Du 20 mai au 29 août 2020
" Les œuvres d'art sont d'une infinie solitude. Rien n'est pire que la critique pour les aborder. Seul l'amour peut les aborder, les garder, être juste envers elles ".
Rainer Maria Rilke
Pour Paul Klee, " le végétal est une pulsion de vie que l'art rend palpable, visible. " Et c'est souvent le propos des artistes contemporains qui pour mieux représenter la nature en imitent les systèmes, les extrapolent et les ramènent dans l'espace de l'art. Mais ce genre se plaît davantage à reproduire plus qu'à représenter.
Monique Deyres a choisi une toute autre voie. Elle s'empare de la nature, brut de cueillette, et va la décliner dans un alphabet singulier dont elle possède seule les lettres. Narcisse, jacinthe, anémone, dalhia, rose, œillet, genièvre, pistachier, et bien d'autres vont apporter par une subtile alchimie - écrasements, macérations, décoctions, liquéfactions- les jus et les encres qui créeront sa palette. Elle les traitera en majeur, leur offrant les plus rares supports, tels ce papier Arche qui va recueillir ses multiples " jus de fleurs" et faire de ces impressions colorées, aquarelles recto/verso, la grande installation des feuilles roulées, à la manière d'un vitrail.
Ailleurs, dans son atelier, Monique Deyres s'empare des modestes fruits de nos jardins, comme ces pommes, rouges ou vertes, qui deviennent pour elle des éléments virtuoses de la nature, et qu'elle magnifie d'abord par la brillance de leur aspect, puis se refuse ensuite à les abandonner au sort de trognons par un ondoiement " sacré " à la bouillie bordelaise ou à la laque. Le trognon devient œuvre d'art. Dans d'autres lieux, l'artiste a marqué le sol d'un chemin végétal, briques de fleurs et feuilles compressées, pour une trace d'un jardin recomposé. Ici et là, seront installées des huttes de voiles de soie irisées de couleurs herbacées, de végétaux broyés, de cendre, de terre, de pollen.
En la Chapelle du Carmel, Monique Deyres a choisi de capter l'espace. Horizontalité et verticalité scandent le lieu pour mieux s'en approprier la sacralité. Chevet, bas-côtés et narthex s'habillent des créations de l'artiste.
Monique Deyres s'empare de la nature : narcisse, jacinthe, anémone, dahlia, rose, œillet, genièvre, acanthe, et bien d'autres vont apporter par une subtile alchimie - écrasements, macérations, décoctions, liquéfactions- les jus et les encres qui créeront sa palette. Le papier Arche va recueillir ses multiples " jus de fleurs " et faire de ces impressions colorées, aquarelles recto/verso, la grande installation des feuilles roulées, à la manière d'un vitrail.
Manière pour elle d'immerger son œuvre dans l'histoire d'un lieu. Mais aussi dans le cycle de la vie qu'elle ne pressent pas inéluctable dès lors que l'art s'en empare : ce cèdre hélas tombé et tronçonné révèlera par les marques laissées sur son corps les multiples étapes de sa vie d'arbre. L'artiste s'en saisit alors, y plaquera une feuille de papier teintée des couleurs extraites de pétales de coréopsis, puis puisera dans ces autres pots magiques pour faire de cette empreinte devenue décor, (bas-côté), les signes évanescents d'une création savante.
Monique Deyres va user des techniques de la " peinture à la cire ", mais augmenter des ingrédients du jardin -bois, végétaux, terre, cendre, cire d'abeille- qu'elle va inscrire, sceller, imprimer dans des panneaux, maintes fois travaillés en de multiples couches pour un rendu dont on imagine les incrustations sans pour autant, au toucher, en sentir la rugosité. Décor mural pour une antique cité ou une chapelle de confrérie.
L'artiste se fait couturière pour composer son Grand Rideau. Elle va déchiqueter ses papiers d'empreintes de cèdre aquarellées pour les assembler en un " rompu/ cousu " et monter, en un aléatoire inspiré, les lais de sa tenture. Un travail obstiné dont la fragilité n'est pas sans rappeler les cloisons de maisons japonaises. Monique Deyres crée là une architecture immatérielle, un bâti d'imaginaire...
Philippe Bidaine
Directeur honoraire des Editions du Centre Pompidou, historien d'art,
" L'Art contemporain ", éditions Scala.