(Carte blanche) à Claude Minière : L'Araignée

Par Florence Trocmé


L’araignée

La petite araignée très noire avance de gauche à droite
de droite à gauche elle court en biais elle s’arrête
et repart ne fait pas qu’avancer on dirait
qu’elle tricote elle ourdit un complot un projet
secret de toutes ses pattes bouche et ventre griffonne
pour sa toile qu’on ne voit pas encore.
Elle est entièrement absorbée dans son ouvrage aveuglément parfois chute
 rebondit
   et balance
    et reprend poursuit
si j’avais à chercher une image de l’écrivain je prendrais l’araignée
araignée au plafond
sur le mur
sur le sol
dans l’air
dans le soleil
dans la pénombre
cachée
fugueuse
heureuse comme elle est
très noire bien dessinée décidée
elle ourdit légère un horrible projet
Elle sent de très loin les variations
et vite fonce en biais pour capturer
ce qui passe et entre dans son palais
son rayonnant royaume
le soleil et la pluie révèlent son ouvrage
ses lignes sont imprévues et cependant
répondent à une logique
un modèle inconnu
Elle travaille de toutes ses pattes
comme la pianiste de tous ses doigts
l’écrivain de toutes ses roues de quatre quatre
les Araignées géantes sont pure fiction
seules les minuscules existent vraiment
araignées du soir et du matin
leur règne d’a, de là
à la recherche d’un royaume enlevé
occupées à la refaire sans cesse
là endormie satisfaite recroquevillée
elle garde prisonnière des gouttes de rosée
point petit a qui se déplace à la vitesse d’une comète
latéralité d’une partita de Bach
lumière dans la nuit de l’écrit
   silence
suspendu à
   un fil
Claude Minière
Image (choix de la rédaction), Maman, sculpture de Louise Bourgeois,
Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Poezibao propose également de lire cet épisode 3 du feuilleton en cours de Philippe Grand. Où il est aussi question d'araignée !