Vagabondons, Donc

Publié le 13 juin 2020 par Hunterjones
Les temps sont complètement fous.
Lundi dernier, j'ai travaillé 14h35 sans arrêt. Sans aller à la salle de bain. Sans manger ailleurs qu'au volant. Montant, descendant du camion. Transvidant des bacs, en réparant d'autres, en livrant, en démontant des bacs brisés. J'ai commencé ma journée comme tous les matins en m'éveillant à 5H AM, et suis revenu chez moi à 21h17.
Le lendemain je travaillais de la même manière pendant 11h10. Le mercredi, 12h20. Jeudi, on me faisait une "petite journée" je ne travaillerais "que" 8h20.
On aurait le culot de me demander de rentrer travailler vendredi quand même. Après 46 heures et trois quart en 4 jours. J'ai poliment refusé. On avait les 50 ans de ma blonde à célébrer. Si la situation se représentait, on aurait encore les 50 ans de ma blonde à célébrer.
Pendant la semaine, je regardais mes mains qui étaient d'un noir...Forcément, à manipuler ce qu'on manipule, on se salit les mains. On a des gants, mais on doit entrer toute une série de données sur une tablette Ipad et enlever les gants. Et pour aller vite, souvent on ne remet pas tout de suite les gants. Bref, les mains sont vites noires. Même que je réalisais que pendant quelques heures, 4 jours par semaine, J'ai, et les autres chauffeurs comme moi, l'hygiène du clochard. Je l'ai constaté en en croisant un vrai au Centre-Ville. Il sentait très fort. Comme nous manipulons des bacs de composts et et aussi des bacs de poubelles, qui sont supposé être vidés, mais ne le sont pas toujours, nous fréquentons toutes les odeurs et toute la putréfaction existante. Nous transvidons dans le bac neuf quand c'est possible.
Même si on ne devrait pas toucher ces bacs puisque nous ne sommes pas éboueurs et une blessure au dos ne serait pas bienvenue par notre compagnie indépendante. Le bac brisé, même vidé, est remis en camion. Avec son jus de putréfaction de compost nauséabonde. C'est vraiment pas pour tout le monde comme job. Ça sent la mort.
Inutile de vous dire que la semaine dernière, je ne faisais pas que sentir la mort. Je l'incarnais. N'existant que pour mon travail. Mangeant trois repas par jour au volant. Ça ne faisait aucun sens.

Si ce travail, en parallèle de mon travail de traducteur, m'a d'abord plus c'est parce qu'il faisait bouger le gars qui prenait du poids assis à son ordi. Il charmait aussi le errant naturel que je suis. J'ai toujours aimé errer. Une de mes chansons préférées Québécoise l'illustre à merveille en visant très juste (même si le video n'illustre étrangement pas le propos du tout).
Que ce soit dans ma vie professionnelle ou encore dans une boutique de musique, livres ou DVD, un marché aux puces, un festival, sur une plage,  je suis un expert en errance. Je recharge mes batteries mentales. Je suis aussi un grand marcheur pouvant marcher 8,5 kilomètres sans complètement réaliser que c'est infaisable pour bien des gens.
La pandémie actuelle et le confinement forcé est brutal pour l'errant naturel que je suis. Quelle boutique de livres, dvd, musique me laisserait glander chez elle? Dans quelle foule de festivaliers me glisserais-je? Quel marché aux puces seraient ouverts et quel type de chorégraphie grotesque y ferions nous? Quel voyage me mènerait à une plage?
J'ai beaucoup en commun avec le clochard.

En travaillant, je suis tombé sur une boîte à livres à l'Assomption. Aucun livre intéressant là dedans. Mais un livre qui situait l'action dans un train. Ça m'a rappelé ma grand-mère maternelle, l'Atikamekw. Elle écrivait et avait été publiée modestement dans des journaux de son village. Mon grand-père, son époux, n'était pas souvent à la maison, travaillant pour le CN, Le Canadian National la compagnie de train canadienne. Un errant lui aussi.
Les histoires de ma grand-mère mettaient souvent en vedette des rencontres amoureuses (ou meurtrières) en train. C'est ce que ma mère m'a dit d'elle. Je n'ai pas beaucoup connu longtemps mes grands parents. Elle seulement. Et à peu près 10 ans. Ne réalisant jamais la préciosité du grand-parent.

Je me suis à penser à ma grand-mère, j'ai le temps au volant d'errer mentalement. J'ai eu le temps en masse la semaine dernière. Elle aimait tant d'amour le joueur de baseball Rusty Staub qu'elle s'était teint les cheveux roux. Je ne l'ai connue que rousse. Une Atikemkw rousse. Artiste dans l'âme, j'ai probablement hérité de beaucoup de ses gênes. Elle peignait à l'occasion. Et très bien.
Deux peintures ont peuplé vivement ma mémoire dans mon enfance. L'une représente ma mère (et moi en quelque sorte) enceinte de son premier enfant et la seconde représente un clown. Cette dernière était aux pieds des escaliers qu'on descendait de l'étage des chambres. On ne pouvait manquer le clown aux allures de clochard. Rappelant Marc Favreau dans son costume de Sol. Avec le regard bien vitreux du clown intoxiqué.

On a beaucoup aimé cette peinture, importante dans nos jeunes vies. 
C'est seulement la semaine dernière, en travaillant que j'ai compris que ça n'a jamais été une peinture aux pieds des marches.
C'était un miroir.