L’instauration du Movimiento Nacional sonne la fin des particularismes accordés aux provinces de Navarre, Biscaye et Guipuscoa et l’imposition du castillan comme langue officielle. Elle s’accompagne d’une répression particulièrement féroce contre les tenants de l’identité basque qui souhaitent poursuivre la pratique de leur langue et l’organisation de manifestations culturelles propres.
Quand Julian Madariaga, cofondateur de l’ETA arrive à Bilbao en Espagne dans les années 50, il découvre "une société morne, grise, triste, frustrée dans tous les sens du terme. Je trouve un film en noir et blanc. Du côté moral, c’était une société pleine de peur, terrorisée, vaincue. Il y avait la police secrète franquiste partout. Parfois, on commençait à parler, et les gens nous faisaient “chuut, chuut” en regardant à droite et à gauche. En 47, 48, des années lourdes vraiment. (…) 52-53 c’est là que nous fondons l’ETA qui signifiait action. Le but principal était la récupération nationale perdue, qui s’appuie sur le passé du Royaume de Navarre et de sa langue."
Interrogé sur le radicalisme de l’organisation, Teo Uriarte, ex membre de l’ETA analyse pour sa part que " le sectarisme de l’ETA est plus lié au franquisme qu’à l’idéologie nationaliste. (…) Je crois que ETA est une fille bâtarde du régime de Franco. J’appartiens à la génération ouvrière et universitaire qui était au début plutôt passive mais qui assuma plus tard la lutte armée." Il rappelle ainsi l’inspiration marxiste-léniniste initiale du mouvement, concrétisée par l’arrivée aux assemblées successives qu’il tenait d’individus plus radicaux, inspirés par les luttes tiers-mondistes et imposant petit à petit la nécessité de la lutte armée contre le gouvernement central de la dictature.
Rares sont les organisations terroristes dont l'action se répercute sur plusieurs décennies, si ce n'est l'ETA. Si l'on avait pu croire que sa mort serait concomitante de celle de son ennemi naturel, Francisco Franco, et qu'elle participerait à la transition démocratique en intégrant le multipartisme naissant, il n'en fut rien pour la branche la plus radicale du mouvement. Au sein même de l’organisation, une opposition nette s'établit entre les partisans privilégiant la voie politique, et les partisans refusant d’abandonner la lutte armée. Au moment de la mort du dictateur Franco (décembre 1975), trois branches de l'ETA cohabitent : l’ETA politico-militaire, l'ETA militaire et les CAA (Commandos autonomes anticapitalistes). L’ETA a, en effet, réussi à créer un important réseau opérationnel dans tout le Pays Basque et en Navarre. À partir de la fin de l’année 1977, elle entame sa plus puissante offensive qui durera, dans un premier temps, jusqu’en 1980. L'ETA militaire est à cette époque capable de fournir des armes à une centaine de cellules terroristes de ce réseau dont on recense, en moyenne, une intervention tous les 11 jours. Il s'agit à chaque fois de personnes nouvellement recrutées, formées, armées et envoyées commettre des attentats, auxquelles s'ajoutent les commandos illégaux (CAA) roués au techniques de combat. Ces deux dispositifs se relaient dans l'organisation des attentats, alimentés par des membres venus de France et soutenus par une toile dense d'habitantes et habitants des villages environnants. Il s'agit de personnes hors de la clandestinité en possession de papiers d'identité (donc non-fichés par la police), d'un domicile, d'un travail ou d'études mais qui viennent en aide à l'ETA en leur offrant nourriture, planques, soutien logistique.
Face à eux, les groupes anti-terroristes de la Guardia Civil, comme le Groupe de Guernica ou de Bilbao réalisent quelques prises mais sont largement dépassés par ces forces mouvantes et sans cesse renouvelées. L'Espagne se souvient de ces années comme une période de terreur, l'année 1980 cumulant à elle-seule : 480 attaques terroristes, 131 morts, 89 tués directement par l’ETA, 7 par les commandos autonomes (branches de l’ETA), 432 blessés, environ 200 explosions, 57 bombes désactivées ; c’est-à-dire un assassinat tous les 3 jours et un attentat tous les 2 jours. Deux attentats d'une envergure particulière ont particulièrement marqué les mémoires au cours de cette année, parce qu'ils requéraient une organisation plus complexe que précédemment : deux patrouilles de gardes civils sont attaquées, tandis qu'elles se déplacent en véhicule. Deux gardes civils perdent la vie dans la première, deux terroristes de l'ETA trouvent la mort dans la seconde. Médiatisées comme des faits d'armes presque "glorieux" par la presse écrite, ces attaques confèrent une aura prestigieuses à l'organisation.
