Ah, décidément, Bruno Le Maire est partout, même dans ces colonnes, et plusieurs fois par semaine ! Sapristi, quelle activité pour le frétillant ministre de ce qui reste d’Économie en France ! Peut-être n’est-ce d’ailleurs pas étranger à ces rumeurs aussi consternantes qu’insistantes qui voudraient le voir à la place du Premier ministre (ce qui achèverait de bousculer le pays au bas du ravin qu’il dévale depuis plusieurs années).
Peut-être. En tout cas, devant la multiplication de ses interventions, toutes aussi loufoques et franchement inquiétantes lorsqu’on les analyse, on en vient à se demander comment ce génie sans bouillir trouve encore le temps, entre deux annonces tonitruantes, de gérer ce qui semble devenir une crise économique violente.
Mettons que l’accumulation des chiffres calamiteux ne l’effraie pas. On se demande même s’il n’est pas carrément galvanisé par les catastrophes, c’est-à-dire rendu complètement inoxydable et imperméable à la réalité tangible au point de s’ingénier à ajouter son grain de sel aux plaies subies par l’industrie française.
Ainsi, après avoir vaillamment fusillé Air France en l’aidant d’un solide bouillon d’argent gratuit du contribuable mais à condition que la compagnie ne fasse plus trop voler ses avions, et après avoir décidé de bousiller Renault en l’aidant là encore en l’arrosant d’argent public à condition qu’il arrête de faire des voitures qui roulent vraiment, Bruno Le Rigolo s’est dégoté un nouveau projet fumant. Ou, comme on va le voir, plutôt fumeux : la création d’un meta-cloud européen.
Fichtre, diantre et Bruno au sirop ! Un méta-cloud européen, ça sonne comme un nom de super-héros, mais en réalité il s’agit simplement d’une version européenne d’un cloud souverain, ce qui, au passage, impose immédiatement une précision indispensable pour tous les petits Français :
« Il ne faut pas faire de confusion avec le projet français de cloud souverain, qui sera complémentaire »
Précision d’autant plus indispensable que le « cloud français souverain » ♪ tsoin tsoin ♫ fut… Un échec parfaitement cuisant, comme je le relatais dans de précédents billets, l’un de 2012 où j’expliquais que cela allait tourner au fiasco coûteux et l’autre de 2015 où je constatais que tout s’était déroulé comme prévu, c’est-à-dire mal avec une solide facture pour le contribuable, comme d’habitude.
Le plus inquiétant reste que si Bruno Le Maire entend éviter toute confusion avec le projet du cloud souverain qui a capoté avec un petit bruit mou, il estime malgré tout que ce piteux échec n’en sera pas moins « complémentaire » du méta-cloud européen.
Et franchement, devenir complémentaire d’un échec, que rêver de mieux pour un projet européen ? N’est-ce pas là une vraie stratégie d’avenir, dans laquelle on sait enfin où on va, avec précision, même si c’est au fossé ?
Et puis ne vous inquiétez pas puisque tout a déjà été prévu, planifié, taillé au cordeau :
« La structure sera de droit belge, et chapeautera une place de marché dans laquelle sera présenté un catalogue d’offres pour stocker et échanger des données selon des standards et des normes européens (réversibilité, respect du RGPD, transparence, sécurité…) »
C’est vraiment prometteur, et on peut entendre d’ici le bruit des petites mains potelées de Bruno qui se les frotte de plaisir. Rien que l’évocation du RGPD permet d’entretenir un petit frisson de jouissance de tous les tamponneurs de cerfas du pays : n’oublions pas en effet que ce RGPD roxxe tellement que plus personne ne regarde ce qu’il clique quand il se fait bombarder de bannières à la con sur les intertubes lorsqu’il visite un nouveau site qui, ayant donc récupéré par défaut l’assentiment total de l’utilisateur, peut alors lui aspirer toutes ses données personnelles sans plus aucune limite, ce qui est un nouveau miracle d’effets de bord parfaitement opposés à ce qu’on cherchait à obtenir avec ces lois idiotes poussées par des lobbies dans les bras gourds de députés incompétents.
Ainsi cornaqué par cette bête de course de Bruno, on se doute donc que ce projet part sous les meilleurs auspices ; 22 acteurs (11 Français et 11 Allemands) se sont donc retrouvés embringués dans cette histoire et ont, chacun, mis 75.000 euros sur la table afin de faire démarrer la structure (soit un peu plus d’un million et demi d’euros pour commencer) qui devrait présenter un premier catalogue de service ouvert à la clientèle courant 2021.
La présence de plusieurs sociétés compétentes dans le domaine (OVH ou Siemens par exemple), et ce partenariat fort avec les Allemands, autorise éventuellement un peu plus d’optimisme que lorsque le gouvernement français commissionnait les plus conniventes des entreprises capitalistes françaises pour faire un cloud souverain il y a presque 10 ans de cela : les petits arrangements entre amis, cooptés et papouillés comme la France sait le faire, seront probablement un peu plus compliqués à mettre en place maintenant que des Allemands sont de la partie et peut-être aboutirons nous – rêvons quelques secondes – à une espèce d’Airbus du cloud, avec – qui sait – un destin similaire : bisbilles d’administration, chamailleries régulières des deux côtés du Rhin et, finalement, difficultés à la première grosse crise économique…
Cependant, une question demeure qui permet de ne pas sombrer trop vite dans l’optimisme béat : puisque tous ces acteurs existent déjà, qu’il y a déjà des solutions de cloud en place dans les pays concernés, pourquoi diable un géant n’a-t-il pas déjà émergé depuis toutes ces années ?
Il va falloir comprendre pourquoi, avec toute cette jolie transparence, cette belle réversibilité, ce magnifique respect du RGPD, cette sécurité du tonnerre de Brest il n’y a toujours pas de géant du « cloud européen »…
Peut-être est-ce précisément – soyons fous, soyons logique – à cause de ces contraintes de plus en plus délirantes – sans même parler des amusantes arguties fiscales et autres gourmandises administratives qui ne manqueront pas de débouler – que les projets passés et récents ont foiré ?
Et peut-être est-ce aussi parce qu’aucun de ces aspects ne semble vouloir être remis à plat que, les mêmes causes administratives délirantes aboutissant aux mêmes effets délétères, on peut déjà parier sur un piètre résultat de cette initiative ?
Oh, allons. Ce serait vraiment fou-fou d’imaginer une telle conclusion !
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