Hamidou Anne : Panser l'Afrique qui vient

J’ai rejoint les rangs de l’Afrique des idées en 2011 pour animer la rubrique culture de ce think-tank. J’y ai rencontré des jeunes africains extrêmement dynamiques, déterminés, encore en formation ou tout fraichement sortis de grandes institutions comme Science Po ou les grandes écoles. Hamidou Anne a animé la rubrique politique de cette structure avant de produire des tribunes souvent disruptives pour le Monde Afrique. Dans cet essai, il essaie de penser et panser une Afrique qui vient.
Est-ce qu’il y parvient ? Je pense. Cet ouvrage possède un objet et une cible commune : la jeunesse africaine. 

A Mohamed Bouazizi, précurseur d’une transfiguration du monde

Cette dédicace faite au début de l’ouvrage nous donne une orientation du texte d’Hamidou Anne. Pour rappel, Mohamed Bouazizi est ce tunisien qui s’immola suite à un contrôle de police en 2011 à Sidi Bouzid, déclenchant un vaste mouvement des sociétés civiles nord africaines, du Proche-Orient et du Moyen Orient dit des printemps arabes. Pour développer son propos, Hamidou Anne commence par procéder à un état des lieux des jeunesses subsahariennes.
L’intellectuel sénégalais jauge la jeunesse « africaine » pour ce qu’elle est. Il ne l’idéalise pas rappelant que dans d’autres espaces, et d'autres temps, elle fut mal orientée. « La jeunesse n’est pas forcément un potentiel créateur » dit-il. Il y a nécessité à fonder, à concevoir, à penser un nouveau modèle face aux inégalités que génère le néolibéralisme. Hamidou Anne est convaincu du fait suivant :

«  la jeunesse ne peut s’affranchir de ce travail, d’abord par la loi implacable de la biologie, ensuite par la nécessité d’habiter son époque ». 

Refondre le présent et refonder un devenir. Et cesser d’être une spectatrice et subir un discours venu d’ailleurs. Cela passe par le questionnement de certaines tentations funestes.

La tentation du terrorisme islamiste

Pour cela, Hamidou Anne s’attaque à toutes les formes de diversions, de dispersions auxquelles cette jeunesse doit faire face. Il aborde donc la tentation djihadiste très présente dans l’Afrique sahélienne avec l’AQMI, l'EI, Boko Haram. S’il est l’adepte d’une approche forte, organisée pour répondre à la violence des fondamentalistes, il en analyse pas moins le choix de certains jeunes. Comme les cas de Sadio Gassama, un étudiant en quatrième année de médecine à l’Université Cheikh Anta Diop, qui a rejoint les rangs des cellules islamistes ou Seifeddine Rezgui, auteur d’un terrible attentat sur une plage de Sousse en Tunisie. Hamidou Anne ne choisit pas les raccourcis reprenant les profils classiques des jeunes venant des milieux très pauvres et surtout peu formés. C’est l’occasion pour lui de pointer du doigt les lacunes des institutions qui forment les jeunes comme les universités. 

« La médiocrité de la formation, les moyens inexistants et la faiblesse du niveau de nos diplômés sont des réponses aux questions que nous nous posons sur l’apport de nos universités à de la formation des esprits au sein de la jeunesse » (p.31, ed. PA). «  Nos universités sont devenues des lieux désincarnés incapables de fermenter une pensée capable d’irriguer les nouveaux champs de progrès ni de proposer un horizon émancipateur aux étudiants ». 

On peut se demander si ces universités francophones héritées du système colonial ont un jour réalisé ce « setup ».  En allant dans cette direction, Hamidou Anne diversifie les approches et les profils de jeunes. On est loin des jeunes des désoeuvrés du nord du Nigeria que dépeint Elnathan John dans Né un mardi (Ed. Métailié), ou encore Ismaïla, ce jeune homme issu de classe moyenne quelque part en Afrique de l’ouest, dans Terre ceinte de Mohamed Mbougar Sarr. Je suppose que Sadio Gassama a fortement inspiré le personnage de Khalil Diallo dans A l’orée du trépas (L’Harmattan Sénégal).

La tentation de l’exode clandestin vers le nord

Déserter, partir pour l'Europe. La fameuse migrance pour reprendre le mot d’Aminata Dramane Traoré.  

« Cette deuxième génération a enrobé son incompétence dans un discours critique vis-à-vis du néo-colonialisme en niant sa propre part dans la défaite. La génération qui a pris le relais des pères est peut-être la plus coupable dans le drame de l’Afrique. Cette génération a eu le génie de ne porter aucun projet émancipateur et de se contenter de mal gouverner des pays entre corruption et pillage, violations des droits humains et déficit démocratique. Il faut l’accuser […] du désengagement de la culture et indexer sa responsabilité sur le sabordage de l’éducation nationale ». p.49. 

