Parallèlement aux Majestas Dei, une autre iconographie se développe à partir de l’époque romane autour du Christ trônant : celle du Jugement dernier.
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Epoque romane
Le Christ Juge
Tympan de l’église de Conques, détail
Ici le Christ porte ici dans son auréole les deux titres qu’il y assume : REX (ROI, en majuscules sur le chrisme) et JUDEX (JUGE, en cursives dans les intervalles).
Tympan de l’église de Conques, colorisé, XIIème siècle
Le Tétramorphe disparaît, au profit d’une multitude de scènes mettant en scène à la gauche du Christ les Damnés, à sa droite les Elus. Toute cette imagerie se développe à partir d’un court passage de l’Apocalypse :
« Puis je vis un grand trône éclatant de lumière et Celui qui était assis dessus; devant sa face la terre et le ciel s’enfuirent et il ne fut plus trouvé de place pour eux. Et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône. Des livres furent ouverts; on ouvrit encore un autre livre, qui est le livre de la vie; et les morts furent jugés, d’après ce qui était écrit dans ces livres, selon leurs oeuvres. » Apocalypse 20:11-12
On voit bien dans le tympan le livre porté par un ange, sur lequel est écrit : « le Livre de Vie est scellé » (Signatur liber Vitae).
Le Christ plaignant
Ostension des plaies, vers 1150, St Augustin, Enarrationes in Psalmos, Douai – BM – ms. 0250 f02v
L’iconographie du Christ montrant ses plaies, entouré des instruments de la Passion, apparaît à la même époque.
Jugement Dernier, Psautier à l’usage de Westminster, 1101-1200, BnF, Latin 10433, f.9r Gallica
Elle se combine ici avec celle du Jugement dernier, dans cette image tout à fait exceptionnelle d’un Christ debout. L’artiste a ajouté aux deux pointes de la mandorle un compartiment trilobé, contenant en quelque sorte les tenants et aboutissants de l’affaire :
- en bas la scène du Péché originel : la Chute
- en haut un ange portant la couronne d’épines transformée en couronne royale : la Rédemption.
Si le Christ touche du bout des orteils le trilobe inférieur, ce n’est pas pour prendre appui sur lui : ce contact visuel sert à faciliter la lecture de l’image, de la même manière que les deux banderoles verticales dépassent de la mandorle pour contacter ceux à qui elles s’adressent : les Elus et les Damnés.
Nous ne nous attarderons pas sur l’époque romane, où le motif du globe sous les pieds n’apparaît jamais dans les Jugements derniers, alors qu’il est courant dans les Majestas (voir XXX).
Epoque gothique
Verrière du Jugement dernier, 1200-1215, Cathédrale de Bourges,
A l’époque gothique, c’est l’image du Christ plaignant, entouré d’anges portant les instruments de la Passion, qui devient dominante.
A noter juste en dessous l’adjonction des figures de Marie et Jean Baptiste : il s’agit du thème byzantin de la déesis, qui s’intègre ici de manière naturelle puisque ces deux hautes figures, sortes d’avocats de la défense, intercèdent pour les humains auprès du Christ.
En dessous encore on retrouve l’imagerie habituelle du Jugement Dernier
Portail du Jugement dernier, 1220-30, Cathédrale Notre-Dame, Paris Portail du Jugement dernier, XIIIème siècle, Cathédrale-St Etienne, Auxerre
A Notre Dame, le Christ montrant ses plaies,, entouré de la déesis, pose les pieds sur une calotte contenant la Jérusalem céleste ; celle-ci, dans le texte de l’Apocalypse, apparaît juste après le Jugement Dernier :
« Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, 2 et il n’y avait plus de mer. Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, une Jérusalem nouvelle« ,Apocalypse 21:1
Le portail du Jugement dernier d’Auxerre malheureusement très abîmé, suivait probablement le modèle de celui de Notre Dame. Le globe est entre les pieds et porté par deux Anges, tout comme les anges du registre inférieur portent deux à deux dans des linges les âmes des Elus. Sans doute représente-t-il cette terre devenue céleste, le nouveau ciel et la nouvelle terre, dont parle le texte.
Joël prédisant le Jugement dernier
Bible, 1280-1295, Reims, BM 0044 (A. 016) f 178
Cette idée d’une « terre céleste » n’a guère été exploitée : peut être en trouve-t-on une trace ici, dans ce globe doré posé non pas sous les pieds, puni, mais sur l’escabeau divin, sauvé de la bête à la gueule vorace.