Mais, 1980, représente également la charnière temporelle à partir de laquelle, et ce jusqu'à la fin de son activité en 2010, l'ETA s'en prend indistinctement à des policiers, des militaires, des hommes politiques non nationalistes des juges, des journalistes, des chefs d’entreprise, des ouvriers, des intellectuels et des civils de toutes catégories.
Durant toute cette période de terreur, le rôle des médias s'avère très discutable dans le relai et la présentation des informations. Plusieurs journaux publiaient de fausses déclarations de citoyens ensuite assassinés par l’ETA, malgré la demande de rectification qu’ils avaient formulée. Des gérants de bar et de restaurants ont ainsi fait les frais d'exécutions aveugles et sanglantes parce qu'on les avait vus discuter avec des gardes civils venus manger dans leur établissement, ou que des personnes mal intentionnées avaient déformé leurs conversations. D'une part, les journaux faisaient la part belle aux terroristes, et très peu aux victimes, en interrogeant dans leurs articles si l'auteur de l'attentat ou de l'attaque terroriste jouait dans le club de football dans sa jeunesse, s’il avait été se cacher dans la montagne ou pas, les procédés il avait utilisé pour son action. D'autre part, les clichés impudiques de cadavres s'affichaient en une des journaux, sans délicatesse aucune vis-à-vis des familles et de l'entourage des victimes.
Sur le plan politique, les adversaires de l'ETA ne sont pas épargnés. En 1980, les forces en présence à abattre sont les partis de l’Alliance populaire et l’Union du centre démocratique (UCD). L’Alliance populaire paye le plus lourd tribut : l'assassinat de Modesto Carregas fut le premier d’une longue série de victimes dans ses rangs. Il suffisait en effet d’appartenir au parti étant pour être assassiné. L’ETA s’en est ensuite prise à l’UCD qui ne trouvait plus de candidats pour le représenter lors des élections municipales, plus d’hôtels pour organiser ses meetings. On peut ainsi dire que la droite disparaît du Pays Basque jusqu’en 1995.
La situation géographique de la région a longtemps permis à l'organisation terroriste de prospérer en installant son arrière-base en France. Quelques kilomètres après la frontière, à 20 minutes de trajet de San Sebastian, les dirigeants de l'ETA vivaient en plein jour, à visage découvert, dans des villes comme Hendaye, Saint-Jean de Luz, etc. D'autres disposent du statut de réfugiés politiques, touchent des prestations sociales, tout en entreposant leur arsenal et en organisant le racket des chefs d'entreprise locaux par le biais du fameux "impôt révolutionnaire."
Le documentaire réalisé par Inaki Arteta dédié à l'année 1980 en Espagne, donne la parole à Marcelino Oreja, délégué du gouvernement au Pays Basque : "Je devais chercher à me rapprocher de la France. La collaboration avec d’autres pays comme l’Allemagne était inutile. Il nous fallait celle de la France, et la France n’a pas collaboré. La justification était que l’Espagne n’était pas encore un pays démocratique. En effet, nous n’avions pas organisé d’élections. Mais quand on les a organisées en 1977, ils ont argué qu’on n’avait pas de Constitution. Pourtant, une fois l'Espagne dotée d'une Constitution, les problèmes ont perduré.” L'élection de François Mitterrand en 1981 change la donne : les services de police français et espagnols collaboreront désormais jusqu'à l'arrestation des leaders ETA dans les deux décennies qui suivent.
Ces nombreux facteurs expliquent en partie la longévité d'action de l'ETA, et ce, en presque totale impunité. Pourtant, il semble difficile d'imaginer le soutien pérenne d'une population décimée par les attentats. Un des témoins interrogés dans ce même documentaire d'Inaki Arteta confie une analyse intéressante : "pour quelqu’un comme moi qui a grandi au Pays Basque dans les années 80, les gens sous escorte, le sectarisme et les tags menaçants étaient quelque chose de normal. A la sortie de la transition, le Pays Basque allait très mal socialement et économiquement, et connaissait des problèmes de cohabitation. C’est alors qu’un mouvement antisystème jaillit et dit qu’en plaçant une limite avec l’Ebre, tout ira mieux au Pays Basque, c’est séduisant. On écoutait du rock radical basque qui parlait d’ « etsaiak » c’est à dire les ennemis, d’attaques de tsxonas, pendant les fêtes de Bilbao." Et de conclure : "des études montrent que la peinture du récit nationaliste, de la guerre civile comme une guerre entre Basque et Espagne qui aurait prétendument envahi le Pays Basque s’est transmis par les amis, la famille, l’Église c’est à dire le cercle social. Mais pas par la musique et les livres. L’un des vecteurs les plus puissants du nationalisme radical, c’est la famille." Georges Floyd est tué par un policier américain et le monde s’embrase. Parce que noir, il a fui, car être noir aux Etats-Unis implique encore de fuir devant les forces de l’ordre. Il a eu peur et cela ne l’a pas sauvé. Il est mort asphyxié sous le...