui fait défaut.
Abhinava ajoute qu'il vaut mieux avoir un maître qui a la connaissance intellectuelle, sans la connaissance intuitive, que l'inverse. La pédagogie d'abord ! Dès lors, les livres sont importants. Plus importants que l'expérience, en un sens, car l'expérience brute, en elle-même, sans discours, ne s'oppose pas à l'ignorance : la conscience enveloppe l'ignorance et l'aveuglement, comme le ciel clair accueille les nuages sombres. Seule la connaissance intellectuelle peut détruire l'ignorance intellectuelle. Ce point est développé dans la Doctrine secrète de la déesse Tripurâ, dont on trouvera de nombreux extraits dans mon Anthologie du shivaïsme du Cachemire parue chez Almora.
Et donc, un "éveillé spontané" doit montrer son respect envers les livres et envers les maîtres qui les expliquent, dit Abhinavagupta, et ce, même si ces "éveillés" n'en ont plus vraiment besoin. Cependant, même eux n'atteindront la plénitude en cette vie (jîvanmukti) que s'ils acquièrent aussi la connaissance intellectuelle, par les livres.
Car la fonction du maître, en dehors des rituels, est principalement d'expliquer les enseignements. Le maître est d'abord un lecteur (upâdhyâya) qui fait la leçon (adhyâya), c'est-à-dire la lecture des textes (shâstra, tantra). Cette importance de l'écrit est complètement passée sous silence aujourd'hui, dans un monde mercantile du "tout, tout de suite" où les facultés intellectuelles ne cessent de régresser. La discipline de l'école - cette mise entre parenthèse à l'abri des vautours du Marché - n'est plus qu'un songe, insipide à nos neurones débiles. Mais il est clair que, sans concentration, sans faculté d'analyse et d'argumentation, sans mémoire, nous sommes handicapés, au sens le plus littéral du terme. Bien sûr, nous avons nos prothèses, mais à quel prix ? On ne sait plus si le handicap appelle la prothèse, ou si c'est cette dernière qui alimente, voire crée, le handicap...
Quoi qu'il en soit, le maître est important, essentiel pour expliquer les livres, et la lecture des livres, même seul (svâdhyâya) ne peut être remplacée par aucune autre pratique. Elle est le parent pauvre de la spiritualité mercantile de notre monde en "expérimentation" permanente. Mais elle est l'âme de toute transmission, passée, présente et à venir.
Dans ce domaine, j'ai eu la chance de beaucoup lire, depuis 1985 environ. J'ai découvert le shivaïsme du Cachemire en 1990, à travers les traductions de Lilian Silburn. Puis j'ai été initié au sanskrit en 1991. J'ai commencé, peu à peu, à lire toutes les traductions, puis les originaux, puis à apprendre assez de hindî pour lire les paraphrases des textes sanskrits. J'ai appris l'anglais, bien sûr.
En 1995, j'ai commencé à étudier à Lucknow avec Navjîvan Rastogî, un élève de KC Pandey, d'abord le Pratyabhijnâhridayam. Puis j'ai étudié à Kolkatta en août, septembre et octobre 2002 avec Devavrata Senasharma, un élève de Gopinâth Kavirâj. Avons lu la Siddhitrayî d'Utpaladeva. Puis, de 2003 à 2006, j'ai étudié à Bénarès avec Radheshyâm Chaturvedî, un érudit qui pratiquait une forme tantrique axée sur la Gâyatrî et qui connaissait très bien le shivaïsme du Cachemire dont il a traduit et commenté bien des oeuvres en hindî ; j'ai aussi étudié avec Mark Dyczkowski qui reste, à mes yeux, le plus grand savant du shivaïsme du Cachemire ; enfin, j'ai eu la chance d'étudier très régulièrement pendant deux ans auprès de Hemendranâtha Chakravarty, un autre élève de Gopinâtha Kavirâja. Nous avons lu de nombreux textes.
Auprès d'eux, j'ai pu lire directement ces textes, principalement le Tantrâloka et son commentaire Viveka, en particulier auprès de Hemenji, très accessible et qui m'a enseigné les points essentiels du yoga et de la méditation.