Couronnement de la Vierge et Jugement dernier, 1260-1270, France, diptyque en ivoire, The Cloister, New York
Ce diptyque est composé d’une manière très ingénieuse : le panneau droit montre un Jugement dernier avec la Déesis à l’étage et, sous la triple voûte, les morts réveillés de leur tombe et les Damnés à la bouche de l’Enfer. La scène se poursuit dans le panneau gauche avec les Elus au sous-sol et une échelle qui leur permet de monter au paradis contempler le couronnement de Marie.
L’artiste a choisi des arcs en plein-cintre en bas, et des ogives en haut ; mais pas dans l’idée d’évoquer sous les pieds du Christ une sorte de globe : l’intention est simplement ici de représenter le lieu des prévenus comme un sorte de crypte romane, et le lieu des saints personnages comme une église gothique.
Un schéma de lecture (SCOOP !)
Jugement dernier, 1250, Psautier, BM de Beaune ms. 0039 Carrow Psalter, vers 1250, W.34.30V Walters Art Museum, Baltimore
Dans ces deux images, on en comprend facilement la raison, non pas théologique mais graphique :
la forme du T, à l’envers ou à l’endroit, correspond à la structure de l’image, la barre verticale séparant les Elus et les Damnés.
Les Apocalypses anglo-normandes
Dans les grands manuscrits de l’Apocalypse qui fleurissent entre 1240 et 1300 (voir 3-4-2 : les Apocalypses anglo-normandes), le globe semble avant tout une convention d’atelier :
- soit il ne figure dans aucune image ;
- soit il apparaît uniquement dans la main de Dieu ;
- soit il apparaît uniquement sous ses pieds.
Les images où il apparaît sont celles où s’exprime sa Toute-Puissance :
Apocalypse Morgan, Angleterre et France, Londres, 1255-60, MS M.524 fol. 1v, Morgan Library 1300-25, Royal MS 19 B XV 6r
La scène où l’on trouve le plus fréquemment des globes, dans les deux configurations, est celle qui ressemble le plus à une Majestas : la Cour céleste avec les vingt quatre vieillards.
1275-1300, BNF Lat 14410 fol 81
Apocalypse Abingdon , Angleterre, 1275-1300, BL Add MS 42555, f. 77v.
On rencontre également les deux configurations dans la scène du Jugement Dernier, qui n’apparaît que dans quelques manuscrits.
Apocalypse, Angleterre et France, Londres, 1255-60, MS M.524 fol. 21r, Morgan Library 1275-1300 BNF Latin 14410 BNF Lat 14410 fol 80
Un cas particulier est l’image illustrant le Fleuve de Vie :
« Et il me montra un fleuve d’eau de la vie, limpide comme du cristal, qui sortait du trône de Dieu et de l’agneau. » Apocalypse 22:1-5
L’iconographie courante fait sortir le fleuve de sous le trône, qu’un globe soit présent ou pas sous les pieds. Mais dans la version Morgan, l’enlumineur a eu l’idée de le brancher sur le globe.
L’Agneau reçoit le livre fermé, fol 6v (Apocalypse 5,7) L’agneau rend le livre ouver, fol 10v (Apocalypse (Apocalypse 7,10-12)
1250-1300, British Library Add MS 35166
Une autre subtilité se trouve dans le manuscrit Add MS 35166, particulièrement riche en globes sous les pieds. Ces deux miniatures encadrent celles concernant l’ouverture des sept sceaux, qui s’accompagnent de multiples calamités sur la Terre.
Les anges prennent les sept trompettes, fol 11r (Apocalypse 8,2)
A la page d’en face, le globe a retrouvé sa forme normale sous les pieds de Dieu, comme partout dans le livre.
