Interview - A Singer Must Die

Publié le 21 juillet 2008 par Oreilles


Je vous avais parlé il y a quelques jours du disque Today, it's a wonderful day des français Manuel Ferrer et Philippe Le Guern alias A Singer Must Die. Alors que certaines choses ont changé depuis la sortie du disque (Philippe remplacé par Tomasz...), Manuel revient pour nous sur la conception de l'album, ses influences et l'avenir du groupe.
Raconte nous le processus de création de l'album ?
L’album a été signé sur le label écossais Grand Harmonium Records, et masterisé également là-bas par Calum Malcolm qui a travaillé notamment sur les disques de Prefab Sprout, the Blue Nile et Simple Minds. L’enregistrement s’est fait ici en France, au Studioscope à Angers. L’imprégnation de l’Angleterre lors d’un voyage avant d’enregistrer a été extrêmement bénéfique, jusque dans ma manière d’approcher l’écriture des chansons, il en est sorti entre autres "Croydon Road". La chanson traite de manière ironique de certains comportements anglais et a été comprise et plutôt bien perçue. Hormis d’ailleurs une connasse de chroniqueuse en Angleterre qui – tout en reconnaissant que les paroles étaient honnêtes et intelligentes – s’est demandé, à cause du simple fait que nous étions français, de quel droit je pouvais écrire sur Newcastle ! Paris OK, mais pas Newcastle…
Si je suis très friand de certaines écritures en France très imagées, parfois abstraites, avec de nombreux contours pour dire les choses, l’anglais impose une écriture beaucoup plus directe et plus crue, et j’y ai pris goût…La nationalité du label et le fait qu’on soit français aboutit à une situation un peu singulière : sur le plan des concerts, cela nous a permis d’avoir de belles opportunités de jouer en Grande-Bretagne, d’avoir toujours un pied là-bas, d’obtenir des chroniques jusque dans certains journaux et magazines indé américains. En revanche le disque n’étant toujours pas distribué en France, cela rend quasiment impossible le fait de monter une tournée ici pour l’instant. On travaille actuellement sur la recherche d’un distributeur.
Comment fait-on pour garder l'esprit d'un groupe lorsque l'un des deux uniques membres le quitte ?
Lorsque l’un quitte le navire, l’autre ne prend pas l’eau et maintient le cap ! Le label a été alors d’un soutien solide pour permettre au projet de continuer à naviguer. Dans la foulée j’ai rapidement rencontré Tomasz, un touche-à-tout qui avait déjà des musiques en chantier, il avait un univers, un son et un jeu de guitare très marqués. Il a un tempérament taciturne et ça a fonctionné d’emblée, il est très vigilant sur le fait de rompre constamment avec certaines habitudes, un certain confort. Il fait partie de ces guitaristes capables d’être très inspirés harmoniquement, et tout aussi doués sur le plan technique. J’ai rarement vu l’alliance des deux chez les autres. On s’est retrouvés autour des mêmes familles musicales, alors on a pris nos marques très rapidement. Ca a été très stimulant et régénérant de confronter de nouvelles chansons dans un autre espace – c’est même un moteur indispensable et évident pour le groupe. S’il s’agit d’avoir l’impression de se répéter, c’est suffoquant, autant jeter l’éponge. Ses compositions n’ont pas grand-chose à voir avec celles de son prédécesseur, il n’a pas du tout une approche romantique et on sait déjà que les morceaux, une fois finalisées, feront la part belle aux guitares. Les premières dates se feront en duo, à l’électrique, pour renforcer les nouvelles chansons, elles ont besoin maintenant de prendre l’air. Je suis attaché à cette étape, un peu "à l’ancienne" qui exige que les chansons doivent dans un premier temps pouvoir sonner sans aucun artifice, dans leur matière brute. Si certaines ne tiennent pas ou n’ont pas de socle suffisamment solide, on les jettera sans état d’âme. On a construit ce nouveau répertoire en six mois, on s’entourera d’un groupe par la suite.
Pourquoi Léonard Cohen ?
Sa chanson était à l’époque politique, dénonciatrice, sombre mais empreinte d’ironie…c’est en plus une très belle chanson, un auteur très rare. On était partants pour ce nom de groupe, ça sonnait sur plusieurs degrés. Aujourd’hui, ce nom prend même une tournure supplémentaire, car Tomasz chante également (rires)…Lorsque le label a proposé ce nom, ça m’a aussitôt fait penser à une devise à la Johnny Cash – ne me demande pas pourquoi – en tout cas cette idée me plaisait énormément.
Le disque est dédié à presque tous les Smith, hasard ou coïncidence ?
Tous les "Smith" incarnent une soit une époque, soit une ville, soit un courant musical, une armée de songwriters admirables…il se trouve que tous sont de fortes influences pour nous. Ils incarnent bien plus que leur simple musique, c’est tout un environnement et une impulsion.
Et ce deuxième album, est-il vrai qu'il sera plus sombre que le premier, qui n'est déjà pas très guilleret?