Ces gens ne m'ont conféré aucune initiation formelle, mais ils m'ont transmis l'essentiel, c'est-à-dire de quoi poursuivre mes études seul.Telle est, à mes yeux, la transmission essentielle, qui n'est ni une soumission à des dogmes inertes, ni tyrannie d'une expérience réputée transcendante. Des individus esclaves d'une tradition, j'en ai rencontré quelques uns. Mais des drogués de "l'éveil" d'un matin qui voulaient se suicider le soir même, j'en ai rencontré des centaines. Et quelques uns sont passés à l'acte. Beaucoup de sont détruits. La plupart se sont égarés. J'étais avec les Moojis et autres "éveillés" de Papaji, de 1995 à 1997, quand les joints tournaient de main en main sur les toits des villas d'Indira Nagar. J'y étais. J'ai assisté à la naissance du "mouvement satsang" et à cette nouvelle spiritualité qui s'est épanouie grâce à Internet. Et je dis : on peut certes rester esclave d'une tradition mais, sans aucune tradition, sous une forme ou sous une autre, on tourne en rond. Les intoxiqués du ressenti et autres événements surnaturels s'embourbent. Ceux qui mentent finissent toujours par le payer.
Et la tradition n'est pas toujours celle que l'on croit : parmi les lignées revendiquées, presque aucune, à ma connaissance, n'est "ininterrompue", nulle part, jamais. Il y a toujours des zones d'ombres, des ruptures, des compromis, des arrangements. D'un autre côté, une tradition peut se poursuivre par des visions, par des lectures, par des textes qui sont comme des fils qui relient des individus au-delà des lieux et des siècles. Il existe d'innombrables exemples de cela.
Ma conclusion : l'important, ce ne sont pas les initiations extérieures, ni les seules intuitions intérieures. L'important, c'est le continuum qui se crée, bon an, mal an, à travers tous les moyens, tous les canaux. "Être initié" à une tradition, c'est se reconnaître dans cette tradition. Être initié, c'est tomber amoureux. Les mariages arrangés ne débouchent pas toujours sur l'amour. Parfois seulement. Pas toujours. Puis, il y a des amours légitimes, d'autres illégitimes. Il y a des rois, des héritiers. Et il y a des bâtards. Il y a tant d'individus initiés "selon les formes" qui se sont révélés vides comme des zombies ! Il y a tant d'exemples d'individus bâtards qui se sont révélés sauveurs de tradition !
Ma tradition, c'est ma culture, ce sont mes ancêtres spirituels, peut importe que tout cela soit "livresque" ou "oral". J'ai assisté à tant de "cours" et initiations inertes (notamment de la part des Tibétains, d'une nullité effarante pour la plupart), j'ai fait tant de lectures magiques ! Je deviens ce que je mange, ce que je lis, ce que j'étudie. Quand je rêve en "shivaïsme-cachemirien", c'est que je suis initié : voilà mon critère.
Il ne faut pas non plus oublier les critères de la tradition que j'ai mentionné plus haut : initiation formelle, éveil, enseignement oral et, par-dessus tout (je souligne car c'est le point négligé aujourd'hui), la lecture. Lire, lire, lire. C'est physique, c'est mental, c'est spirituel. Tout ce que l'on voudra. Mais c'est cela, la transmission. C'est la lecture patiente, au fil des jours, sans brillant, sans fables, avec ses hauts et ses bas. Cela peut sembler terne. Il ne s'agit pas de "devenir un initié", mais d'écouter, de réfléchir, de méditer.
P.S. :
1) Qu'en est-il se mes autres "familles" ? Pour la Vision de D. Harding et la mystique, pas d'initiation au sens ésotérique du terme, donc je n'en parle pas ici. Pour Dzogchen et Mahâmudrâ, j'ai reçu de nombreux enseignements et initiations. Mais je pourrais reprendre à peu près ce que j'ai dit sur le shivaïsme du Cachemire. Sauf que je ne pratique pas le tibétain chaque jour, contrairement au sanskrit. Mais bon, ce sont aussi mes "familles".2) Qu'en est-il de Lilian Silburn ? -J'ai lu et relu ses oeuvres, encore et encore. Mais je ne l'ai jamais rencontrée de son vivant. J'ai "fréquenté le Vésinet", comme on dit, après sa mort. Cependant, je ne me considère pas comme son disciple, ni comme un disciple de la lignée santo-soufie dont elle se réclamait. Juste deux points que je développerai peut-être un jour :
a) Silburn et ses disciples n'enseignaient pas le shivaïsme du Cachemire et
b) Je suis convaincu, avec de bonnes raisons, que le coeur de la spiritualité de Lilian Silburn n'était pas le shivaïsme du Cachemire, et encore moins la tradition Naqshbadi-Mujaddidîya.