Le globe du folio 10v n’est pas pas foulé aux pieds et laisse voir le ciel, la terre et l’arche de Noé flottant sur la mer. Je pense que cette représentation unique traduit le fait que nous situons à une accalmie dans le récit, avant les catastrophes durant lesquelles seuls les Serviteurs de Dieu seront sauvés :
« Et je vis un autre ange qui montait du côté où le soleil se lève, tenant le sceau du Dieu vivant, et il cria d’une voix forte aux quatre anges à qui il avait été donné de nuire à la terre et à la mer, en ces termes : « Ne faites point de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons marqué du sceau, sur le front, les serviteurs de notre Dieu. » (Apocalypse 7,2-3)
La percée du globe au XVème siècle
De l’Apocalypse au Jugement Dernier
L’image du Jugement Dernier dérive du texte de l’Apocalyse, mais en condense plusieurs passages. Un extraordinaire manuscrit de l’Apocalyse en néerlandais va nous aider à comprendre la formation de cette image composite :
Le trône de Dieu et la cour céleste
Apocalipsis in dietsche, 1400-50, BNF Ms. Neerlandais 3 fol 5r
Cette image de Dieu trônant au milieu des vingt-quatre vieillards a pour intérêt d’illustrer littéralement le début du texte :
« Après cela, je vis, et voici qu’une porte était ouverte dans le ciel, et la première voix que j’avais entendue, comme le son d’une trompette qui me parlait, dit « Monte ici, et je te montrerai ce qui doit arriver dans la suite. » Aussitôt je fus ravi en esprit; et voici qu’un trône était dressé dans le ciel, et sur ce trône quelqu’un était assis « Apocalypse 4,1-2
De manière très originale, le miniaturiste a imaginé deux anges, celui de gauche vu de face pour illustrer « monte ici », celui du centre vu de dos pour « une porte était ouverte dans le ciel ». Il ne faut donc pas voir ici une mandorle-capsule qu’il soutiendrait à bout de bras, mais bien une mandorle-boutonnière qu’il entrouvre dans le tissu du ciel.
Sur le bas de cette mandorle est posée l’auréole de l’ange, derrière sa tête renversée. De la même taille, mais à l’intérieur de la mandorle, un globe gris de même taille est posé non sous les pieds de Dieu mais sous son manteau. Il est extraordinaire par sa couleur, mais aussi par sa dissymétrie, avec ce demi équateur et ce demi méridien, qui ne correspondent à rien de connu. Il s’agit peut-être encore ici d’une préciosité graphique indiquant comment lire l’image, avec sur la gauche la plateforme sur laquelle Jean peut se jucher.
Mais je pense que ce matériau sale, à côté de l’or de l’auréole, et ce tracé interrompu servent à montrer que ce globe est une terre fautive, dégrossie mais pas sanctifiée comme elle le deviendra à l’issue du Jugement.
Le jugement dernier
Apocalipsis in dietsche, 1400-50, BNF Ms. Neerlandais 3 fol 18r
Dans le même manuscrit, cette image illustre le Jugement dernier tel que décrit dans Apocalypse 20:1-15 :
en bas à gauche Satan enchaîné pour mille ans, en bas à droite le retour temporaire de Satan et la lutte de Gog et Magog, et en haut les âmes en train d’être choisies pour participer au règne de mille ans :
« Puis je vis, des trônes, où s’assirent des personnes à qui le pouvoir de juger fut donné, et je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et à cause de la parole de Dieu, et ceux qui n’avaient point adoré la bête ni son image, et qui n’avaient pas reçu sa marque sur leur front et sur leur main. Ils eurent la vie, et régnèrent avec le Christ pendant [les] mille ans. Mais les autres morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans fussent écoulés. – C’est la première résurrection ! » Apocalypse 20,4-5
On voit que revenir au texte de l’Apocalypse éloigne singulièrement des représentations binaires habituelles. A noter que l’artiste a conservé, en haut, un Jugement dernier classique, avec la déesis (qui n’est pas mentionnée dans le texte), et le double arc-en-ciel servant de trône et d’escabeau.
Un autre manuscrit d’exception va nous fournir un jalon quant à la floraison des globes terrestres dans les Jugements Derniers.
fol 34 fol 34v
Très Riches Heures du Duc de Berry, 1410-13, Musée Condé MS 65 [0]
Ce manuscrit divise le thème en deux images, au recto et au verso de la même page : l’une montre le Jugement avec l’intercession de la déesis, et l’autre les Ames sortant du sol. Or l’ordre chronologique est inverse : les âmes doivent s’abord ressusciter avant de pouvoir être jugées.
