Depuis 1951, le Café Romand brasse les couches sociales comme le lac ses eaux en hiver. C'est une cathédrale de la bouche, une institution lausannoise aujourd'hui protégée. Mais qui n'a pas pignon sur rue: sa porte est pour ainsi dire dérobée.
La première phrase du livre de Michel Rime situe d'emblée tout ce qui fait la singularité de cette pinte vaudoise à laquelle tout Lausannois s'est rendu au moins une fois, ou aurait certainement dû se rendre.
Ce magnifique livre, illustré de photos en noir et blanc et en couleurs, prises au fil des décennies, retrace toute l'histoire de ce lieu mythique, de sa naissance jusqu'à aujourd'hui, puisqu'il est toujours là.
Le Café Romand, 2 place Saint-François, ne donne pas sur la place, mais il est le café de la place, dixit Jacques Roman. Son patron est Louis Péclat, jusqu'en 1972, où il le vend à sa fille aînée Christiane.
Au début, des ouvriers ou des notables y vont pour boire un coup, trois décis pour deux, puis, la concurrence aidant, pour s'y restaurer dans la salle où on peut servir quelque 130 convives en un seul service:
Le mobilier est resté d'époque dans cette vaste salle rectangulaire. Il a cette ampleur, cette solidité des années 50. Ce chic qui fait courir sur le chêne des motifs vinicoles.
Les habitués sont de petites gens, des politiques, des journalistes, des avocats, des directeurs de banque, des comédiens, des peintres, des écrivains, des poètes, des étudiants, des photographes, des cinéastes...
Dans la salle aux trois piliers, qui la divisent en trois classes comme les chemins de fer autrefois, et où est accroché un tableau de Henri-Vincent Gillard, ont lieu de la musique, du théâtre, des rendez-vous littéraires...
Michel Rime consacre tout un chapitre aux serveuses. Ce sont de réelles figures. Elles ont du caractère, sont efficaces, énergiques, autoritaires avec les clients, créent une ambiance maternelle, franche et amicale.
Depuis 2011, Christian Suter et sa femme Jennifer ont pris la lourde suite de Christiane Péclat. Si les serveuses bon enfant... l'esprit familial n'ont pas survécu à l'ère Péclat, la pinte a encore de beaux jours.
Pierre Landolt dit, dans un mot placé tout à la fin du livre, que l'esprit vaudois y a été conservé. C'est l'essentiel et pourquoi il ne faut pas hésiter à emprunter le petit passage qui mène à [sa] porte tambour
Francis Richard
Le Romand - Un café de légende, Michel Rime, 170 pages, Favre et 24 heures