A l’origine, il y a un tour du monde à vélo. Celui d’un jeune homme de 23 ans qui, après la lecture de Jusqu’au bout de la solitude de Jon Krakauer, décide de larguer les amarres et de se défaire de schémas établis. L’idée est d’explorer, expérimenter, connaître, et bien sûr apprendre. Nous sommes en 1997. Patrice Ponza quitte une première fois un confort relatif. "Cette expérience a fait office de détonateur dans ma vie. Je suis parti à la rencontre des êtres humains, de la liberté, de l’amour ", raconte-t-il. La joie, la peur et la solitude jalonnent un parcours de 50 000 kilomètres.
Durant son voyage plusieurs choses l’interpellent. Lorsque le globe-trotteur est aux États-Unis, dans les environs de Philadelphie, il côtoie pour la première fois un mode de vie alternatif, celui des Amish. "J’ai été interpellé par ces sociétés qui vivent à l’ancienne. À l’époque, j‘avais 23 ans et j’avais du mal à comprendre pourquoi ces gens avaient fait ce choix, celui de vivre sans énergie fossile, de vivre plus lentement, d’être autonome sur le plan alimentaire. Ça m’a fasciné. C’est comme ça que j’ai approché cette idée de résilience, que j’ai commencé à m’interroger ", explique-t-il. Trois années durant, il sillonne la Terre.
À son retour, ce diplômé en sociologie entame une carrière de diplomate au Cameroun. Patrice Ponza dirige pendant trois ans un centre culturel français pour le ministère des Affaires étrangères : "Ça a fini de m’achever en quelque sorte. Tout ceci m’a montré les méandres torturés de la diplomatie et des relations humaines auxquelles on peut être confronté dans ce milieu, voire même dans l’économie de manière générale".
À l’époque les profils comme le sien sont rares. Les discussions qu’il peut avoir avec sa famille ou ses amis donnent lieu à des incompréhensions. Il y a même ces paroles de sa mère : "On t’a perdu". "Peut-être" répond le principal intéressé. "Je n’ai jamais réussi à réintégrer notre société telle qu’elle est. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience collective, communautaire, qui commence à se ressentir. Il y a de plus en plus d’adeptes de vies alternatives ; il y a des gens qui acceptent de faire marche-arrière, ou un pas de côté". Patrice Ponza est en quête d’absolu, d’un autre mode de vie. Ses expériences l’amènent à se questionner. Il cherche sans cesse un équilibre libertaire et résilient. Les lectures de Pablo Sevigne ou de Pierre Rabhi l’incitent à poursuivre sa démarche.
Vingt-cinq ans en arrière, l’homme se sentait pourtant bien esseulé : "Les gens me prenaient pour un marginal ". Ce passage est pour lui compliqué à gérer. Ce passionné garde néanmoins le cap et préserve ses opinions face au discrédit émanant de ses congénères. "Dans un collectif, la majorité a toujours tendance à guider, à mener, voire à malmener les minorités. Il y a avait une écoute, mais toute relative".
Pendant des années, Patrice explique avoir tenté de regagner cette société, de ne pas la quitter. "J’ai eu des activités commerciales, j’ai été très entreprenant pendant 25 ans. J’ai été employé, chef d’entreprise, j’ai eu des salariés à gérer… j’ai tenté de correspondre à notre système. Je me suis intégré du mieux que j’ai pu, j’ai épousé complètement cette société tant bien que mal ", confie-t-il. L’homme constate que "nous sommes dans une société où la nature n’est plus considérée. Quand je parle nature, j’entends celle au sens le plus global du terme : celle qui nous entoure, mais aussi nous-mêmes. L’homme fait partie intégrante de la nature, mais il n’a plus d’instinct. Et, sous couvert de la sécurité, on se prive de la liberté. On a une incapacité totale à être autonome, et on fait en sorte d’être de plus en plus dépendant d’un schéma qui est anti-libertaire".
Il y a un an, Patrice Ponza décide de quitter une nouvelle fois les sentiers battus pour crapahuter dans les Alpilles. "J’étais propriétaire d’un restaurant d’altitude dans les Alpes depuis 5 ans. Tous les étés, je voyais des bergers. Je les ai observés vivre, manger. J’ai contemplé leur solitude et ça m’a fasciné". Il entame dès lors une formation de berger transhumant à Salon-de-Provence, au centre de formation du Merle. Son souhait : vivre davantage au contact de la nature et des animaux. L’enseignement qu’il suit dans l’établissement lui permet de rencontrer des profils variés. "Nous sommes une quinzaine. Le plus jeune à 20 ans et le plus âgé en à 52. Nous sommes tous en quête de la même chose, et quelque part, c’est rassurant de voir que plusieurs générations se côtoient dans cet apprentissage". A travers cette démarche, l’homme tend vers un absolu. "Ça se rapproche d’un sacerdoce, il y a quelque chose de spirituel".
Son quotidien est aujourd’hui bien différent de ce qu’il a connu par le passé. La journée débute aux aurores avec peu d’inquiétude. Il n’y a pas d’objectif, si ce n’est s’occuper d’être vivant… et des brebis. Les stimuli sociaux et économiques n’ont aucune emprise. L’apparat ne compte plus. Il faut prendre soin de soi, manger en quantité suffisante pour tenir toute la journée. Et puis il y a les brebis. Son troupeau berce ses «"énergies compulsives". En toile de fond, le berger contemple cette nature qui lui donne de la sérénité, "une forme de calme délicat". Il explique même qu’il a fini par s’accepter au bout de quelques mois : "Avec cette nouvelle vie, je me rencontre chaque matin davantage".
Aujourd’hui, dans cet environnement sans humain, la solitude agrémentée de nature et d'animaux lui autorise sans complexe à scruter sa vie : "Je finis par m’habituer à moi-même, je me découvre ni bien ni mal, mais pleinement dans cette nature. La motivation doit venir d’un travail introspectif à effectuer et qui n’est pas inintéressant". Une forme évidente de résilience. Il s'agit pour lui d'un chemin chaotique où l'inconnu le nargue.
De son avis, "nous n’avons plus de sens individuel à nos vies. Le sens et unique sens que nous avons est collectif. Aujourd’hui, à travers mon activité, je suis dans une démarche très individuelle. Et par là, j’entends vivre pour moi, mais pas pour les autres ni contre les autres. Dès lors qu’on accepterait d’être soi, on rayonnerait davantage".
Les premiers contacts avec cette nature remontent à l’enfance lorsqu’il partait avec son père chercher du migon pour l’épandre dans le jardin familial. Aussi, il assiste à quelques transhumances plus jeune. "Je n’ai jamais vraiment été passionné par les brebis. Je veux simplement faire un pas de côté. Je ne voulais plus d’employé, plus de patron. Il y a un refus total de notre modèle. Mais à l’heure actuelle, comment fait-on ce pas de côté sans être marginal ? Aujourd’hui, je participe à cette société, mais de manière différente. J’ai eu une multitude d’activités qui avaient une utilité toute relative, si ce n’est celle de gagner de l’argent. Ce que je fais à l’heure actuelle a un autre sens".
À ce jour, Patrice Ponza aimerait partager son expérience, la relayer, et témoigner que d’autres alternatives existent. "Je me demandais si en m’éloignant des schémas occidentaux, capitalistes, j’arriverais à être heureux. Et je peux dire aujourd’hui que je le suis pleinement".
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