(Le fil de l’histoire dans la catégorie « Une autre fin » sur la barre de droite)
Paul,
J’ai attendu seize ans. Seize ans c’est long, mais ça valait la peine. Tu te souviens quand on allait voir le ciel ? Tu disais maman, aujourd’hui c’est sûr, on va voir le soleil. Je savais bien que c’était impossible, mais je t’y emmenais quand même parce que le soleil, c’est dans tes yeux que je le voyais. Tu t’arrêtais au milieu de la grande salle, petit bonhomme, et tu attendais debout, le nez en l’air. Je t’ai porté et toi aussi tu m’as portée, pendant toutes ces années, presque cinquante ans, je n’aurais jamais pensé durer aussi longtemps.
Je n’ai jamais pu supporter cet enfermement, cette prison à ciel fermé. Je sais bien, j’aurais dû m’y habituer. Comme tout le monde. C’est plus fort que moi, je n’y arrive pas. J’ai toujours voulu sortir, vivre une longue journée d’été, avoir trop froid en hiver, voir les feuilles tomber. Ce que j’ai lu dans les livres. Je n’aurais jamais dû lire tous ces livres, ces histoires du temps passé. J’aurais dû écouter les nouvelles, la météo, aller avec toi sous le dôme pour te prendre en photo.
C’est compliqué d’être une bonne maman sous la terre, surtout quand on n’a pas les pieds sur terre. Tous les jours, je m’en suis voulue de t’avoir mis dans ce monde qui n’était pas fait pour toi. Tous les jours et chaque jour un peu plus. C’est pour ça qu’il faut que ça s’arrête. J’ai déjà trop déteint sur toi. Tu vires au gris, comme moi. Autour de nous, les gens vivent le temps de maintenant. Ils sortent, ils s’amusent, ils rient, ils ont oublié depuis longtemps. Toi aussi, il faut que tu oublies. Ici, le soleil ne tue pas, il ne fait jamais trop chaud ou trop froid. Ici, la vie est possible. C’est déjà beaucoup tu ne trouves pas ?
Ne te fais pas de souci pour la suite, j’ai tout arrangé avec Anna. Je l’aime bien Anna. Elle a les pieds sur terre. Elle prendra bien soin de toi.
Voilà. Il est grand temps que je m’en aille, que je te débarrasse de moi.
Maman