La Finance Islamique au sein des banques publiques conventionnelles : Éléments pour garantir le succès des nouveaux produits bancaires

Publié le 03 juin 2020 par Ouadayazid1


Suite à la baisse prolongée des prix de pétrole et à l'amenuisement continu de nos réserves de changes, la situation économique du pays continue de s'aggraver.

De ce fait, l'Algérie doit aujourd'hui, plus que jamais, mobiliser tous ses atouts pour arriver à dépasser toutes les entraves qui l'empêchent de réaliser le développement économique auquel tous nos concitoyens aspirent depuis toujours.

Partant de là, la finance islamique semble aujourd'hui être un atout non négligeable que notre pays doit à tout prix exploiter, et le plus tôt possible...

Le premier pas dans cette voie, et que beaucoup de nos concitoyens attendent depuis un certain moment déjà, est le lancement de "guichets islamiques" dans les banques publiques conventionnelles...


Dans cette modeste contribution concernant le sujet, nous aborderons la genèse de ces guichets islamiques et certains écueils auxquels ces derniers vont devoir faire face, lors de leur lancement d'activité -et même après. Nous terminerons cette contribution en citant certains éléments que ces nouveaux arrivants devront prendre en considération pour mieux réussir leur mission.
Genèse des guichets islamiques des banques publiques conventionnelles
Depuis environ quatre ans et avec la baisse prolongée des prix du pétrole, les différents gouvernements qui se sont succédés ont essayé de faire face à la crise économique et financière qui a, et continue, de secouer aujourd'hui le pays et relancer l'économie nationale. Parmi les solutions les plus prometteuses qui ont été étudiées figure le recours à la finance islamique pour attirer au moins une partie de l'argent qui circule aujourd'hui dans l'économie informelle, drainer l'épargne thésaurisée des ménages et pourquoi pas, capter également des investissements venant de l'étranger.

Cette volonté de recourir à la finance islamique s'est traduite par la décision de lancer des guichets islamiques au sein de toutes les banques publiques conventionnelles comme première étape, et si les résultats sont probants, passer à la création d'une filiale islamique pour chaque banque publique.

Durant les trois dernières années, les banques publiques ont beaucoup travaillé pour mettre en place des "guichets islamiques dédiés en leur sein" et cela pour un lancement "espéré" cette année pour certaines d'entre elles.

Au mois de mars dernier, la Banque d'Algérie a publié dans le Journal officiel du 22 mars 2020 le règlement n°20-02 du 20 Rajab 1441 correspondant au 15 mars 2020 définissant les opérations de banque relevant de la finance islamique et les conditions de leur exercice par les banques et les établissements financiers.

Considérant tout le travail effectué jusqu'à maintenant et tous les efforts déjà consentis, il est tout à fait évident que le gouvernement croit fortement au potentiel de cette finance alternative et veut vraiment la voir réussir.
Deux contraintes inévitables que vont rencontrer les guichets islamiques des banques publiques à leur lancement
Lors du lancement des activités des guichets islamiques des banques publiques, on pourrait légitimement espérer un bon accueil de la part de nos concitoyens. Cependant un certain nombre d'entre-eux pourrait réagir négativement vis-à-vis de cette finance alternative, des réactions certes compréhensibles, mais injustifiées pour la plupart d'entre-elles. D'ailleurs, il y a des réponses appropriées à chacune d'elles, réponses basées avant tout sur la Charia, ainsi que sur la logique et la rationalité.

Lors du démarrage des activités de ces guichets islamiques, certains petits à-coups pourraient également survenir. Il s'agira généralement d'erreurs de "jeunesse" (c'est un problème commun à toute institution qui souhaiterait offrir des produits islamiques pour la première fois.
Ce qui pourrait aider ces guichets islamiques à bien réussir leur mission
Pour que ces guichets islamiques réussissent pleinement leur mission, en plus de tout le travail effectué jusqu'à maintenant, il faudra aussi réunir un certain nombre de conditions. On en citera ici déjà trois qui me semblent être parmi les plus importantes.
1- Savoir répondre au triple défi auquel devront faire face ces guichets islamiques à leur lancement.
En plus d'installer de nouvelles techniques de financements en leur sein, ces guichets islamiques devront relever le triple défi suivant :

- Réussir à initier le grand public (et à lui faire adopter) à une industrie encore inconnue pour beaucoup de nos concitoyens -ce défi est des plus "primordials", car il conditionnera l'avenir même de cette finance alternative ici en Algérie.
-Maitriser de nouvelles formes de "communication" (communication 'produit', mais aussi communication 'institutionnelle').
-Savoir répondre aux différentes objections religieuses/rationnelles des futurs clients, et arriver à les convaincre d'adhérer à ce nouveau concept de financement.