Cette inversion s’explique par le fait que les deux images n’ont pas été choisies pour illustrer le texte de l’Apocalypse mais, en recyclant l’imagerie du Jugement dernier, pour servir d’ouverture à deux psaumes consécutifs :
- le psaume 96, qui insiste sur le Dieu du jugement :
« Prosternez vous devant Yahweh… Que les cieux se réjouissent et que la terre soit dans l’allégresse! Que la mer s’agite avec tout ce qu’elle contient! Que la campagne s’égaie avec tout ce qu’elle renferme, que tous les arbres des forêts poussent des cris de joie devant Yahweh , car il vient! Car il vient pour juger la terre; il jugera le monde avec justice, et les peuples selon sa fidélité.
- le psaume 97, qui proclame sa Toute-puissance :
« Yahweh est roi… La nuée et l’ombre l’environnent, la justice et l’équité sont la base de son trône. Le feu s’avance devant lui, et dévore à l’entour ses adversaires. Ses éclairs illuminent le monde; la terre le voit et tremble.«
Ainsi le globe terrestre dans la première image illustre « Car il vient pour juger la terre », avec cette image très forte des goutte de sang qui la restaurent dans sa blancheur. Le trône fait de nuées illustre « la nuée et l’ombre l’environnent » tandis que les âmes sortant de la terre traduisent « la terre le voit et tremble ».
La standardisation du Jugement dernier
La standardisation dans La Cité de Dieu, de Saint Augustin
Les manuscrits de La Cité de Dieu, de Saint Augustin, comportent souvent au début une image synoptique laissée à la liberté du copiste, et illustrant les thèmes principaux du Livre : les deux cités (terreste et céleste) ou le Jugement Dernier.
La Cité de Dieu, scriptorium d’Olomouc avant 1150, Château de Prague
En style roman, un Dieu trinitaire apparaît, au centre de sa Cité, dans une mandorle à deux arcs, portant les médaillons de l’Agneau (le Fils) et de la Colombe (L’Espris Saint).
Augustinus, De civitate dei, Maître du Couronnement de Charles VI 1375-77, BNF Francais 22912, fol. 2v,
Cette composition de la fin de la période gothique se divise en trois registres :
- en bas l’Enfer et la pesée des Ames ;
- au centre les trois religions (païens, chrétiens et juifs)
- en haut, la Cité de Dieu, avec la déesis et Dieu assis sur l’arc-en-ciel, le pied droit sur le soleil et le gauche sur la lune.
Augustinus de civitate dei, 1375-1400 , BNF Francais 171, fol. 315v
Ce manuscrit de la même époque ne comporte pas d’image synoptique. Mais dans celle du Jugement dernier, on retrouve la même image des deux luminaires sous les pieds.
Or il n’y a rien dans le texte d’Augustin qui puisse expliquer cette étrange iconographie (sinon au Livre X chapitre II, une reprise de l’opinion de Plotin selon laquelle « Dieu est le soleil, et l’âme, la lune »).
C’est plutôt dans la Femme de l’Apocalypse qu’il faut chercher la source de cette figuration : « enveloppée par le soleil, couronnée d’étoiles et la lune sous ses pieds », attaquée par le Dragon, et sauvée par les anges, elle est en général interprétée comme étant l’Eglise.
La seconde figuration en particulier nous montre un Christ dont les cinq plaies étoilées complètent le soleil et la lune, comme un planétaire au complet.
Il semblerait donc que, dans ces deux figurations « intellectuelles » de Dieu, le remplacement sous ses pieds du globe par le Soleil et la Lune signifie la domination du Christ sur les deux mondes , spirituel et temporel ; et par là sur les deux Cités.
Augustinu,s de civitate dei, Jacquemart de Hesdin, 1400-05, BNF Francais fol 3r
A peine quelques années plus tard, Jacquemart de Hesdin prend pour image synoptique la figuration « moderne » du Jugement dernier, qui va dominer tout le siècle.
La standardisation dans Les livres d’Heures
Bedford Hours, 1410-30, British Library Add MS 18850 157r
Dans les Livres d’Heures, les figurations les plus riches montrent la scène complète en deux niveaux :
- en haut le Paradis avec les Elus,
- en bas l’Enfer avec les Damnés.
Master of the Harvard Hannibal, 1420–1430, Ms. 19 (86.ML.481), fol. 169, Getty Museum. Livre d’Heures, France, Paris, ca. 1420 MS M.1000 fol. 235v, Morgan Library.
