En cette période post-confinement où le tourisme est encore largement affecté, je continue le tour des nouvelles du monde initiée dans le blog au début de la crise. Après la Chine, le Japon, le Québec, l'Arménie, la Belgique et l'Islande, la Thaïlande, la Colombie, la Mongolie et le Viêt-Nam, je vous emmène en Inde, avec mon interview de Vikram Verma, gérant de la DMC Voyage in India. Il nous explique comment le gouvernement a oublié de s'occuper des professionnels du tourisme pendant la crise du covid-19.
Peux-tu nous présenter ton agence et son activité ?
J'ai cofondé l'agence réceptive Voyage in India en 2007 avec mon frère Kedar, à la suite d'un voyage en France organisé par l'Université du Rajasthan et l'association Amitiés franco-indiennes de Franche-Comté (AFIFC). Notre activité de réceptif est principalement rattachée au tour-opérateur français Voyage In, fondé ultérieurement par Kedar et son associé Quentin Houal.
Notre bureau principal se trouve à Jaipur, dans l'état du Rajasthan, au nord de l'Inde. Nous organisons des circuits culturels sur mesure dans tout le pays, pour les individuels et les groupes. Notre clientèle est principalement francophone. Nous sommes membre actif de la IATO (Indian Association of Tour Operators). Nous avons démarré l'agence à trois mais nous avons depuis recruté 5 nouvelles personnes et 6 chauffeurs.
Peux-tu nous raconter la situation en Inde depuis l'arrivée du corona virus ?
Le premier cas de corona virus a été détecté en Inde le 30 janvier 2020, mais le gouvernement avait déjà anticipé le risque avec des mesures telles que des systèmes de détection de la température dans les aéroports et la mise en place d'une quatorzaine. Au début les indiens n'étaient pas très inquiets car ils sont très optimistes et très religieux. Ils s'imaginaient donc que c'était un virus d'étrangers qui partirait avec eux.
Le tourisme a été tout de suite affecté. Dès que des pays se sont mis à fermer leurs frontières, les touristes ont commencé à s'inquiéter et à écourter ou annuler leur voyage. En mars, le nombre de cas a commencé à augmenter en Inde et beaucoup de pays du monde ont mis en place un confinement. Le 25 mars le gouvernement indien a donc lui aussi annoncé le confinement de notre pays, en 4 phases. La fin de la dernière phase est prévue pour le 3 juin.
Parallèlement le gouvernement a lancé des campagnes d'information publique, préparé les hôpitaux, fait des stocks de médicaments,... Dans un pays démocratique comme l'Inde, le confinement était un vrai défi, une décision pas facile à prendre. Le succès du confinement est dû en partie à toutes les campagnes de dons qui ont été organisées pour venir en aide aux plus démunis.
"L'Inde a connu des mouvements migratoires comme jamais elle n'en a connus depuis la partition de 1947"
Très vite, l'Inde a connu de gros mouvements migratoires comme jamais elle n'en a connus depuis la partition en 1947. Tous les travailleurs émigrés ont tenté de rentrer dans leur région d'origine. Mais comme les transports publics avaient été suspendus, ils sont partis à pied, marchant pieds-nus au bord des routes, avec leurs enfants, en plein été où la température monte jusqu'à 45°C. Malheureusement, certaines personnes y ont laissé leur vie. Des gens se sont organisés pour aider les migrants, leur apporter de l'eau, à manger et un toit pour dormir. Cela a conduit à l'accélération de la propagation du virus parmi ces populations. Le gouvernement indien a alors mis en place des transports spécifiques pour organiser le rapatriement des travailleurs émigrés, en faisant respecter des mesures sanitaires.
Comment les indiens réagissent-ils à cette situation de confinement ?
Pour le moment les réactions sont silencieuses car les gens sont enfermés, les villes sont closes. Seuls les services indispensables ont été assurés. C'est la plus grosse crise que les indiens n'aient jamais connue. Ils ont peur pour leur santé et celle de leurs proches, beaucoup n'ont plus de revenu et ne peuvent plus payer leur loyer ou les frais de scolarité de leurs enfants. C'est une crise économique sans précédent qui nous attend et qui va être difficile à vivre. Le gouvernement a quand-même aidé les plus démunis en versant une somme d'argent directement sur leur compte bancaire.