Hamidou Anne pose le doigt sur la grande cause de l’immigration en générale, clandestine en particulier que peinent à formaliser les romanciers trop focaliser à définir les conditions de réception de ces migrants en Europe ou à conter ces odyssées par déserts et mers. La faillite de la génération qui gouverne actuellement de nombreux pays africains et ses incidences sont mises sur le buffet. Hamidou Anne pointe l’absence de projet, l’absence d’idéologie, le manque de volonté de nombre de dirigeants peu préoccuper de former, d’équiper cette jeunesse. Peut`être aurait-il été intéressant d’être dans un discours moins globalisant pour voir s’il y avait toutefois des disparités sur ce point en fonction de pays de provenance de ces individus en mouvement, en fuite. L’absence de projet politique, de projet de société, de projet d’éducation pour les jeunes est un facteur qui nourrit ce désespoir mortifère. 

« Les candidats à l’émigration illégale ont fait le choix entre une mort lente dans l’indignité face à leur famille et une mort certaine dans l’anonymat. Au moins, cette dernière épargnera aux familles pauvres et assaillies par toutes les urgences sociales ». 

Ces mouvements s’apparentent à des formes de suicides collectifs ou des appels à l’aide que les autorités africaines ignorent parfaitement. 

« Mais l’histoire ne les acquittera pas de leur responsabilité des morts en mer et les mettra face à leurs renoncements, et à leur incapacité à gouverner dans la vertu afin d’enrayer ce cycle meurtrier » p.50.

Tuer les pères 

Il est plus ou moins question de cela dans le paragraphe précédent. Dans cet article j’ai souhaité mettre en relation ce sujet abordé par Hamidou Anne avec d’autres auteurs de sa génération. Tuer les pères. Du moins, ceux auxquels me renvoient les analyses du jeune polémiste sénégalais. Dans le recueil de nouvelles Tachetures du guinéen Hakim Bah, j’ai ressenti la même énergie et la même nécessité de faire sans les pères, les mères. Qu’ils incarnent une autorité politique, spirituelle ou familiale.  Les personnages du dramaturge n'ont pas d'énergie pour demander des comptes, ils font pour la plupart sans ces figures censées les accompagner. Il y a un implicite procès fait plus haut par Hamidou Anne. Une incapacité de dialogue. Un abandon. Sinon le viol qui peut et doit être pris dans son aspect métaphorique. L'écrivain Elgas tue symboliquement son père et sa mère, dans son oeuvre Un dieu et des moeurs (éd. Présence Africaine) pour mieux dénoncer la faillite, la corruption politique ou les compromissions molles sur le plan spirituel de la génération précédente. Que dire des Neuf nouvelles lumineuses où le bien est le mal de la camerounaise Jo Güstin. Cette jeunesse n'attend pas grand chose de ses pères.

Une approche, une perspective : Organiser la société civile

Hamidou Anne n’écrit pas pour dire ce que les gens doivent faire. Il observe des bonnes pratiques et tente de les proposer. Il affirme comme d’autres jeunes sénégalais la nécessité d’une action de se politiser ou d'entrer efficacement dans le champ de la politique. La société civile est aujourd’hui un facteur incontournable pour faire bouger les choses sur le continent Africain. Les mouvements de gauche Podemos et Syriza sont des sources d’inspiration pour lui. Mais, il n’oublie pas des initiatives africaines comme les mouvements Y-en-à-marre (Sénégal), le Balai citoyen (Burkina Faso) ou les initiatives congolaises Lucha ou Filimbi dans le prolongement des printemps arabes. En abordant ce chapitre, je me suis demandé pourquoi Anne cherche des références en Europe sur ce sujet. Mais, j’ai été rattrapé par la patrouille. Il y a une critique sibylline à l’endroit du collectif Y-en-à-marre qui a participé au refus d’un système dynastique des Wade au Sénégal. Contrairement au mouvement Le Balai citoyen, qui poursuit son action sur le plan politique, des éléments importants du collectif Y-en-à-marre se sont positionnés en vigie et agitateurs d’autres mouvements sans prendre plus d’engagement sur le plan politique au Sénégal.
Si je ne partage pas tout à fait les développements d’Anne sur ce qu’il nomme les Smarts, je trouve globalement son analyse très engageante. On y retrouve la philosophie du think tank L’Afrique des idées dans lequel nous avons milité ensemble pendant de nombreuses années, à savoir l’afro-responsabilité. Approche que nous retrouvons dans l’essai récent de Felwine Sarr, Afrotopia (Ed. Philippe Rey). L’ouvrage pèche par le manque d’illustrations pour étayer ses propositions et par une approche panafricaine qui sous certains peut paraître abstraite. En même temps, c’est une invitation à approfondir son propos.
Hamidou Anne, Panser l'Afrique qui vientEdotions Présence Africaine, première parution en 2018