Ce triple défi, pourrait être difficile à relever, lorsqu'on n'aborde cette finance que du point de vue "technique", voir seulement "financier". Par contre, si on abordait cette finance alternative sous un angle beaucoup plus large, relever les trois défis, cités plus haut, deviendra tout à coup, beaucoup moins compliqué.

Et pour rappel, "transposer" des "stratégies " qui ont fait leurs preuves dans d'autres pays, sans tenir compte des spécificités du contexte local, ne serait peut-être pas la meilleure chose à faire ici en Algérie.
2-Asseoir la crédibilité de ces guichets islamiques auprès du grand public et leur construire une identité propre.
La première condition qui permettra à ces guichets islamiques de gagner en crédibilité, serait qu'ils acquièrent leur totale "indépendance" vis-à-vis de leurs banques mères conventionnelles.

Le règlement n° 20-02 du 20 Rajab 1441 correspondant au 15 mars 2020 et publié par la Banque d'Algérie dans le Journal officiel, définissant les opérations de banque relevant de la finance islamique, les règles qui leur sont applicables, les conditions de leur exercice par les banques et les établissements financiers, ainsi que les conditions de leur autorisation préalable par la Banque d'Algérie est de ce fait une considérable avancée dans ce sens.

Ces guichets islamiques devront également se construire une image forte au sein de la société, image qui sera basée sur l'éthique et la responsabilité sociétale.
3- S'assurer de l'adhésion du grand public au concept même de "finance islamique" (cela est lié au point 01 ci-dessus, mais il s'agit ici d'une "adhésion" qui va au-delà de ces guichets islamiques, mais qui en est en même temps intimement liée).
Notre gouvernement semble avoir négligé quelque chose d'essentiel concernant la réussite de la finance islamique en Algérie. Jusqu'à maintenant et dans ses nombreuses communications, le Gouvernement a toujours été convaincu par le potentiel de cette finance alternative. Toutefois, pour que la finance islamique puisse avoir vraiment toute les chances de réussir en Algérie, il faudra également que nos concitoyens la comprennent (dans son sens le plus large), et surtout, se l'approprient, pour être enfin sûr qu'elle aura mis de son côté toute les chances de réussir.


Ces derniers mois, plusieurs personnes ont déjà fait un grand effort de présentation de la finance islamique mais aujourd'hui, pour que cette finance alternative puisse enfin prendre son essor, on a besoin d'une communication "informative" et "éducative" à grande échelle.


La société civile qui peut être un excellent relais ne se positionne pas majoritairement encore pour l'instant. Pourtant, c'est la négligence de cet aspect (entre autres) qui a empêché la finance islamique de percer comme il se doit jusqu'à maintenant en Algérie (et bientôt au Maroc ?).


Il y a donc aujourd'hui, plus que jamais, intérêt et urgence à s'atteler au plus vite à une communication "informative" et "éducative" à grande échelle, en vue d'arriver à une véritable acculturation du client en la matière, car il s'agit là d'un facteur déterminant pour la réussite de cette industrie ici en Algérie.


Cette adhésion servira énormément les guichets islamiques des banques publiques tout au long de leur existence, jusqu'à leur transformation en filiales, si tout va bien.
NOTES


Cette modeste contribution vise aussi à "éclairer" les responsables concernés par le développement de la finance islamique dans notre pays sur d'autres aspects à prendre en considération, autres que le côté


"technique/mise en place du guichet islamique" déjà achevé/en cours au sein des banques publiques conventionnelles, et cela dans le but d'offrir à cette finance alternative toutes les chances de réussite.


Ayant évoqué ci-dessus trois importants points comme étant des facteurs clefs de réussite de la finance islamique au sein des banques publiques conventionnelles aujourd'hui ou bien, de son échec en cas de leur négligence (en réalité, il y en a d'autres qui sont aussi importants toutefois, ces derniers étant plus des "facilitateurs/accélérateurs" de succès). Il est tout à fait évident qu'il existe en parallèle toute une "stratégie" pertinente à mettre en place par les banques publiques conventionnelles, et destinée à les aider à bien réussir leur introduction sur le marché national de la finance islamique (et donc bien entendu à bien réunir les trois conditions de succès citées ici), ainsi que dans la réalisation de leurs deux principaux objectifs aujourd'hui ; drainer l'épargne des ménages qui reste thésaurisée en dehors du circuit bancaire, et "attirer" au moins une partie de l'argent qui circule aujourd'hui dans l'économie informelle pour qu'il puisse mieux servir l'économie nationale.


Cette stratégie/approche pourrait peut-être même "affranchir" les banques publiques d'une contrainte majeure : l'utilisation répétée de termes religieux dans la promotion/communication autour de leurs produits alternatifs/islamiques.

Par : Boudib Yacine *


* Consultant spécialiste en finance islamique, en Zakat et Waqf.

http://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/154047