"La patience et l'optimisme paieront. "
Les indiens sont très optimistes et très patients, ce qui est un grand atout dans les périodes difficiles comme celle-ci. Les beaux jours reviendront. La patience et l'optimisme paieront. C'est le moment de faire le point sur tout ce qu'on a fait jusqu'à maintenant, et de réfléchir à de nouvelles idées pour le futur.
Est-ce que, comme en France, les médias indiens ont mis en exergue les bienfaits du confinement pour l'environnement ?
Oui, bien sûr. Dans tous les médias on voit des photos d'animaux sauvages, des villes sans bouchons, le son des oiseaux qui a remplacé celui des voitures, et mêmes les eaux du Gange qui sont bien plus propres ! Les gens se disent que si nous pouvons contrôler notre activité, alors pourquoi ne pourrions-nous pas vivre de façon plus raisonnée ? Nous pensons que sous la forme du corona virus, la planète a voulu montrer aux humains qu'elle ne leur appartient pas. La nature vient de nous donner l'opportunité de repenser notre modèle de développement.
Avec la pandémie, les gens vont commencer à se préoccuper de choses qu'ils ignoraient totalement avant. La pandémie a aussi permis une conscientisation de l'importance de la communauté et des relations sociales. Elle a donné l'opportunité aux gens de discuter, de s'entraider. Nous aurons de beaux jours devant nous.
Evidemment, pour la bonne santé du secteur touristique nous ne souhaitons pas que les avions s'arrêtent à jamais de voler. Mais il y a des encore des opportunités inexplorées pour un développement plus vert, comme l'ouverture des frontières terrestres et le développement du réseau ferroviaire.
Où en est la situation en Inde aujourd'hui ?
Nous en sommes à la dernière phase de confinement. Le pays a partiellement rouvert, selon les états. Un système de couleurs a été mis en place comme en France. L'Inde est un énorme pays qui compte 1,3 milliards d'habitants. Le nombre de cas de covid-19 détectés est de 100 000 seulement, ce n'est rien. L'Inde a pris des mesures très tôt, la plupart des régions ne sont pas infectées.
"Le virus a créé un terrain fertile pour la corruption et le marché noir"
Mais en toute honnêteté la situation est critique. Beaucoup de monde ont perdu leur emploi et même si on a maintenant un confinement partiel, les gens ont peur. Le plus gros du travail sera de tout remettre en ordre quand la pandémie sera passée. Comment va-t-on survivre à tout ce que la pandémie aura provoqué : perte de revenus, chômage, fermeture des usines, migration des travailleurs ? On est dans l'incertitude totale mais ce qui est sûr c'est que le virus a créé un terrain fertile pour la corruption et le marché noir. Ce qui existait déjà en Inde risque de s'empirer.
Quelles sont les conséquences de la crise sur le secteur touristique en Inde ?
Le corona virus est mortel pour tous, mais il l'est encore plus pour ceux qui travaillent dans le tourisme. Tous les hôtels, restaurants, magasins, les vendeurs de souvenirs, les guides touristiques, les chauffeurs sont frappés de plein fouet par les conséquences du virus. Le covid-19 a très sérieusement affecté le tourisme intérieur et le tourisme entrant. Il faudra énormément de temps avant que ça ne reprenne. Avec les suspensions de visa, l'arrêt du trafic aérien, les fermetures de frontières,... le tourisme n'est pas prêt de redémarrer.
L'impact va être encore plus visible dans les prochains mois. Le confinement s'arrêtera mais l'activité touristique ne pourra pas redémarrer instantanément. De nombreux établissements ont fermé et ne pourront pas rouvrir. Tous les employés du secteur se retrouvent sans salaire depuis plusieurs semaines.
"Le gouvernement a annoncé un plan de sauvetage, mais il a totalement oublié d'y inclure le secteur du tourisme"
Le gouvernement a annoncé un plan de sauvetage, mais il a totalement oublié d'y inclure le secteur du tourisme, qui représente pourtant 10% du PIB et génère l'entrée des devises étrangères. Le secteur du tourisme a urgemment besoin d'une relance, mais c'est le grand oublié du gouvernement.
