Sire, Jean Raspail n'est plus...

Publié le 13 juin 2020 par Francisrichard @francisrichard

Sire, Jean Raspail n'est plus.

Aujourd'hui il a rendu son âme à Dieu dans l'hôpital parisien Henry Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge, aux couleurs inverses du drapeau suisse.

C'est un grand écrivain français qui disparaît. C'est ce que je veux retenir de lui, n'en déplaise aux folliculaires qui ne pensent qu'à s'en prendre à l'homme, post mortem.

En 2015, la maison d'édition Robert Laffont a publié dans sa collection Bouquins un recueil de six volumes de son oeuvre romanesque, dont un inédit, La Miséricorde, qui est volontairement inachevé.

Dans sa préface à cette édition, Sylvain Tesson écrit:

Raspail s'est étourdi de voyages avant d'écrire son premier roman. Il a regardé les nuages transhumer au-dessus des forêts, les steppes australes, les chenaux et les océans blêmes.

C'est l'explorateur, tel que je l'ai connu, d'abord en allant à ses conférences de Connaissance du Monde, à la Salle Pleyel à Paris, puis en lisant ses récits qui m'ont invité au voyage.

Sylvain Tesson ajoute, ce qui vaut aussi bien pour ses récits d'aventures que pour ses romans, qui, les uns comme les autres, m'ont durablement impressionné:

Devant l'effroyable désagrégation de toute chose sous la roue de l'Histoire, Jean Raspail, au contraire, a inventé un comportement autrement plus original que la nostalgie: il a choisi de veiller sur les ruines.

M'a également impressionné son engagement comme président du Comité national pour la Commémoration de la mort de Louis XVI, guillotiné place de la Révolution (l'actuelle place de la Concorde) le 21 janvier 1793, date qui marque un tournant des Lumières vers les Ténèbres.

Aussi, ayant lu son roman Sire qui obtint en 1992 le Grand Prix du roman de la Ville de Paris et le Prix Alfred de Vigny, m'en suis-je inspiré pour composer un poème éponyme, que je lui ai dédié.

Ce poème est imprégné de son style qui, comme le dit Sylvain Tesson, n'est pas l'art d'enfiler de belles phrases en chapelet, mais la capacité à architecturer un univers propre, un climat, et à les déployer, jusqu'à l'obsession, de livre en livre.

Jean Raspail, à qui je l'ai fait parvenir à l'époque, m'a dit un jour avoir inséré ce poème dans son propre exemplaire de Sire. En le reproduisant ci-après, c'est ma modeste façon de lui rendre hommage.

Francis Richard

Sire


Vos enfants orphelins sont frappés d'hébétude.
Ils sont désemparés, en profond désarroi,
Depuis que par révolte ils se trouvent sans roi.
De ne penser qu'à eux ils ont pris l'habitude,


Ce qui mène tout droit aux pires servitudes.
Ils sont bien peu nombreux ceux qui, à votre endroit,
Éprouvent l'affection, toute mêlée d'effroi,
Que devrait vous valoir votre noble attitude.


Ils vous imaginent montant à l'échafaud,
Sans que nul ne puisse vous surprendre en défaut
De céder à la peur ou d'apparaître indigne


Du tragique destin, qui vous tint embrassé,
Et, pour notre malheur, fut un jour tout tracé,
Comme un sillon sanglant, sur notre sol insigne.

********

Par le vaste monde, violentée la nature,
Par tous ses ennemis, le pays infesté,
Le profane acclamé, le sacré détesté,
Les âmes affamées, privées de nourriture,


Elle est en deux siècles consommée la rupture.
La décadence est là, c'est un fait attesté,
Et le sacrifice de votre Majesté
Ne fut que le prélude à la grande imposture.


Voyez dans quel état sont hélas vos sujets.
Plutôt que des pousses on dirait des rejets.
Priez donc le Seigneur d'avoir miséricorde


Pour les Français d'en-bas subissant la discorde,
Qui gardent au fond d'eux un coeur fleurdelisé
Et souffrent sans un mot d'être autant méprisés.

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Ils ne commettent pas que des péchés véniels
Ceux qui, pour la Raison, nous font battre la fête
Elle tourne toujours à des dîners de têtes,
A des festins de morts accommodés de fiel.


Ô fils de Saint Louis, qui montâtes au Ciel,
Intercédez pour nous, pour notre reconquête.
Que s'éloigne le temps des cinglantes défaites.
Que vienne la victoire avec son goût de miel.


Qu'il soit mis une fin à nos incertitudes.
Que s'achève l'ère de la décrépitude.
En combattant ainsi pour le Trône et l'Autel,


Pour qu'à notre Patrie soit donnée renaissance,
Nous renouons avec la véritable essence,
Qui par descendance nous rend comme immortels.

Composé à Chatou, le 10 janvier 1993, Fête de la Sainte Famille

Livres de Jean Raspail chroniqués sur ce blog:

Le Camp des Saints, Robert Laffont (2011)

Les veuves de Santiago, Via Romana (2011)

La miséricorde, Robert Laffont - Bouquins (2015), Équateurs (2019)

Terres saintes et profanes Via Romana (2017)