Chroniques d’un anthropologue au Japon (9)

Publié le 11 juin 2020 par Antropologia

Fumisterie

(En japonais) « Pourquoi est-ce que l’article diffère lorsqu’on utilise les verbes faire et aimer ? (je fais du saxophone, mais j’aime le saxophone). Pourquoi aussi, du tennis devient de tennis lorsque la phrase est négative ? « 

Je reçois avec étonnement le mail, hier, de la part de N, que je n’ai encore jamais rencontré, car il n’a pas daigné participer aux trois premières leçons de l’année. En fait, la question ne me surprend qu’à moitié, et j’ai déjà l’impression de connaître N : son comportement me rappelle exactement le mien pendant mes années de lycée. Souvent absent, toujours en retard, ma stratégie numéro un, était de faire croire au professeur que j’étais tout de même sérieux, en posant des questions techniques pour faire semblant d’être intéressé par le cours.

Si N était venu la semaine dernière, il aurait su que, peu importent les raisons que les grammairiens inventent, il suffit de retenir qu’on dit plus souvent les choses d’une manière que d’une autre. Et que de copier ce que disent les gens est la meilleure façon de parler comme eux.

Pourtant, je me retrouve bloqué avec ce mail, car je deviens vulnérable si je ne lui donne pas sa réponse grammaticale. D’abord parce que je suis soumis chaque semestre à l’évaluation des étudiants, ensuite parce que mes collègues japonais risquent de mal prendre ma position linguistique, si le mail leur parvient.

Je suis donc parti dans une explication transcendantale, sur les choses dénombrables, indénombrables, réelles, ou irréelles. J’ai pensé lui dire aujourd’hui gentiment, que tout cela n’était pas si nécessaire pour parler français. J’ai pesé le pour et le contre hier soir ; si je ferais mieux d’introduire cela, avant, pendant ou après la classe. J’ai réfléchi à quels mots utiliser en japonais pour ne pas faire un discours qui paraisse trop ésotérique à mes étudiants.

N n’est finalement pas venu ce matin non plus.

Remi Brun