"Nous avons l'impression d'être les dindons de la farce"
Le tourisme est un secteur duquel dépendent de nombreuses activités. Il est urgent que le gouvernement en prenne conscience et décide d'agir. Pour cela, des pionniers ont lancé le mouvement @Savetourism1 sur Twitter, pour attirer l'attention des pouvoirs publics. Nous payons des taxes élevées mais le jour où nous sommes dans le besoin, nous avons besoin du soutien de notre gouvernement. Nous avons l'impression d'être les dindons de la farce.
Comment as-tu géré la situation dans ton agence ?
J'ai été contraint de prendre les mesures suivantes :
- Baisse des salaires
- Licenciement des 2 tiers des salariés
- Soutien à nos salariés qui sont dans le plus grand besoin. Nous pouvons seulement leur apporter de quoi survivre.
- Réduction drastique des charges, notamment sur l'électricité, en coupant la climatisation par exemple.
Nous sommes une petite agence. Nous nous relèverons plus facilement. Ce sera plus compliqué pour les grands qui ont beaucoup de charge et de nombreux employés.
D'après toi, combien de temps faudra-t-il au secteur touristique indien pour se relever ?
La FAITH (Federation of Association in Indian Tourism and Hospilality) prévoit qu'il y aura environ 40 millions de chômeurs dans le seul secteur du tourisme.
Il faudra au moins 2 à 3 ans pour que les choses reviennent à la normale. De nombreuses entreprises et hôtels vont faire faillite. Tous les gens qui bénéficient indirectement du secteur touristique vont également être sévèrement touchés. La situation va être catastrophique.
Selon toi, que faudrait-il pour faire repartir le secteur ?
Nous venons de vivre 60 jours de confinement avec aucun retour positif de la population. Ça a seulement provoqué la panique et la perte de confiance. Nous devrons affronter le virus un jour ou l'autre, car nous sommes humains et interdépendants, on ne peut pas passer notre vie entière éloignés les uns des autres.
"Nous ne pourrons pas remplacer partout l'homme par la technologie, au risque de déshumaniser un secteur dont l'essence même est la relation humaine"
Le tourisme, est un secteur intrinsèquement lié au contact humain. Nous ne pourrons pas aller trop loin dans les mesures sanitaires et remplacer partout l'homme par la technologie, au risque de déshumaniser un secteur dont l'essence même est la relation humaine, surtout lorsque l'on parle du tourisme import en Inde.
Nous devons commencer à retrouver la foi et attaquer le chantier de reconstruction du secteur touristique. Il faut mettre en place toutes les mesures sanitaires qui rassureront les gens et permettront la reprise des voyages. Notre gouvernent doit également prendre la mesure de la situation et aider le secteur, en accordant des aides financières, comme la suspension des taxes, et aider directement les plus démunis.
"Après le confinement, les gens auront vraiment besoin de sortir et de voyager, c'est essentiel pour beaucoup de monde."
Le gouvernement doit rouvrir les frontières, dans le respect de mesures sanitaires de protection. Au début du confinement, les gens n'osaient même pas aller faire leurs courses. Puis au bout de la troisième fois, ils ont repris confiance et ont lâché leur anxiété. Ce sera la même chose avec les voyages. Donc plus vite nous ouvrirons nos portes plus vite nous pourrons remettre le secteur sur pieds. Après le confinement, les gens auront vraiment besoin de sortir et de voyager, c'est essentiel pour beaucoup de monde.
Diplômée de l'ESTHUA de l'Université d'Angers en conduite de projets touristiques, Amélie Perrin a d'abord été chargée de promotion pour l'Agence Touristique de la Touraine Côté Sud à Loches. Elle est ensuite partie en Inde s'occuper d'une association humanitaire, et a vécu deux ans en Chine où elle était lectrice de français à la Faculté de Tourisme de l'Université de Ningbo. Après une expérience de directrice d'office de tourisme dans le Tarn-et-Garonne, elle travaille maintenant pour l'Aéroport Toulouse-Blagnac comme chargée de développement de la clientèle loisir.