"C'est quand qu'on va où ?" chantait Renaud en 1994, à une époque où Mister Renard n'avait pas encore pris le dessus sur Docteur Renaud. Mais c'est également la question que professionnels du tourisme et touristes européens se posent sans que l'on ne puisse obtenir de réponse claire. Et notre Union européenne peine à parler d'une seule voix, chaque état y allant de son point de vue et autres effets d'annonces. De jour en jour, d'hypothétiques scénarios de reprise pour le secteur s'affirment ou sont battus en brèche et l'écart est grand entre ceux qui veulent croire à une consommation locale voire hyperlocale et ceux qui sont convaincus que, dès que cela sera à nouveau possible, de nombreux européens vont voyager loin de chez eux.
Le "couple" franco-allemand plaide pour une réouverture de l'espace Schengen
Richard Ferrand (LREM) et son homologue allemand Wofgang Schäuble (CDU) ont plaidé mardi pour une réouverture rapide des frontières entre pays de l'espace européen; bref, les biens et les personnes doivent pouvoir à nouveau circuler librement. La préservation du secteur touristique n'est pas la première préocuppation de ces deux individus mais s'ils parviennent à se faire entendre, cela ne sera pas sans conséquences pour notre industrie, pour le meilleur, on l'espère.
On a également entendu l'Espagne et l'Italie (tous deux fortement touchés par la crise du Covid-19), deux pays dont l'économie dépend fortement du tourisme, annoncer qu'ils envisageaient d'ouvrir leurs frontières aux touristes dès la mi-juin . D'autres pays sont quant à eux plus réservés sur la question, particulièrement quand il s'agit de savoir "quand" et surtout comment organiser conjointement en Europe cette réouverture des frontières, ce qui reste par ailleurs une compétence nationale et souveraine ! Bref, qui pourrait empêcher un pays de jouer cavalier seul s'il le souhaitait ?
Quelle expérience touristique pour cet été ?
Sans boule de cristal, difficile de savoir si les touristes vont consommer local (comme l'expliquait Guillaume dans son billet du 27 mai dernier, les "déconsommateurs" ne sont pas stupides et j'ajouterais même qu'ils n'ont pas attendu la crise actuelle pour consommer local) ou litérallement "s'enfuir" dès qu'ils le pourront. Toujours est-il que ce qui pourrait bien être une boîte de Pandore est sur le point de s'ouvrir.
Ce qui, personnellement, m'interpelle le plus, ce serait plutôt de savoir quelle expérience touristique nous allons pouvoir vivre, que ce soit près de chez nous ou à 1.000 kilomètres de notre domicile.
Une expérience touristique, un séjour, c'est un ensemble de prestations qui s'enchaînent et sont liées entre elles par la perception globale que le touriste va se faire d'une destination sur base de son vécu à travers cette chaîne.
Aussi, si de nombreux territoires sont "prêts" à accueillir les touristes et à leur conseiller des sites adaptés à la situation sanitaire en vigueur, bien d'autres données et acteurs territoriaux leur échappent.
Imaginons une tribu lambda en séjour. Elle a trouvé un superbe gîte dans un environnement agréable qui répond à ses aspirations. Elle a en outre pu bénéficier des conseils éclairés de l'OT du coin qui a pris soin de l'orienter vers des sites patrimoniaux, récréatifs ou encore des balades adaptés au contexte sanitaire. Mais un séjour, c'est aussi d'autres envies qui posent question:
- Les restaurants locaux seront-ils ouverts ? Les établissements repérés sur les sites d'avis ont-ils économiquement résisté ? Comment va-t-on être accueilli ? Comment cela va-t-il se passer à l'intérieur ? Des tables séparées par des vitres ? La carte sera-t-elle complète ou réduite ?
Aujourd'hui, comme pour le tourisme, pas de vision unanime en Europe pour la réouverture des restaurant, cafés et autres bars à cocktails... - Les marchés locaux seront-ils en capacité de gérer les flux ? Devra-t-on y déambuler avec un masque ? Pour un temps limité ?
- Un des éléments fondamentaux dont on se souvient longtemps concernant nos vacances, ce sont les rencontres humaines. On sait qu'elles seront limitées, cadrées...déshumanisées en grande partie. Quel impact sur le ressenti du voyageur ?
- Le shopping et les boutiques souvenirs; ce sera comme maintenant, avec des flux entrants et sortants contrôlés ? Ou bien aura-t-on d'ici-là atteint un relatif "retour à la normale" ?
- Comment les locaux vont-ils accueillir les extra-locaux ? Une destination, c'est aussi et surtout ses habitants qui ne sont pas des professionnels du tourisme et qui n'ont pas forcément un intérêt économique en lien avec notre secteur. Communiquer vers touristes, c'est bien; expliquer la situation et ses enjeux aux locaux, c'est essentiel. Le contexte était différent mais on vu les réactions particulièrement hostiles voire même violentes à l'encontre des "confinés" qui avaient tenté de rejoindre une résidence secondaire loin des grandes villes.
Le fameux "retour à la normale"
Le "retour à la normale"... J'ai souvent lu ou entendu cette expression dans les médias ces derniers temps quand ils parlent de tourisme. De quelle "normale" parle-t-on à l'heure de la nécessaire remise en question sur notre organisation sociale, économique et politique ?
Ce qui m'a beaucoup amusé, c'est aussi la vision très restreinte (particulièrement chez moi en Belgique) que les médias ont du tourisme: quand ils parlent de notre secteur, c'est très souvent en interviewant des acteurs de l'outgoing, du tourisme émetteur. Le tourisme local est trop souvent minimisé. Sur une chaîne belge, il y a quelques semaines, pour évoquer la situation du tourisme en Belgique, c'est le président de la fédération des agents de voyage qu'on a interrogé !
Pire: la semaine dernière, la présentatrice du journal télévisé de la chaine publique (celle qui passe dans les bêtisiers y compris en France pour la séquence dans laquelle elle donnait des nouvelles du Roi Albert II suite à sa fracture du "col de l'utérus" !) a annoncé: "Bonne nouvelle pour le tourisme: l'Espagne a annoncé sa volonté d'ouvrir ses frontières aux touristes étrangers !"
Conférencier, consultant et enseignant en Tourisme, Denis Genevois est également actif dans la sphère e-business et le marketing depuis près de 20 ans. Il forme et accompagne au quotidien les acteurs publics et privés du tourisme en Belgique francophone et en France dans leurs projets d'innovation touristique. Il a fondé en 2018 le Cabinet de conseil stratégique Cogiteur.com avant de créer avec son associée la société Un Tour d'Avance, bureau spécialisé en innovation et ingénierie touristique.