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Le grand marin

Publié le 07 juin 2020 par Lorraine De Chezlo
LE GRAND MARINde Catherine Poulain
Roman - 360 pages
Editions de l'Olivier - février 2016
Prix Nicolas Bouvier - 2016
Prix Ouest France / Étonnants Voyageurs - 2016
Prix Compagnie des Pêches Prix Gens de MerPrix Joseph Kessel Prix Livre & Mer Henri-Queffélec Prix Pierre Mac Orlan

Lili est une femme avide de liberté, et qui du jour au lendemain quitte la ville de Manosque-les-Couteaux pour se rendre à Kodiak, en Alaska. Elle réalise son rêve : trouver un bateau qui veut d'elle et partir au large pêcher et affronter la dureté de la mer et de ses hommes. Elle va trouve rune place, provisoire, à bord du Rebel,, et partir pêcher la morue noire, le crabe ou le flétan. Elle va devoir s'imposer parmi les hommes, tout faire pour montrer ses capacités de pêcheur, malgré ses blessures et son inexpérience. Elle veut tout sauf l'arrêt de cette vie de pêche, tout sauf la mort. Le grand marin, son grand marin rouquin est comme quasiment tous les autres : obsédé par l'alcool dès que l'équipage pose un pied sur la terre ferme, et même à bord tant qu'il reste des bouteilles...
C'est indéniablement le roman d'une femme qui a vécu dans ce monde hors du temps, hors de la terre, ce monde dur du bout du monde, porté sur la rentabilité d'une sortie en mer, sur les escales dans les bars, sur les avaries, les blessures, les manœuvres et les accidents. Catherine Poulain nous dresse le portrait d'hommes et de femmes qui vivent une vie là, échoués de leurs passés, comptant sur le prochain bateau qui leur donnera un contrat précaire sans assurance, vivotant sans domicile fixe, dans les cales, sur les quais, dans les bars et les shelters.  Elle dit les rythmes harassants à bord lorsqu'il faut terminer d'installer ou de remonter les palangres, à toute heure du jour ou de la nuit, les sommeils entrecoupés, parfois couchée à même le sol, sans habits secs, sans que les bottes n'aient le temps de sécher avant qu'il faille les renfiler dès l'alerte.
Extrait :
"La pêche va reprendre dès demain. Dès demain... Dans quelques heures les cris, la peur au ventre, les palangres qui filent vers les flots, le bruit, la vague et la fureur, comme un tourbillon dans lequel ce corps tendu ne s'appartiendra plus, mécanique de chair et de sang portée par la seule volonté de résister, cœur fou, embruns glacés, visage écorché par le vent, l'ancre finale du banc de ligne attendue comme une délivrance. Et le sang des poissons va ruisseler. Quelque part encore à cette heure, les vieux trucks immobiles attendent, le bateau bleu pourrit sur ses cales. Ils s’enfoncent dans leur sommeil minéral, morts déjà, figés jusqu'à la fin du terrain désolé."

Sous la plume de Catherine Poulain, Lili nous semble un petit bout de femme déterminé, un être au passé inconnu qu'elle semble fuir, une soif inassouvie du large et des vents déchaînés. Elle ne se sent vivre que dans l'extrême adversité. Elle veut qu'un bateau l'adopte, l'adopte à vie. Elle mange les cœurs palpitants des flétans remontés. Lors des arrêts aux ports, beaucoup d’alcool pour ses camarades, comme s'il fallait toujours que ça tangue, même revenus sur la terre ferme. Une femme au milieu d'hommes, du respect, des tentatives, de l'inégalité de revenus, de la peur et une quête timide de protection. Et un amour qui ne saurait déplier ses chaînes autour d'elle...Un grand roman de marin.
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