La plupart des images se limitent aux âmes sortant de la terre, avec comme escabeau soit l’arc-en-ciel soit le globe
Livre d’heures, Belgique, vers 1440, MS-M.357 Fol. 317r, Morgan-Library Livre d’heures, France, Paris, vers 1417, MS M.455 fol. 166v, Morgan Library
Le globe terrestre prend de multiples formes : blanc ou doré doré avec le T dans l’O, ou bien en cristal comme à droite.
Livre d’heures, France, vers 1400, MS M.264 fol. 143v, Morgan Library
La scène peut se réduire au strict minimum…
Heures de Catherine de Cleves, vers 1440 MSS M.917945, p. 28–f 151r, Morgan Library
… ou au contraire, chez des artistes de haut niveau, comme le Maître des Heures de Catherine de Clèves, présenter des innovations uniques : ici le globe terrestre ne sert plus d’escabeau, mais est posé sur une île rocheuse, au dessus d’un diablotin emprisonné dans le roc
Retable du Jugement Dernier
Van der Weyden, 1443-52, Hospices de Beaune
L’apogée de cet engouement pour le globe est sans conteste le Jugement Dernier de Van der Weyden, qui exploite à plein le contraste entre la transparence irisée de l’arc traversé par la lumière céleste, et l’opacité de la boule, où se reflète la lumière naturelle d’une fenêtre bien terrestre.
Même paré de blancheur ou transfiguré par la dorure, le globe terrestre aux pieds du Christ des Jugements derniers a toujours une connotation négative, au plus près des blessures que les hommes lui ont infligées.
En aparté : la figuration de la Terre au XVème siècle
Depuis l’époque romane (voir 5 Dieu sur le globe : l’âge d’or des Majestas), la figuration de la Terre comme escabeau sous les pieds du Christ oscille entre la forme aérienne (arc-en-ciel) et la forme planétaire : mais il ne s’agit tout au plus que de rendre transparent ou opaque un petit secteur de disque inscrit au bas de la mandorle.
Au XVème siècle, dans les Jugements derniers, la formule du globe supplante totalement celle de l’arc-en-ciel, pourtant plus spectaculaire graphiquement : voir par exemple ce manuscrit tchèque où, pour faire bonne mesure, il est même tripliqué :
1441, Prague, Knihovna Narodního muzea, XVIII.B.18 f. 540v
L’impact des Grandes découvertes ?
On pourrait imaginer que cette préférence pour le globe est liée aux Grandes découvertes qui sont la marque de ce siècle.
Carte d’Ebstorf, vers 1300 Habitabilis Nostre Tabula orbis tabula in Ptolemaei projectione prima, 1478
Cependant, même au coeur du Moyen-Age, on n’avait jamais oublié la découverte par les Grecs que la Terre est sphérique [1]. Certes la traduction en latin de la Géographie de Ptolémée, en 1406, a relancé l’intérêt pour la cartographie et pour la question des projections de la sphère sur une carte (Ptolémée en propose trois). Mais ceci ferait plutôt perdre l’image simple qu’une Terre sphérique se représente par une forme circulaire.
De même, l’essor des grandes explorations maritimes concerne au XVème siècle le Portugal et l’Espagne : pas de raison donc pour que les Français ou les Flamands aient été particulièrement passionnés par l’image d’une planète ronde.
Une raison esthétique
Heures de Guillaume Jouvenel des Ursins, atelier du Maître de Dunois, 1445-50, BNF NAL 3226, fol. 48
Ce Jugement dernier est un des rares qui tente de cumuler la formule de la mandorle et celle du globe, ce qui crée un encombrement formel et un manque de lisibilité.
Je pense que la principale raison de la victoire du globe dans les Jugements derniers est purement esthétique, et résulte de la suppression de la mandorle archaïque : plus de raison dès lors de se limiter à un arc ou à un demi-cercle, alors que le globe intégral permet des variations multiples : uni, marqué du T dans l’O, ou transparent comme un cristal.
La question de s’y tenir debout, plutôt que d’y reposer simplement les pieds, reste, comme nous allons le voir, une autre paire de manches…
Article suivant : 7 Van Eyck et la Majesté de Dieu
Références : [0] Pour la reproduction intégrale, voir http://www.sschool8.narod.ru/__RichHoursBerry/RichHoursBerry.htm [1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mythe_de_la_Terre_plate