Crédit photo : David Shapinsky/FlickR
Une interview de Gérard Chaliand, parue sur le site internet du journal Le Monde, a le mérite de mettre les points sur les « i » concernant la situation des troupes alliées au pays de l’Insolence : la victoire est impossible et il faut négocier…
Venant d’un spécialiste des guerres irrégulières, maintes fois cités dans ces pages, et qui a eu l’occasion de séjourner longuement sur le terrain récemment, ce jugement ne peut qu’interpeller, d’autant que son argumentaire, aussi simple qu’implacable, condamne sans appel (ou presque) le comportement et la stratégie de l’OTAN.
Résumons-le en quelques lignes : pas assez de troupes pour contrôler un territoire immense (une évidence qui devrait nous faire réfléchir…) ; des soldats coupés des réalités locales laissant de vastes zones aux mains des taliban qui y installent leur propre infrastructure politique (situation, effectivement, qui présage souvent de catastrophes à venir dans un contexte contre-insurrectionnel) ; une corruption généralisée, en particulier au plus haut niveau du gouvernement légal, qui alimente les rancœurs et le mépris de la population (rien de pire, pour l’ingérant, que de paraître soutenir à bout de bras un gouvernement qui apparaît de moins en moins légitime) ; la minorité pachtoune qui a désormais le sentiment de mener une guerre de libération nationale, loin de l’idéologie d’AQ. Bref, tout va mal.
En passant, petite bifurcation du côté d’un certain débat récent sur le Centre de Gravité, Chaliand note : « Contrairement à une idée reçue, les talibans ont une meilleure compréhension de ce qui est stratégiquement important. Ils ont compris que le centre de gravité du conflit est la sensibilité de l'opinion occidentale qu'il faut frapper en tuant des soldats de l'OTAN, de préférence américains. Notre refus d'encaisser les pertes est notoire ». Une nouvelle contribution à nos échanges ? En tout cas, un argument supplémentaire à prendre en compte…
Comment nier la véracité d’une bonne partie de ce qui précède ? Et comment, dans le même temps, ne pas s’interroger sur ce qu’il y a derrière la conclusion logique à cette impasse : il faut négocier.
Personne ne nie, à part quelques exaltés ou des politiciens qui veulent épater la galerie, que toute guerre se termine par une négociation. Le tout est de savoir quoi négocier, avec qui et quand…
Le choix du moment est sans doute le plus important : on négocie en position de force, ou pas ; avec la volonté de concrétiser politiquement ce qu’on a conquis militairement, ou pas ; dans le feu de l’action, on sait voir le point culminant qui nous est le plus favorable avant de tendre la main, ou pas… Alors, sommes-nous en position de force pour négocier avantageusement ? D’après Chaliand, pas vraiment. Cela peut-il changer ? Sans doute, à condition d’y mettre le prix, en terme d’effectifs et de stratégie. Y sommes-nous prêts ? Les réponses à ces questions, parmi d’autres, détermineront le fait de savoir si nous partirons dans l’honneur ou la honte, avec les conséquences sur le long terme que l’une ou l’autre de ces attitudes impliqueront.
Avec qui négocier ? Les pachtounes ? Trés bien, mais seront-ils assez forts pour pacifier seuls le pays ou ouvre-t-on le nouveau chapitre d’une interminable guerre civile ? Négocier avec les taliban, en leur reconnaissant de fait qu’ils ont su résister à la puissance militaire occidentale ? Peut-être n’est-ce pas le meilleur signal à envoyer en ces temps troublés, non ? Franchement, je n’ai rien contre la négociation, mais je ne vois pas vraiment quel interlocuteur choisir…
Et puis négocier quoi ? La paix du Taleb, avec le risque de tout voir recommencer comme avant 2001 ? Une autre option qui, sauf erreur de ma part, n’existe même pas sur le papier ?
Bref, et si je souscris pour une bonne part à l’analyse de Gérard Chaliand quant aux erreurs commises, je me pose des questions sur le fait de savoir si le moment est bien le bon pour tendre une main amicale mais ferme à nos ennemis, tout comme je m’interroge sur l’identité même de ces bons émissaires ; enfin, je ne vois pas très bien ce qu’ils pourraient nous proposer et qui nous permettrait de sortir de là sans séquelles importantes, sans avoir l’amer sentiment d’avoir fait tout cela en vain, sans la certitude de devoir un jour payer le prix, chez nous, de ce que nous n’avons pas su défendre là-bas.
Je vais vous faire une confidence : ça me mine d’être obligé de parler de tout cela en pensant à tous ces jeunes gens qui, sur le terrain, se démènent et risquent leurs peaux pendant que, à cause de notre pusillanimité et de notre manque de vision stratégique passée et présente, nous en sommes venus à discuter d’un départ, qu’on imagine difficilement glorieux.
L’arrière, une fois de plus, ne fait pas honneur à l’avant…
Mais bon, ce ne sont là que quelques remarques « à chaud ». Lisez l’article et faites-vous votre propre opinion. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.