Ca vient du fait que ce que l’on entend majoritairement l’est sans doute trop, guilleret…
C’est toujours bizarre cette notion de musique sombre, ça empêche pourtant bien des fois de sombrer, justement. Les musiques dites "festives", ce sont plutôt celles que je trouve rapidement déprimantes. Je me suis rendu compte que je ne parvenais à écrire que lorsque j’étais traversé par des états excessifs, et ça marche aussi pour l’euphorie….si ce n’est pas souvent retranscrit dans les paroles, c’est que je dois certainement m’en méfier, de cette euphorie…Dans un état d’esprit apaisé, si je me mets à écrire, tout devient très laborieux, et le résultat est médiocre. Les prochains textes tourneront autour d’un Las Vegas purement imaginaire (n’en déplaise à cette chroniqueuse anglaise), un moyen de décrire une société hurlante et hystérique, fascinée par l’argent et les jeux, des roues géantes absurdes qu’on arrive plus à arrêter et sur lesquelles on s’amuse à accrocher des gens, des rapports humains totalement humiliants et pervers, ponctués d’actes d’une violence très gratuite. J’ai des tonnes d’idées autour de cela, je suis en train de les préciser. Ce sera une sorte de road-movie mais très resserré, où tout se déroulerait et se jouerait en quelques heures seulement. Tomasz de son côté, est très attiré par des sons de guitare brumeux et tranchants, qui font penser à de grandes villes américaines. Cette ville délirante sera parfaitement découpée, d’une propreté impeccable, aseptisée à outrance, tellement écolo qu’elle en deviendrait flippante, un peu à l’image angoissante dont se dessinent nos centres-villes en France, où l’on ne peut même plus klaxonner et s’arrêter en bagnole juste devant la terrasse d’un café parce que des amis nous interpellent. On ne peut pas mieux faire pour bousiller ces rencontres hasardeuses ! La Suède avec ses découpages urbains futuristes est en tête d’affiche des taux de suicide en Europe, on en suit le chemin.
De quels artistes français ou étrangers te sens-tu le plus proche actuellement ?
Ceux dont je me sens aussi très loin, comme Christophe…Lou Reed. C’est drôle d’ailleurs que je te cite spontanément ces deux-là, l’un pour les sombres introspections, la poésie et l’onirisme, l’autre pour la finesse des descriptions, son tranchant et son réalisme.
Qu'écoutes-tu en ce moment ?
Le dernier album de Portishead est très intense, Tindersticks, une découverte comme Kramies, Rose et Noire pour l’écriture sublime de Marie Möör…j’ai un faible pour The National, et en ce moment j’écoute à nouveau pas mal de pop américaine, Sparklehorse, Grandaddy…J’oublie de citer un peu injustement des groupes comme Swell et The Gun Club, qui m’ont profondément marqué. Tomasz écoute de son côté énormément de choses : ça va de Sonic Youth, My Bloody Valentine, Radiohead, The Beatles, The Fall, Arcade Fire, le Velvet à Joy Division, Jeff Buckley, des choses plus obscures aussi et expérimentales comme Cold War Kids.
Un peu de controverse, le téléchargement tu en penses quoi ?
Lorsque je dois faire face à un obstacle ou une interrogation, je me pose souvent la question suivante : "Que ferait ou dirait Keith Richards? ". A défaut de controverse, c’est plutôt la grande confusion…à l’extérieur comme chez moi! Plus on cherche à creuser ces histoires de téléchargement, plus on se perd dans un nid de contradictions, ça finit par être fatiguant…J’ai détesté cette idée de Radiohead, annoncée comme étant d’une grande modernité, de permettre au public de mettre ce qu’il veut dans la cagnotte pour se procurer leur disque. Résultat : les fans n’ont versé que le minimum obligatoire. De plus, cette idée rejoint un esprit pseudo communautaire, neo-baba et utopique qui ne me séduit pas du tout. Lorsque adolescent je piquais des disques dans les magasins parce que je n’avais pas les moyens de me procurer tout ce que j’avais envie d’écouter, j’avais au moins toujours conscience que la musique avait un prix ! Radiohead a distillé l’idée inverse dans les esprits, et dans une position très luxueuse en plus….Ils n’ont qu’à soigner leurs pochettes après tout, ils vendraient plus de disques, on parlerait d’eux pour de meilleures raisons.
Pour terminer et sans aucune objectivité, quel est ton top 5 des meilleurs albums de tous les temps ?
Une question pareille me pousserait justement au téléchargement (rires). Je ne prendrai bien que des intégrales, mais puisqu’il faut choisir :
. Berlin de Lou Reed
. Rubber Soul des Beatles
. Henry’s dream de Nick Cave
. XO de Elliott Smith
. un album de Godspeed You Black Emperor, je n’arrive jamais à retenir leurs titres.
Quelque chose à dire en particulier ?
Ce n’est que cela et rien d’autre, faire de la musique…penser avoir quelque chose à dire en particulier._A lire aussi : A Singer Must Die - Today, it's a wonderful day (2007)_Acheter le disque sur Amazon ou sur Ebay_Le Myspace de A Singer Must Die_Pour info A Singer Must Die se produira le 24 juillet prochain à l'OPA Bastille en duo électrique entrée libre, alors ne les ratez pas!