Soudain mises en présence, l’enfant, « à quelques pas du seuil », et la femme, « assise à l’autre bout de la grande pièce ». Tout de suite on sait que ce n’est pas la rencontre imaginée par Erri de Luca avec un enfant qui ne serait pas né. Il s’agit ici de tout autre chose. L’enfant, la femme, ce serait la même, une qui parle au futur et au « présent parfait », une qui interroge le passé dans un autre présent. Une qui parle de la vie, du goûter chez Juliette Verdun, une qui l’écrit : « Dans tout ce que j’écris, presque tout, il y a ma grand-mère, et sa fille, c’est pour ça que j’écris. Pour ça : pour faire parler ça… » La réussite à l’école, le mystère de la valise à la douane, l’intervention d’un Bruno de Straub, Christiane Veschambre ouvre encore plus l’intime, parfois disparaît, parfois monte sur « les échasses du temps ». Au début, le monde est divisé en deux ; il y a de ce côté et de l’autre, comme deux moitiés d’une pomme. Et peu à peu, on s’aperçoit qu’il n’y a qu’un monde, qu’on est à l’intérieur parce qu’il n’y a pas d’extérieur et qu’on est dans le temps, qu’on ne peut pas être hors du temps. Cela ne l’empêche pas d’entendre la voix de l’enfant, habillée d’une jupe rouge et grise, dans un décor de tapis. Et avec cette voix de l’enfant, résonnent les autres voix : la mère, le père, et la grand-mère « incommunicable », vers qui elle revient toujours. Et brusquement, parce qu’on « n’écrit pas pour caresser mais pour concasser », nous voici le temps de quelques pages au Cambodge, peut-être pour savoir « de qui n’avoir jamais pitié ».
Et toujours se mettre en route, marcher « éclairé par l’usage humble et tendu de ma langue commune ».