"Le jour de la Saint-Vicentín"
Personne n'aurait reconnu le journal s'il ne nous avait pas fait cette une aujourd'hui !
Le groupe Vicentín, l’un des plus gros acteurs sur le marché de l’exportation céréalière argentine, criblé de dettes (1), était sur le point de mettre la clé sous la porte et risquait par conséquent de se faire racheter par des investisseurs nord-américains, dont on sait comment ils savent vider de leur substance les entreprises qu’ils rachètent dans des pays où ils pratiquent une politique de néo-colonisation pour les fermer ensuite et jeter salariés et fournisseurs dans des situations intenables.
La Nación consacre son gros titre à l'info économique du jour
mais sa photo à la sortie nocturne des Portègnes
pour un footing autorisé entre 20h et 8h.
Le gouvernement de la Ville a cru dégoûter ses administrés
avec ces horaires de nuit en hiver mais cause toujours !
Les Portègnes sont sortis en masse comme l'avaient fait les Parisiens avant eux !
Le gouvernement argentin vient donc d’annoncer l’expropriation du groupe pour cause d’utilité publique (la souveraineté alimentaire de l’Argentine) et il a placé à sa tête un administrateur provisoire, afin de garantir l’emploi des salariés et le débouché commercial des 3.000 producteurs qui vendent leurs céréales à cet exportateur. Dans la foulée, il a envoyé sur le bureau du Congrès un projet de loi pour valider ce transfert de propriété.
Comme on pouvait s’y attendre, la droite pousse des cris d’orfraie : l’Argentine serait en passe de devenir le nouveau Venezuela (comme à chaque fois que la gauche prend une mesure de gauche), le nouveau Cuba, le communisme s’installe, c’est la dictature, je vous en passe et des meilleures.
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En fait, Vicentín est en effet un acteur-clé pour le PIB national et pour le marché intérieur, puisqu’une partie des céréales exportées permettraient de mieux nourrir la population. De surcroît, c’est un groupe très endettés envers l’État ou plutôt envers le Banco Nación, qui, sous la présidence Macri, lui a accordé des prêts dans des conditions qui dérogeaient à ses usages et ses modèles économiques. Puisque rien n’est jamais gratuit en ce bas-monde, il ne manque pas d’observateurs pour en déduire qu’on pourrait retrouver des traces de Vicentin dans les comptes de campagne de Mauricio Macri. Avec cette nationalisation l’État s’assure donc que le Banco Nación, qui opère les activités commerciales de la banque nationale argentine, va pouvoir recouvrer ses créances. Qui plus est, Vicentín est l'un des gros employeurs qui a licencié en masse au début du confinement, ce qui a provoqué le décret qui interdit tout licenciement et toute suspension de contrat de travail pendant cette période sur tout le territoire national. Bien entendu, la droite ne fait aucun cas de ces éléments et cette mesure va apporter de l’eau au moulin des allumés qui prétendent que le pays a été confiné pour permettre au gouvernement d’imposer la nationalisation de l’économie et d’installer un système à la chinoise en Argentine.
"Vicentín mis sous tutelle de l'Etat", dit le gros titre
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Alberto Fernández se met ici dans les pas des Kirchner qui avaient déjà nationalisé plusieurs entreprises phares du pays au moment où ils le remettaient sur les rails après la crise de l’endettement de 2001 : YPF, le groupe pétrolier qui, depuis le premier gouvernement de gauche, élu en 1916, exploite les gisements pétrolifères de Patagonie dont tous les bénéfices allaient enrichir les actionnaires du pétrolier espagnol Repsol à la bourse de Madrid, Aerolíneas Argentinas que feu le groupe Marsans, espagnol lui aussi, était en train de dépouiller avant sans doute d’en faire une coquille vide, et Trenes Argentinos, un ensemble de lignes privées plus ou moins bien gérées qui constituent désormais un réseau de chemins de fer national pour le transport des voyageurs entre Buenos Aires et sa banlieue, auquel s’ajoutent quelques rares grandes lignes, comme celle qui relie à nouveau depuis quelques années la capitale fédérale et la grande station balnéaire qu’est Mar del Plata (2).
Le ton des journaux diffère selon qu’on se plonge dans la lecture de Página/12, très favorable à cette mesure, ou qu’on lui préfère la presse main-stream, dont font partie le quotidien catholique et réactionnaire La Prensa, le journal de la droite libérale, bien pensante et bien élevée, La Nación et le tabloïd Clarín, qui incarne une droite aux accents plus populaires et aux analyses plus frustres.
Pour aller plus loin : lire l’article principal de Página/12 lire l’article principal de La Prensa lire l’article principal de Clarín lire l’article principal de La Nación.
(1) 1.350 millions de dollars US. (2) Le réseau national de chemins de fer a été démantelé sous la présidence de Carlos Menem dans les années 1990. Sur les longues distances de ce pays immenses, le train a été remplacé par des lignes privées de cars longue distance très polluantes.