Apparues dans le sillage de bitcoin et ses avatars, enrobées de blockchain mystificatrice, les monnaies « digitales » sont en vogue aux quatre coins de la planète, dans leurs déclinaisons privées (Libra…) et de banques centrales (affublées de leur acronyme, MDBC), mais les deux tendances n'ont maintenant plus rien en commun.
Pendant que la Banque de France, toujours hypnotisée par les promesses de la technologie, poursuit une expérimentation, aux objectifs obscurs, dans le domaine des règlements interbancaires, le responsable des paiements de Citi offre, dans une interview pour Finextra, une vision simultanément lucide et bancale du sujet. Lucide par sa compréhension des enjeux profonds de la dématérialisation de l'argent mais bancale par son insistance à établir un parallèle avec les cryptomonnaies.
Sur le premier point, illustré dans la conversation par l'exemple pionnier de la Suède, il est indubitable que le monde moderne – dans lequel les échanges empruntent de plus en plus des voies électroniques (un mouvement encore renforcé par la crise sanitaire) – impose aux autorités centrales de mettre à la disposition des citoyens, notamment les plus fragiles, des moyens de s'intégrer, sans les contraindre à recourir aux services d'entreprises commerciales qui se préoccupent peu d'inclusion financière.
Légèrement plus polémique mais finalement tout aussi réaliste est le constat dressé par Tony McLaughlin de l'abandon inéluctable, dans la plupart des grandes initiatives de monnaie « digitale », du mécanisme de preuve de travail popularisé par bitcoin, vigoureusement critiqué pour sa consommation énergétique et son impact environnemental (pour une fois que les grands groupes s'inquiètent d'empreinte carbone…), et qui n'a, bien sûr, aucune utilité dans les systèmes centralisés envisagés.
Cependant, le raisonnement n'est pas mené jusqu'à son issue logique : cette construction aboutit à un résultat qui n'a plus guère de rapport avec les cryptomonnaies, indépendamment, d'ailleurs, de la devise sous-jacente, virtuelle ou d'état. Une fois abandonné le principe fondamental qui garantit un fonctionnement autonome sans nécessiter d'instaurer au préalable une relation de confiance entre les participants, la plate-forme obtenue est bien plus proche de PayPal ou d'Alipay que de bitcoin…
Prenons un instant, au passage, pour évoquer les tentatives de remplacer la preuve de travail par une preuve d'enjeu, faisant de cette dernière la réponse aux exigences écologiques (légitimes). Hélas, passer d'une confiance reposant sur une contribution technique au réseau de la blockchain à celle qui émane de la seule propriété de parts de cryptomonnaie revient à transformer un modèle de coopérative ouvrière à celui d'une société par actions : on voit bien la bascule radicale qui s'opère alors.
Ma conclusion prendra la forme d'un simple encouragement. Dans le contexte actuel, il devient évident que les consommateurs ont désormais besoin d'une monnaie « digitale » accessible et, si la souveraineté de l'état a encore un sens, les acteurs privés ne peuvent être seuls à la proposer. L'urgence de la situation dicte de prendre le problème à bras-le-corps et d'éviter de perdre du temps et de l'énergie à explorer des gadgets technologiques, certes séduisants mais sans valeur pour le but recherché.